Mann, commercial toujours sur la route, roule sur la nationale en direction de San Francisco où l’attend un de ses clients. Un poids lourd qu’il vient de double accélère alors brutalement pour reprendre la tête. Surpris, Mann détaille le véhicule: un vieux camion à la peinture écaillée, à double remorque, colossal, qui crache une fumée noire. Et dont il ne peut apercevoir le conducteur. A peine devant, le voici qui ralentit à nouveau. Mann décide de doubler à nouveau mais le camion semble tout faire pour l’en empêcher. Pire: il semble même tout faire pour provoquer un accident mortel. Commence alors une course-poursuite entre les deux véhicules sans que Mann ne parvienne à comprendre la raison ni l’enjeu.
Faire d’une situation tout à fait banale un western sur la route, une confrontation où David et Goliath s’affronte à plus de 130 km/h sur l’autoroute, c’est du Matheson tout craché. On est plongé dans l’Amérique moyenne, déserte, sur ses immenses routes droites où rien ne doit se passer et d’un seul coup, un tueur psychopathe surgit. C’est avec grand soin que l’on nous montre le camion comme un véritable personnage sans visage, à la volonté propre, une espèce de monstre de métal. Il est d’ailleurs bien plus travaillé que Mann, qui reste un Mr Tout-le-monde. Matheson parvient ainsi à frôler le fantastique à de nombreuses reprises, tant on se demande si Mann n’est pas en train d’imaginer l’agressivité de ce camion, et si ce que fait le véhicule est humainement possible.
Le point faible de la nouvelle est à mon sens son rythme. L’action a beau être resserrée, elle reste très répétitive. Une course-poursuite sur la route, même mortelle, a de quoi lasser et c’est hélas ce qui se passe: quelques pages en moins n’aurait pas nui à l’ambiance. Au final, on reste sur sa faim tant sur les rebondissements que sur les explications, et sur un texte aussi court, cela fait un manque de trop. C’est un peu dommage.
La note de Mélu:
Matheson a fait bien mieux.
Un mot sur l’auteur: Richard Matheson (1926-2913) est un écrivain américain spécialisé dans la science-fiction et l’épouvante. D’autres de ses oeuvres sur Ma Bouquinerie:
Le film: Richard Matheson lui-même a signé le scénario d’un film adapté de sa nouvelle pour en faire un film avec un jeune réalisateur encore inconnu en 1971: Steven Spielberg. Tourné en moins de quinze jours, le téléfilm connaît un tel succès qu’il est ensuite diffusé dans les salles de cinéma.Le film prend évidemment des libertés avec l’intrigue, et notamment pas mal d’ajouts. Pour transformer douze pages en une heure et demie de film, il fallait en passer par là. La plupart des scènes ajoutées permettent de faire de Mann un personnage encore plus fade qu’il ne l’était dans la nouvelle: faible, sans volonté, cliché du loser jusque dans son apparence, incapable de prendre une décision face à une situation qui le rend à moitié fou. Les autres scènes ajoutées diluent soigneusement cette solitude tendue dans laquelle Matheson avait placé son personnage. Face à d’autres gens, normaux, qui sont censés lui apporter un moment de répit, il n’en semble que plus dérangé. Le montage particulièrement ingénieux qui alterne des plans très rapides sur une même situation permet de faire monter la tension dans les moments où le camion passe clairement à l’attaque. Tout cela dans un seul but: tenir sur le fil du rasoir un spectateur qui ne doit pas s’ennuyer.
Pas sûr que la pari soit réussi à cent pour cent. C’est vrai que visuellement, le film est très intéressant, et les scènes de tension sont particulièrement réussie. Néanmoins, elles ne parviennent pas à casser ce côté répétitif et lancinant de l’intrigue. On n’obtient pas un film d’action, ni une tension psychologique insoutenable, en tout cas pas lorsque l’on est habitué à bien plus intense. J’ai donc trouvé que ce film avait vieilli, et qu’il intellectualisait un peu trop alors que son sujet demandait quelque chose de plus efficace. En revanche, l’idée de base me paraît toujours bonne, et je suis persuadée qu’il mériterait un bon remake à l’américaine par le Spielberg d’aujourd’hui qui, lui aussi, a fait beaucoup mieux.