L’Afghanistan est un pays ravagé par la guerre civile et les invasions
extérieures, en proie à l’insécurité permanente, depuis plus d’une quarantaine d’années.
Il y a trente-cinq ans, le 27 décembre 1979, les troupes
soviétiques franchissaient la frontière afghane et se sont emparé de Kaboul. Il y a à peine trois mois,
Ashraf Ghani fut installé comme nouveau Président de la République afghane le 29 septembre 2014. Adbul Rachid Dostom et Sarwar Danish ont été investis comme Vice-Présidents de l’Afghanistan le
même jour. Élu le 14 juin 2014 (après une première tentative le 2 novembre 2009), Ashraf Ghani a succédé à Hamid Karzai, à la tête de l’État afghan depuis le 22 décembre 2001. Les récents
attentats talibans ont montré hélas que le pays est encore loin d’être pacifié.
Retour sur un enlisement militaire et sans doute la dernière grande erreur politique du régime des
soviets.
Communiste dès 1973
Les communistes prosoviétiques ont pris le pouvoir à Kaboul à l’occasion de la Révolution de Saur le 27 avril
1978 (environ 3 000 morts) qui fut la réaction à l’assassinat de Mir Akbar Khyber, membre important du PDPA (parti démocratique du peuple de l’Afghanistan, fondé le 1er janvier
1965 par les communistes), dix jours plus tôt. Mohammed Daoud Khan, Président de la République autoritaire depuis son coup d’État du 17 juillet 1973, en avait profité pour arrêter les principaux
leaders du PDPA lors des funérailles. Mohammed Daoud Khan (1909-1978) était le cousin du dernier roi d’Afghanistan, Mohammed Zaher Shah (1914-2007), qui régna du 8 novembre 1933 au 24 août 1973
(il est mort récemment, le 23 juillet 2007 à Kaboul après avoir reçu le titre de "Père de la Nation" le 15 juin 2002). Mohammed Daoud Khan fut auparavant Premier Ministre du 7 septembre 1953 au
10 mars 1963.
Il faut rappeler les périodes d’après guerre. Pendant la décennie Daoud (1953-1963) où Mohammed Daoud Khan
s’était déjà emparé du pouvoir, l’Afghanistan avait suivi un programme de modernisation et d’industrialisation auquel se sont opposés certains religieux (mollahs). Le pays avait conservé une
stricte neutralité durant la guerre froide, sans prendre position entre les USA et l’URSS mais en soutenant les Pachtounes contre le Pakistan (alliés aux États-Unis face à l’Inde non alignée mais proche de l’Union Soviétique). Mohammed Daoud Khan fut ensuite exclu du pouvoir et il revint avec l’aide des Soviétiques en été 1973 en
installant un gouvernement communiste. Deux ans plus tard, le nord-est de l’Afghanistan s’est révolté contre Kaboul et s’organisa en mouvement islamiste opposé aux communistes. La révolte du 22
juillet 1975 fut écrasée par les communistes dans la vallée du Panchir. Y participèrent le futur Commandant Massoud (1953-2001) ainsi que Burhanuddin Rabbani (1940-2011), futur Président de la
République du 28 juin 1992 au 27 septembre 1996 et du 13 novembre 2001 au 22 décembre 2001.
Depuis 1973, les communistes étaient donc au pouvoir à Kaboul. Mais il y avait plusieurs factions communistes
rivales. Le 28 avril 1978, Mohammed Daoud Khan fut lui-même assassiné par la branche communiste soutenue par les Soviétiques (au sein du PDPA). Dix-sept membres de sa famille furent également
exécutés. Le secrétaire général du PDPA (depuis le 1er janvier 1965), Nour Mohammad Taraki (1913-1979) s’arrogea tous les pouvoirs : Président de la République du 30 avril 1978 au
14 septembre 1979 et Premier Ministre du 1er mai 1978 au 27 mars 1979. Taraki était soutenu par les Soviétiques qui se méfiaient de son rival plus radical, Amin. Taraki avait nommé
deux Vice-Premiers Ministres : Amin et Babrak.
Mais Hafizullah Amin (1929-1979) prit sa succession à la tête du gouvernement le 27 mars 1979 et le fit
assassiner le 14 septembre 1979 pour prendre également la tête de l’État. Pendant le (court) "règne" sanglant d’Amin, des purges ont entraîné plusieurs dizaines de milliers de morts parmi les
communistes du Parcham. Les Soviétiques décidèrent donc d’intervenir directement pour stopper Amin.
