26 DÉCEMBRE 2014 | PAR STÉPHANE ALLIÈSL’année qui se termine a mis la gauche au bord du précipice, à son plus bas niveau politique dans l’histoire de la Ve République. Élections départementales, congrès du PS, élections régionales… L’année qui s’ouvre est décisive pour la gauche française et sa nécessaire recomposition, alors que le pouvoir socialiste s’obstine à n’avoir comme seuls horizons que l’ordre républicain et l’orthodoxie budgétaire.Le pouvoir termine l’année 2014 comme il l’a traversée. Dans l’omniprésence sécuritaire et en tournant le dos aux valeurs économiques de gauche. Ces derniers jours, Bernard Cazeneuve a concentré toute l'attention médiatique, en se déplaçant de Joué-lès-Tours à Nantes, en passant par Dijon, pour assurer de sa détermination face au péril djihadiste, après trois drames successifs, pourtant sans rapport entre eux. Qu'importe les allures de faits divers psychiatriques entourant les “Allah akbar” peut-être prononcés, Manuel Valls l'assure : « Jamais nous n'avons connu un aussi grand danger en matière de terrorisme. » En ces derniers jours de 2014, le pouvoir socialiste montre à nouveau sa remarquable capacité à se mobiliser pour l’ordre républicain. Comme s'il ne savait se mobiliser que pour cela.La rengaine fut en effet la même, lors des manifestations de soutien à Gaza cet été – interdites à Paris et nulle part ailleurs dans le monde – jusqu’au drame de Sivens cet automne – où la mort d’un jeune manifestant se résume finalement à un accident sans responsables. Elle a même été matérialisée dans une loi anti-djihadisme, inattendue sous une majorité de gauche, permettant un contrôle certain des libertés publiques et de l’usage d’Internet.En échec sur l’ensemble de sa politique, le gouvernement Valls s’accroche au « totem Clemenceau », en ne retenant que son versant autoritaire. Et en oubliant que ce dernier avait aussi promulgué les premières lois sociales et fait progresser le droit du travail, à l’inverse du projet de loi Macron, ainsi que l’a judicieusement rappelé Pierre Joxe dans un réquisitoire récent contre la politique gouvernementale, dans nos locaux.
Pierre Joxe : « La gauche n’a pas été élue pour... par MediapartPierre Joxe : « La gauche n’a pas été élue pour faire cette politique »Ce culte de l'ordre s’est imposé de guerre lasse chez une majorité de responsables socialistes. Leurs protestations face à la vision policière du monde détaillée par leur gouvernement sont aujourd’hui inexistantes. Et il en va de même face à la finance. Trois ans après le discours du Bourget, et même pas six mois après le « J’aime l’entreprise » de Manuel Valls devant le Medef, certains au gouvernement ont fait mine de redécouvrir que le patronat était un adversaire, prêt qu'il était à manifester contre ceux qui ne leur ont pourtant jamais tant offert sans la moindre contrepartie. Avant de retomber bien vite dans l’apathie et la servitude volontaire, qui semblent tenir lieu de cap économique.Le gouvernement navigue ainsi, s’en remettant à sa « politique du cierge », ainsi que la décrivait dès le début du quinquennat la sénatrice PS Marie-Noëlle Lienemann. Façon poético-mystique de résumer ce pouvoir : il s’en remet à une amélioration de la situation économique, qu’aucun expert ne prévoit, comme on va allumer une chandelle dans une église et prier en attendant la fin des difficultés. C’est à peu près le même ressort spirituel de ceux qui, dans l’entourage du président, font confiance à la « baraka légendaire » de Hollande.Certains théorisent même que c’est dans la difficulté que le président devient le meilleur manœuvrier de la vie politique française. Il en fut ainsi au lendemain du 21 avril 2002, comme après sa défaite au référendum européen de 2005. À chaque fois, Hollande a ensuite gagné le congrès du PS, en s’appuyant sur de grosses fédérations à l’éthique contestable et contestée depuis. En 2008, après le fiasco du congrès de Reims, il avait disparu du devant de la scène plus d’un an durant, restant planté dans les sondages sur la primaire socialiste à 3 %. Avant de renaître tel un