Dernière œuvre du maître de l’animation japonaise Hayao Miyazaki, Le vent se lève est aussi l’un des plus grands évènements ciné de l’année 2014. Retour en quelques lignes sur cette magnifique pépite.
Si le critique de cinéma se doit d’informer, d’analyser et de décortiquer les films afin d’aider les lecteurs à choisir ceux qu’ils iront voir en salle (ou non), il se doit également de hiérarchiser : un bon film doit être traité comme tel, et un chef d’œuvre doit se voir attribuer les louanges qu’il mérite. Les chefs d’œuvre, justement, Miyazaki les collectionne depuis plus de trente ans. Si sa carrière débutait en fanfare au moment de la création des studios Ghibli avec son ami Isao Takahata (Nausicaa de la valée du vent, Mon voisin Tototro…), c’est à partir de la fin des années 1990 que les succès vont s’enfiler les uns derrière les autres. Il suffit de penser au tiercé gagnant Princesse Mononoké, le Voyage de Chihiro et le Château Ambulant, pour se convaincre que nous parlons là d’un des animateurs les plus importants dans l’Histoire du cinéma d’animation. Lorsque sortait sur les écrans Le vent se lève, au début de l’année, nous savions déjà qu’il s’agissait du film-testament de Miyazaki, qui avait annoncé à la Mostra de Venise qu’il prenait sa retraite et qu’il s’agissait là de sa dernière œuvre. Si le film a quelque peu divisé les inconditionnels aussi bien que les critiques, cela est en partie du au fait que même âgé de 73 ans et n’ayant plus rien à prouver, il a abordé ce film avec une réelle volonté de renouveler son style une fois encore.
Si Miyazaki s’est rendu maître dans l’invention d’univers féériques où se croisent sorcières délurées, monstres divers et mondes imaginaires, il nous prouve ici qu’il n’est pas en reste lorsqu’il s’agit de se mouvoir dans un monde beaucoup plus réaliste. Le vent se lève est librement inspiré de la vie de Jîro Horikoshi (1903-1982), concepteur de bombardiers japonais. Plongé dans le japon du début du XXème siècle, Miyazaki nous restitue les ambigüité d’un pays en plein développement, forcément confronté à des choix radicaux afin de prendre le train de la modernité, alors en pleine marche. L’onirisme cher à l’animateur japonais se retrouve ici au service des ambivalences et questionnements métaphysiques du héro.
Jiro Horikoshi, l’homme qui a inspiré le film d’Hayao Miyazaki
Face à une réalité par nature complexe et multiple, le jeune Jiro se réfugie dans des rêves qui donnent lieu à certaines des plus belles séquences jamais réalisées par Miyazaki. La tornade de couleurs et d’effets visuels laisse pantois devant tant de maitrise et convainc même les plus réticents d’admettre qu’il atteint un niveau d’aboutissement visuel, rarement vu sur un écran de cinéma pour un « dessin animé ». Donner une représentation visuelle au vent au cinéma, élément central dans le film, relève de la gageure. Ici il prend la place d’un élément physique naturel rapprochant les personnages entre eux (nous pensons à la magnifique scène de la rencontre amoureuse). Il sera aussi le support des expérimentations aéronautiques du héros, ou encore de ses élans poétiques. Le film n’est jamais aussi convaincant que lorsqu’il rend à ses personnages leurs paradoxes. Pris entre une ambition professionnelle, nourrie par une passion née dans son enfance, et l’amour d’une femme, Jiro est un homme auquel il est aisé de s’identifier car le film lui restitue la complexité propre à tout individu, souvent partagé entre ses propres rêves et la réalité. Aussi, loin de tout manichéisme, l’identification à ce personnage est réelle mais n’en reste pas moins parfois malaisée. Le spectateur est lui-même placé dans une positon inconfortable : celle d’une forte empathie pour un personnage mettant ses talents au service de la construction d’engin de guerre. En effet, aussi attachant soit-il, Jiro porte une partie de la responsabilité de la mise en service de funestes avions de guerre. Et son attitude envers sa dulcinée n’est pas, elle non plus, vierge de tout reproche. Affublée d’une tuberculose qui l’emporte lentement, elle se voit délaissée peu à peu par un mari trop occupé.
Considéré comme l’un des plus éminents représentants de la culture nippone à travers le monde, Hayao Miyazaki s’est attiré de vives critiques au sein de son propre pays, tant le portrait qu’il dresse du Japon est dénué de concessions et de complaisance. Il n’a pas vocation a présenter un personnage auquel on s’identifie pour son héroïsme mais un homme qui s’impose à nous parce qu’il est pétri de contradictions. Ici se loge la portée philosophique de ce conte : la vie se résume parfois à composer avec ce que nous sommes pour tracer un chemin, et « tenter de vivre » quand le vent se lève. C’est à cette introspection poétique et métaphysique que nous invite le film, en citant à plusieurs reprises les vers de Paul Valéry issus du Cimetière marin. Le vent se lève restera au final comme un dernier coup de maître, un brillant point final à une carrière exemplaire, tout en suscitant des réactions probablement attendues (et espérées ?) par son créateur. Voilà une sortie remarquablement osée pour un homme qui n’avait plus aucune preuve à faire.