Une intervention pour "stabiliser" la situation politique
Le 27 décembre 1979, les troupes soviétiques ont pénétré dans le nord de l’Afghanistan et dans la capitale
Kaboul où elles assassinèrent Hafizullah Amin. Pour simplifier énormément, on pourrait affirmer que les Soviétiques sont intervenus dans une guerre civile entre communistes afghans (Khalq, à
l’origine de la Révolution d’avril 1978, et Parcham, proches des Soviétiques), en prenant le camp des plus modérés. Ils estimaient surtout qu’Amin n’était pas fiable et aveuglé dans son pouvoir
personnel, il aurait pu se retourner contre l’URSS.
L’URSS installa au pouvoir un homme plus sûr, Babrak Karmal (1929-1996), ancien bras droit de Mohammed Daoud
Khan en 1973. Avec le soutien de l’armée soviétique, Babrak Karmal contrôla à partir du 27 décembre 1979 tous les pouvoirs : Président de la République (jusqu’au 24 novembre 1986), Premier
Ministre (jusqu’au 11 juin 1981) et secrétaire général du PDPA (jusqu’au 4 mai 1986).
Le contexte régional de 1979 était particulièrement inquiétant par ses troubles.
D’un côté, le Pakistan était gouverné par le général Muhammad Zia-ul-Haq (1924-1988), Président du Pakistan
du 16 septembre 1978 au 17 août 1988 à la suite de son coup d’État qui renversa Zulfikar Ali Bhutto (1928-1979) le 5 juillet 1977. Zulfikar Ali Bhutto avait été Président du Pakistan du 20
décembre 1971 au 13 août 1973 puis Premier Ministre du Pakistan du 14 août 1973 au 5 juillet 1977 (réélu démocratiquement le 10 mars 1977), et c’était lui qui avait nommé Zia chef de l’armée
pakistanaise le 11 octobre 1976. Zulfikar Ali Bhutto fut condamné à mort le 18 mars 1978 et pendu le 4 avril 1979. Il était le père de Benazir Bhutto (1953-2007), future Premier Ministre elle aussi (du 2 décembre 1988 au 6 août 1990 et du 19 octobre 1993 au 5 novembre
1996). Zia n’a pas cessé de déstabiliser l’Afghanistan soviétique en aidant massivement tant militairement que financièrement les résistants islamistes contre le pouvoir communiste à Kaboul. Zia
fut tué lors du crash de son avion le 17 août 1988, alors qu’il était accompagné de diplomates américains.
De l’autre côté, l’Iran était en pleine révolution islamiste depuis le 11 février 1979. Les islamistes étaient certes antiaméricains mais également antisoviétiques et la fièvre islamiste inquiétait beaucoup plus l’URSS que les USA à cette
époque, puisque ces derniers n’ont pas hésité à les aider
pour résister à l’occupation soviétique (il faut aussi comprendre l’opposition entre chiites et sunnites).
Une résistance acharnée et une armée soviétique mal préparée
Si le pouvoir dans les grandes villes et l’armée afghane étaient effectivement sous contrôle soviétique après
1979, ce que l’URSS n’avait pas imaginé, c’était que la résistance populaire s’est organisée et fut soutenue à la fois par des pays ouvertement islamistes (Arabie saoudite, Pakistan, etc.) et par
les Américains et leurs alliés.
L’intervention militaire fut condamnée dès le 14 janvier 1980 par l’ONU. La plupart des pays musulmans l’ont
également condamnée ainsi que la Roumanie. La plupart des pays "occidentaux" boycottèrent les jeux
olympiques à Moscou du 19 juillet au 3 août 1980. À partir de début 1980, les Moudjahidine du peuple se sont structurés pour s’opposer à l’occupation du pays par plus de 100 000 soldats
soviétiques.
À la suite de combats très meurtriers où la bravoure était présente dans les deux camps, la résistance
afghane est parvenue à reconquérir environ quatre cinquième du territoire (au relief de haute montagne très difficile pour l’Armée rouge) malgré plusieurs grandes offensives soviétiques.
Arrivé au pouvoir le 11 mars 1985, Mikhaïl Gorbatchev a compris très vite qu’il fallait quitter ce pays, mais
il ne voulait pas humilier l’Armée rouge et a donc renforcé sa présence en Afghanistan pour obtenir une victoire militaire et partir la tête haute. Après quelques victoires militaires, le retrait
des troupes soviétiques fut annoncé le 20 juillet 1987. Une trêve a été négociée notamment avec le Commandant Massoud.