phénix des cendres d’une cheminée corrézienne.Vu sa situation à mi-quinquennat, celle-ci ne pourrait donc être que meilleure par la suite… L’espérance politique est maigre, certes, mais elle subsiste.Quand on parvient à discuter plus au fond avec ces fidèles raccrochés à leur seule foi, c’est surtout le constat d’une impuissance maximale qui se fait jour. « De toute façon, personne n’a de plan B pour faire autrement », a-t-on ainsi entendu dans la bouche de plusieurs ministres ces derniers mois. Cela pourrait se discuter. Mais surtout, en quoi cela explique-t-il que le plan A ait si peu d’envergure ?Pour seul horizon, l'exécutif balbutie quelques promesses technocratiques. Quelques investissements issus du faux plan de relance européen de Jean-Claude Juncker, qui continuera avec la Commission européenne (et son commissaire Pierre Moscovici) à prôner la rigueur budgétaire ; un coup de pouce par-ci par-là sur des bas salaires, pour montrer qu’on est de gauche vous voyez bien ; une reprise de la croissance qui reste trop faible malgré tout, mais c’est pas grave, ça montre qu’on est sur le bon chemin. Et surtout des appels à la responsabilité, le fascisme étant à nos portes.Soyons impossibles, exigeons le réalisme…Il n’y a désormais plus personne pour porter le débat à l’intérieur du conseil des ministres, depuis la vague de démissions de la fin août, petit 18-Brumaire de Manuel Valls. Comme par magie, les sorties d'Emmanuel Macron sur « les ouvriers illettrés » ou « les bus pour les pauvres qui ne peuvent plus payer le train », de François Rebsamen sur le « contrôle des chômeurs », ou de Michel Sapin conseillant aux entreprises de « ne pas augmenter trop vite les salaires », ne sont désormais plus des couacs, mais le vrai visage d’un pouvoir. Il s’assume enfin, débarrassé de ces satanées« vieilles lunes marxistes ».Mais si l’idée plaît aux grands médias et aux services d'informations en continu, avides de trouver chez Valls ce qui leur manque tant depuis la défaite de Sarkozy – du « bougisme » –, les grands plans de communication sur l’autorité retrouvée de Matignon ont-ils un quelconque effet sur la réalité électorale ?Se présentant souvent comme le seul capable de pouvoir entraver l’irrésistible conquête du FN, car lui seul aurait compris à gauche qu’il faut parler ordre et libéralisme aux classes populaires pour qu’elles votent pour vous, Manuel Valls n’a pourtant pas fait reculer Marine Le Pen. Sa nomination comme premier ministre n’a pas empêché le FN d’arriver en tête aux européennes, ni l’électorat socialiste de toujours plus s’abstenir lors des élections partielles, au point de voir le PS régulièrement éliminé dès le premier tour (lire ici).
Au PS, synthèse impensable, mais toujours possible…
La prophétie de Manuel Valls au lendemain des municipales est en passe de s’accomplir : « La gauche peut mourir. » Elle n’en a jamais été aussi près, en effet, et le premier ministre est loin d’être le plus incohérent dans la période. Lui a viré l’aile gauche, pourtant modérée, de son gouvernement, remerciant Arnaud Montebourg, Benoît Hamon et Aurélie Filippetti, après que ceux-ci l’ont propulsé bien naïvement à Matignon.Lui assume une gauche sécuritaire. Lui a réaffirmé sa volonté d’un PS qui ne serait plus socialiste, mais « moderne » et aimant le CAC 40. Lui aime la communication, les sondages, les effets de manche et les coups de menton, le présidentialisme en somme. Pendant ce temps, ceux qui constatent régulièrement ne pas penser comme lui se contentent de contempler le nombril de leur sidération.Au PS, la fracture s’est aggravée, malgré les efforts de Jean-Christophe Cambadélis à occuper le temps et les sections avec ses états généraux ou sa promesse d’un renouveau organisationnel un brin hors-sol. Lui et son comparse de manœuvres internes Claude Bartolone (lire l’article deLibération) entendent incarner le cœur d’un parti lors du prochain congrès de Poitiers, début juin.Etats généraux : «Pour moi, être socialiste c... par PartiSocialisteHabile tacticien, Cambadélis connaît aussi de longue date le ministre