Mais pour en savoir plus sur ce fameux appartement, le " nid " parisien de la famille (Le Figaro), mieux vaut ne pas en rester à la déclaration de patrimoine que, à l'instar de tous les ministres, Manuel Valls est obligé de remplir depuis l'adoption en 1988 de la loi sur le financement de la vie politique. Gageons que celle qu'il doit à nouveau (car il a été renommé à Matignon le 26 août) déposer à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) reprendra les mêmes éléments que celles qui furent publiées depuis son entrée au gouvernement, en 2012 : un " appartement de 88 m2 " acheté en 2006 à Évry, ainsi qu'un " appartement de 44 ", acquis à Paris en 2010 pour 315 000 euros, via une SCI. La Haute Autorité, institution indépendante créée en 2013 après l'affaire Cahuzac, a contrôlé en juin dernier sa première déclaration de Premier ministre. Et n'y a rien trouvé à redire.
Normal : le Premier ministre respecte la loi à la lettre. Il a déclaré les biens immobiliers dont il est propriétaire via une SCI dont sa femme possède 99 parts sur 100, et rien d'autre. Le cadastre, que Charlie a consulté, est formel. La SCI Homère détient deux lots de l'immeuble en question, en plein coeur du XIe arrondissement, bobo et populo à la fois. Il s'agit d'un WC donnant sur l'escalier et d'un petit appart de deux pièces au premier étage, comprenant entrée, séjour, chambre, cuisine et salle d'eau avec cabinets. On est d'accord : la règle déclarative a été formellement respectée.
Le seul souci, c'est que Manuel Valls ne vit pas dans un deux-pièces de 44 . L'appartement qui abrite les nuits de monsieur le Premier ministre comporte en tout, encore selon le cadastre, 16 lots de copropriété, ainsi que 2 caves. À lire le règlement de copropriété de l'immeuble, les lots réunis - dont 14 appartiennent en nom propre à Anne Gravoin, qui a épousé Valls sous le régime de la séparation de biens - permettent de regrouper pas moins de 7 pièces de séjour, 4 chambres, 5 salles d'eau ou salles de bains, ainsi que 5 cuisines et 2 terrasses. Sans parler de 6 locaux, entiers ou partiels, au rez-de-chaussée. On peut imaginer que, contrairement à l'affectation des habitations lors de la construction de l'immeuble, les cuisines ou les salles de bains en surnombre ont été transformées en chambres. Le Point, qui dressait le 1er avril 2014 le portrait de Valls, évoquait en tout cas un logement " bohème ". On en connaît d'autres qui adoreraient vivre dans une telle "bohème"...
En tout cas, il s'agit d'un lieu " charmant et ressourçant ", selon une amie du couple ( Le Figaro, 3 septembre 2013) : " Deux appartements qu'Anne a réunis au fil des ans, une petite terrasse au milieu, des lampions ", " de bric et de broc, de petites pièces... ", ajoute le journal. Au final, selon nos calculs, la surface totale des lieux se situe entre 210 et 250 . Soit, à quelque 8 000 euros du mètre carré (le bas de la fourchette...), un prix total s'élevant de 1,68 million à 2 millions d'euros.
Mais quand la presse s'est penchée sur la dernière déclaration de patrimoine de Valls, elle n'y a vu que du feu. Les Échos, L'Obs, Le Huffington Post et d'autres racontent ainsi qu'il " dispose de deux appartements, un dans l'Essonne et un appartement de 44 mètres carrés à Paris ". L'Express et Le Monde du 16 avril 2013 sont plus précis, notant qu'il est propriétaire de " une part sur 100 d'un appartement de 44 dans le XIe arrondissement de Paris, acheté avec son épouse... ". Les lecteurs imaginent donc que Valls et sa famille vivent dans un simple deux-pièces. Seul Le Canard enchaîné a évoqué un jour " un bel appartement ", au détour d'un article sur les SDF virés du quartier en raison de la présence de l'auguste personnage.
Faut dire que Valls, qui n'a pas souhaité faire de commentaires à Charlie, s'est bien gardé de contredire les journaux. Quant à la Haute Autorité, elle est tenue de contrôler le " patrimoine personnel " des ministres, pas " leurs conditions de vie ", explique une porteparole. " La loi a clairement exclu les biens des conjoints. " Mais les textes n'avaient pas prévu les talents prévu les talents de communicant de certains ministres...
Lauret Léger, chronique parue dans Charlie Hebdo n°1163