Gorbatchev révoqua Babrak Karmal donné responsable de situation de guerre civile et le remplaça par Haji
Mohammad Chamkani (né en 1947), Président de la République du 24 novembre 1986 au 30 septembre 1987, et surtout par Mohammed Nadjibullah (1947-1996), chef des services secrets afghans (le Khad,
sous contrôle du KGB) à l’origine de très nombreuses exécutions et actes de torture, bombardé secrétaire général du PDPA du 4 mai 1986 au 16 avril 1992, et Président de la République du 30
septembre 1987 au 16 avril 1992.
Le régime communiste fut cependant renversé le 16 avril 1992 par l’alliance des différents groupes de
résistants, en particulier entre Abdul Rachid Dostom, ancien communiste, et le Commandant Massoud. Nadjibullah, retenu dans les bâtiments de l’ONU à Kaboul pendant quatre ans, fut arrêté, traîné,
torturé et assassiné par les talibans le 27 septembre 1996 après la prise de Kaboul.
Un bilan sanglant
Le 15 février 1989, les dernières troupes soviétiques ont quitté l’Afghanistan (début du retrait le 15 mai
1988). Pendant ces cent dix mois d’occupation, 900 000 soldats soviétiques se sont rendus sur le terrain. 800 avions et hélicoptères et 1 500 chars furent détruits.
Le bilan humain de la guerre entre 1979 et 1989 fut très lourd. Près de 15 000 soldats soviétiques y
laissèrent leur vie, 18 000 soldats de l’armée afghane et près de 100 000 résistants afghans. Mais en tout, avec la population civile, 1,2 million d’Afghans furent tués dans cette
guerre et 6 millions ont dû partir en exil, principalement au Pakistan. Le pays ne comptait que 15 millions d’habitants, l’hémorragie a donc été terrible.
À noter que les pertes de la coalition étrangère qui, à partir du 7 octobre 2001, renversa les talibans
(arrivés au pouvoir le 27 septembre 1996 et chassés le 13 novembre 2001, dirigés par le mollah Mohammad Omar), sont à ce jour de 3 486 (dont 2 356 Américains et 89 Français) pour une guerre qui coûta la vie à environ 40 000 personnes.
Épilogue
L’invasion de l’Afghanistan fut la dernière intervention militaire directe de l’Union Soviétique. Le dernier
"cadeau" de Leonid Brejnev (1906-1982) avant son agonie. Après Budapest (1956), après Prague (1968), les Soviétiques ont pris cette décision comme un Néron qui brûlerait Rome. Par son enlisement,
par sa violation du droit international et surtout par son coût (environ 30 milliards de dollars), cette guerre a précipité l’URSS dans sa chute après avoir renforcé les dissidences politiques. L’URSS voulait initier une ouverture vers le Golfe persique.
Mais c’était trop tard : le mur de Berlin s’est
effondré quelques mois après le retrait soviétique de l’Afghanistan, et l’Union Soviétique elle-même fut
supprimée officiellement le 25 décembre 1991. Depuis la fin du régime communiste, la Fédération de Russie a néanmoins poursuivi de nouvelles guerres dans son environnement proche :
guerre intérieure en Tchétchénie mais aussi extérieure en 2014 avec l’Ukraine et l’invasion (douce) de la Crimée.
Avec la chute du rouble (l’euro est passé de 58,80 roubles le 18 novembre 2014 à 75,53 roubles le 18 décembre
2014), l’effondrement des cours du pétrole (le baril est passé de 101,95 dollars le 1er janvier 2014 à 55,49 dollars le 18 décembre 2014), la Russie est blessée et isolée, ce qui n’est
pas bon du tout pour la paix internationale. Dans sa conférence de presse du 18 décembre 2014, le
Président Vladimir Poutine s’en est pris une fois encore à "l’Occident", supposée responsable de tous ses maux, pour défendre la "civilisation
russe". La ficelle est certes un peu grosse, mais il faut se méfier des réactions nationalistes qui sortent souvent du cadre confortable de la raison économique. Une réconciliation politique
entre l’Europe et la Russie devient donc urgente pour éviter l’escalade de la violence que le continent a déjà connue aussi stupidement en été
1914.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (27 décembre
2014)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Andrei Sakharov.
L’Union Soviétique.
L’Iran.
Le Pakistan.
L’Inde.
Les soldats morts en
Afghanistan.
Oussama
Ben Laden.
Le nouveau
monde.