des relations avec le parlement Jean-Marie Le Guen et le premier ministre Manuel Valls, avec qui il gravite dans les mêmes sphères depuis plus de trente ans (lire ici), et entretient enfin d'excellentes relations avec Martine Aubry. De quoi être confiant quant à sa capacité de porter une synthèse majoritaire au prochain congrès, et d'être enfin élu à la tête du parti.Un chemin alternatif s’esquisse pourtant, porté par des proches de Martine Aubry, aux côtés des ailes gauches du parti, regroupés dans le collectif « Vive la gauche ». Bien que poussive, la démarche ne cesse pourtant d’agréger les mécontentements internes, en prenant soin de ne jamais pencher trop à gauche. Mais alors que plus personne ne sait qui vote quoi parmi les militants du parti socialiste, ni combien il reste encore d'adhérents, cette initiative a-t-elle des chances de renverser le congrès ? Encore faudra-t-il qu'elle voie le jour.D’ailleurs, se passera-t-il vraiment quelque chose lors de ce congrès, ou les intrépidités s’effaceront-elles derrière le choix de rester solidaire du pouvoir, quoi qu'il en coûte ? Chacun va déposer sa « contribution » avant les départementales de mars (Martine Aubry, Benoît Hamon, Emmanuel Maurel, Arnaud Montebourg, le jeune courant Cohérence socialiste de Karine Berger et Valérie Rabault, le pôle des réformateurs autour de Jean-Marie Le Guen), mais ensuite ?Face à cet éparpillement des textes préalables au dépôt des motions, qui seront, elles, soumises au vote militant en mai, Jean-Christophe Cambadélis entend être celui qui emmènera le plus grand nombre de hiérarques derrière lui (espérant avoir à ses côtés les proches de François Hollande, de Manuel Valls, mais aussi de Vincent Peillon ou Pierre Moscovici). Une façon, espère-t-il, d’écraser d’emblée le congrès à venir et de se rendre incontournable, rejouant pour son compte le coup de la « grosse motion » de Toulouse, à l’automne 2012.L’échec programmé des élections départementales pourrait cependant lourdement déstabiliser le parti, dont l’unité de valeur principale reste le conseil général. C'est là où il a le plus d’élus, le plus d’emplois administratifs et “de cabinet” à pourvoir, le plus de subventions et d’aides sociales à distribuer. Suspendue aux conséquences d’une déroute annoncée, la « société socialiste » en voie de disparition est encore dans l’attente d’une éventuelle réaction d’un seul homme : François Hollande. Si, hypothèse la plus probable, celui-ci ne change ni de premier ministre ni de cap, comment le congrès de Poitiers pourrait-il accoucher d’une synthèse entre les soutiens de l’exécutif et ceux qui ne cessent de contester son orientation ?
A gauche, synthèse nécessaire mais incertaine…
Car aujourd’hui, la gauche ne crève-t-elle pas de ne plus être audible, faute de savoir même ce qu’elle pense, et surtout qui pense quoi en son sein ? À force de s’en remettre à son modèle de gestion des territoires, là où il a perdu une partie de son âme en s'enferrant dans le clientélisme et la professionnalisation de ses élites, on ne comprend plus quelle est l’idéologie ni la coalition sociale défendue par le PS.Doit-on se contenter encore longtemps de formules creuses et de principes flous (du « vivre ensemble » dans les quartiers à « l’autorégulation exigeante » du patronat, en passant par « l’éco-socialisme » du PS ou le « socialisme de l’offre » du gouvernement), tout aussi floues que les lois de contrôle bancaire ou sur la transition écologique ? Aujourd’hui, alors même qu’il est au pouvoir depuis deux ans et demi et après plus de dix ans d’opposition, on ne sait pas ce que veut le PS en matière d’énergies et de nucléaire, de réforme fiscale et de politique salariale. On ne sait pas plus où il en est de son rapport à la mondialisation, à l’industrie et aux privatisations, ni ce qu’il défend comme réformes institutionnelles. Sans parler du modèle qu’il défend en matière de laïcité et d’intégration, ni même en matière de politique sociétale et d’égalité des droits.Cet article vous est offert.
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