Le 15ème sommet de l’OIF (Organisation Internationale de la Francophonie) qui s’est tenu à Dakar du 29 octobre au 03 novembre 2014, a adopté une stratégie mettant le cap sur l’économie. Mais pourquoi une nouvelle stratégie économique pour une organisation qui s’était donnée comme mission le développement culturel dans les pays francophones ?
À sa naissance, l’OIF peut être considérée comme une plateforme qui contribue à la régulation des relations entre la France et ses anciens territoires d’outre mer. Des indépendances à nos jours, les relations entre la France et son « Afrique coloniale devenue indépendante » souvent gérée par la nébuleuse Françafrique, ont subi les aléas de la mondialisation. La crise économique qui sévit depuis plus d’une décennie sur la France, oblige celle-ci, face à l’offensive des pays émergents, à rechercher des relais de croissance pour se maintenir dans le peloton des grandes puissances économiques. Aussi remarque-t-on la volonté de la France de contrôler le commerce des matières premières et ressources naturelles de ses anciennes colonies, considérées comme des marchés, et donc une source de revenus pour redynamiser son économie
Le gros des importations commerciales des pays francophones provient de l’ancienne métropole qui, en revanche est le principal acheteur des produits de rente des Africains. Mais avec l’émergence des pays du BRICS, la France a changé de stratégie économique vis-à-vis des États africains francophones. Grande puissance économique coloniale aux siècles derniers, elle a, pendant longtemps, eu le privilège de droits particuliers dans l’espace francophone africain (accès aux contrats et aux marchés). Mais avec la concurrence des nouvelles puissances qui s’intéressent aussi aux richesses du continent, elle a vu les échanges commerciaux diminuer dans ses anciennes colonies.
De nos jours, la Chine apparait comme le principal partenaire commercial des Africains. Absents sur le continent quelques décennies après les indépendances, les produits chinois occupent actuellement une place importante sur le marché africain. La France a pris conscience de la nécessité de donner une nouvelle impulsion à ses relations économiques et commerciales avec ses alliés africains francophones pour ne pas perdre davantage de terrain. La mondialisation du commerce et l’ouverture progressive des marchés africains, concurrence économique oblige, ont fait que les produits français dans les pays francophones ne sont plus les seuls à être prisés. Il n’y a qu’à voir comment le prêt-à-porter chinois a surclassé les marques françaises. Dans le domaine automobile, interrogez n’importe quel chauffeur de taxi. Il vous répondra qu’il préfère de loin les voitures japonaises jugées plus économiques et plus robustes aux voitures françaises qui avaient pourtant une solide réputation il y a deux décennies à peine.
Par ailleurs, et en dépit du contrôle de l’économie de ses anciennes colonies par le biais du franc CFA, force est de constater la baisse continue des échanges commerciaux et des flux d’investissements français en Afrique depuis que le continent s’est ouvert à la Chine et aux autres pays émergents. Elle se classe désormais en quatrième position pour l’Investissement direct étranger en Afrique. C’est la santé aléatoire de son économie (croissance molle et montée du chômage) qui a fait que la France, à travers l’OIF, décide de passer du culturel à l’économie tout en pensant à ses intérêts géostratégiques, notamment son influence politique, son rôle sécuritaire et puis assurer son approvisionnement en matières stratégiques, comme l’uranium. Ceci est d’autant plus urgent que le géant français du nucléaire civil (Areva) a finalement « perdu le monopole qu’il détenait depuis quatre décennies sur la prospection, l’exploitation et la vente de l’uranium nigérien. La fin d’une époque.
La France tient à se maintenir dans ses anciennes colonies où son influence politique, économique et militaire est en train de reculer pour conserver le pouvoir de négociation avec les autres puissances mondiales. On constate sur le continent que le petit commerce, jadis exercé par les hommes d’affaires et les lobbys français, sont passés aux mains des Chinois, comme on le remarque dans presque tous les pays francophones au sud du Sahara.
Au Congo, par exemple, certaines enseignes françaises comme « Caino », sont fortement concurrencées par les boutiques « Asia » qui ne vendent que des produits importés essentiellement de Chine.
Mais comment l’OIF, qui a principalement soutenu une politique culturelle, pourrait-elle réaliser une stratégie économique et atteindre ces objectifs ? Par la proximité linguistique et culturelle dans presque tous les pays francophones, l’OIF peut faciliter les échanges économiques entre la France et ses partenaires. La langue de communication que la France partage avec ces anciennes colonies est un atout d’influence des pays francophones qui adoptent en général le mode de vie de l’ancienne métropole. Ces Africains subjugués de la culture française (études universitaires, influence audiovisuelle) sont des consommateurs potentiels des produits « made in France ». Aussi, la pratique d’une même langue est un avantage considérable dans les affaires. Beaucoup de jeunes Africains qui ont été formés à l’école française gardent, après un long séjour en France, des liens affectifs avec leur pays d’accueil. Ces Africains pourraient être considérés comme des interlocuteurs et alliés pour conclure des affaires en Afrique. Avec cette stratégie économique, la France, par l’intermédiaire de l’OIF espère développer une clientèle africaine « dépendante » aux systèmes de gouvernance, de management et de gestion principalement francophones.
En Afrique, la France est maintenant confrontée à la concurrence économique des nouvelles puissances économiques. Aussi, cette nouvelle donne l’a poussé à reconsidérer sa stratégie économique avec ses anciennes colonies. Dès lors, les politiciens africains devraient profiter de l’engouement de ces puissances étrangères pour le continent. Ils pourraient faire jouer la concurrence et consolider leur pouvoir de négociation pour faire bénéficier à leurs peuples les dividendes offerts par cette concurrence.
Noël Kodia, analyste pour Libre Afrique - Le 26 décembre 2014