Ouvrir la cage, c’est laisser l’oiseau partir. Vu négativement, ce thème fait la plupart du temps allusion à cet autre événement irréversible qu’est la perte de la virginité (voir L’oiseau envolé). Vu positivement, c’est un geste de libération qui peut avoir des significations très différentes selon le contexte : nous allons en présenter quelques-unes.
Portrait d’une jeune fille de la famille Stamford
William, Hogarth, vers 1730, Collection privée
L’oiseau s’envole vers la cascade : libération intentionnelle, puisque la petite fille a dirigé vers le parc la porte de la cage. Celle-ci est décorée d’un oiseau doré, signe du prix accordé à ce compagnon à plumes. Pourquoi donc l’avoir laissé s’échapper alors que le compagnon à poils, le petit chien, assiste tristement à ce départ, assis au pied d’une colonnade à la moulure ébréchée ?
L’envol de l’âme
L’oiseau qui s’envole pourrait être le symbole de l’âme qui retourne vers le ciel : malheureusement, parmi les demoiselles Stamford, aucune n’est morte jeune.
Le « bougeoir » vide
On a aussi remarqué que la fillette porte la main sur un bougeoir vide, double symbole de l’extinction et de la fugacité des choses (voir http://www.historicalportraits.com/Gallery.asp?Page=Item&ItemID=740&Desc=Young-girl-in-a-garden-|-William-Hogarth)
Or ce « bougeoir vide » est en fait le récipient à eau, fixé à l’extérieur de la cage pour empêcher l’oiseau de le souiller. Si nous nous rappelons que l’oiseau s’envole vers la chute d’eau, alors de détail pourrait effectivement donner la clé du tableau.
Retour à la Nature
De même que les deux arbres constituent l’antithèse naturelle des colonnes, de même la cascade abondante fait contraste avec le récipient d’eau plus ou moins croupissante. Tandis que le chien définitivement domestiqué reste côté Culture, l’oiseau en cage, qui n’a jamais perdu son instinct de liberté, retourne d’un coup d’aile à la Nature.
Lecture cohérente avec le caractère original de Henry, Troisième Comte Stamford : ce personnage pré-romantique a remodelé le paysage de son domaine de Envile Hall et fait construire des bâtiments de fantaisie : un temple classique dans une vallée, une passerelle gothique et une cascade.
Le titre du tableau pourrait donc être : Retour à la Nature dans un Jardin Anglais
La Cage à Oiseau, d’après un conte de Boccace
Turner, 1828, Tate Gallery
Ce tableau de Turner traite, sous une apparence très différente, sensiblement le même thème. Il prétend illustrer un conte de Boccace : or le seul récit du Décameron où il est question d’un oiseau est un passage grivois, sans rapport avec la scène représentée ici :
« Ils passèrent la nuit fort agréablement, et firent plusieurs fois chanter le rossignol ; mais pas si souvent qu’ils l’auraient voulu l’un et l’autre. Cet oiseau, pour reprendre haleine, mettait des intervalles dans son chant, qui n’en devenait que plus agréable chaque fois qu’il le recommençait. Dans un de ces intervalles, qui n’étaient pas fort longs, nos amants accablés soit de fatigue, soit de chaleur, furent surpris par le sommeil vers la pointe du jour. Ils étaient tout nus sur le lit, et la belle embrassait alors son amant du bras droit, et tenait de la main gauche le rossignol qu’elle avait fait chanter. » Boccace Décameron, V 4 Le rossignol
La référence à Boccace suffisait à suggérer une scène de libertinage, sans pour autant la montrer. Car cette assistance raffinée, en majorité féminine, ne se livre qu’à un innocent pique-nique dans une clairière, à côté d’une cascade. Les détails les plus audacieux sont ce jeune homme grimpé dans un arbre, à gauche, ce tabouret renversé ou cette ombrelle retournée. Personne ne s’occupe de la cage à oiseaux, au centre, dont on a soulevé le drap : elle n’est là que pour donner son sens au tableau.
Le château blanc avec sa tour de guet menaçante rappellent, à l’horizon, que cette joyeuse compagnie n’a quitté sa cage que pour un moment, le temps d’une escapade dans les bois.
L’Impératrice Eugenie et ses suivantes
Monticelli, vers 1860, Collection privée
Dans le pendant de gauche, l’impératrice est assise, songeuse, tandis que deux enfants jouent avec un petit chien. Dans celui de droite, elle est debout, émue, à la vue de ce pigeon libéré qui cherche à revenir vers sa cage, ouverte par les deux enfants.
Monticelli retrouve ici le thème hogarthien des bois libérateurs, et le contraste entre le chien domestique et l’oiseau, créature plus instinctuelle.
Il faut dire que la question d’une certaine cage faisait polémique, à l’époque :
La ville de Paris voulant englober la banlieue, caricature de Charles Vernier
La crinoline « cage », formée de cerceaux baleines ou de lames d’acier flexibles reliés entre eux par des bandes de tissus et attachés à une ceinture, avait été inventée en 1856.
Extérieurement, elle donnait aux élégantes des apparences d’oiseau, en tout cas d’objets aériens :
Manière d’utiliser les jupons nouvellement mis à la Mode, caricature de Daumier
La crinoline, objet paradoxal, libérait la silhouette tout en emprisonnant la femme dans une cage cachée.
Distraction
Jules Saintin, 1875, Collection privée
Même après la mise au rebut de la crinoline, la femme allait rester encore longtemps enjuponnée et corsetée. Dans ce tableau, le titre Distraction est à lire comme une aporie : la femme tente de se distraire en lisant, puis de se distraire de cette distraction en regardant dans le miroir s’il vient quelqu’un. Mais pas de visiteur en ce boudoir, sinon le spectateur.
Les deux perruches en cage disent l’emprisonnement dans l’amour conjugal. Autour, les cigognes du voilage ; les colombes de l’éventail japonais ; le perroquet, le coq et le cygne du paravent laqué : tout un peuple d’oiseaux libres est figé dans l’artificiel et le luxe.
A gauche, sur le guéridon arabe, des boudoirs et une mandarine suggèrent que cette femme-oiseau vit dans une cage dorée.
Un oiseau en cage (A Caged Bird )
Margaret Murray Cookesley, 1891, Collection privée
Pratiquement le même thème, transposé en style orientaliste : une odalisque trompe l’ennui en contemplant son perroquet.
Le narguilé, les perles, la tasse de café et les oranges sur le guéridon font partie des poncifs du harem : les douceurs de l’existence contre celles de liberté (voir Gazeuses déités).
La cruche couchée exhibant son orifice est plus originale, renvoyant au symbolisme direct des pots dans la peinture hollandaise, et rappelant la fonction unique de la recluse.
La claustra à l’arrière-plan éclaire la métaphore du titre : l’oiseau en cage est bien sûr la captive.
Quant au chat, il est monté en grade tout en se réduisant en épaisseur.
L’opposition classique du chat et de l’oiseau s’est transformée en une alliance entre trois êtres sauvages réduits au statut d‘objet :
- l’oiseau de compagnie,
- l’esclave sexuelle et
- la panthère en carpette.