Fondé sur un casting alléchant et des événements fascinants qui ont laissé d'inaltérables traces dans l'imaginaire collectif, le film de Cédric Jimenez s'est très vite positionné comme étant un film de référence, un porte-étendard d'un cinéma hexagonal en plein doute, qui se cherche des valeurs, une identité, reniant son passé tout en saluant ses ancêtres. La campagne, élégante, s'appuyait sur une bande-annonce redoutablement efficace culminant dans une scène où les deux protagonistes se faisaient face. Le décor était planté : au-delà de l'enquête proprement dite sur les milieux mafieux marseillais et leur implication dans un trafic de drogue à l'échelle internationale, on allait assister à un duel entre deux personnalités.
Le fait est que le film passe son temps à souffler le chaud et le froid, mettant en place quelques morceaux incontournables, des respirations pendant lesquelles on assiste à des scènes de famille en parallèle (le Juge Michel et le chef de la pègre étant montrés comme deux pères attentionnés), des scènes d'action nerveuses au dynamisme systématique (les plans caméra à l'épaule devenant fatiguants à la longue) et des dialogues manquant souvent de pertinence. Sur le papier, on s'attendait à une montagne, tout en questionnant l'opportunité de certains choix artistiques : le projet était clairement ambitieux, et demandait sans doute autre chose qu'un metteur en scène appliqué et consciencieux. Le casting d'ailleurs suit la même logique : s'il est vraiment difficile (et malvenu) de critiquer le choix des têtes d'affiche, certains visages détonnent dans la distribution (Eric Collado, ancien pote de Dujardin du temps des Nous ç Nous, semble constamment emprunté, mal à l'aise), d'autres déçoivent (Magimel fait vraiment de la peine en s'essayant à l'accent méridional), compensés par quelques bonnes surprises, dont l'apparition de Feodor Atkine en un Gaston Deferre savoureux.
La French n'est pas un mauvais film, loin de là. Solidement charpenté, il sait s'appuyer sur ses bons atouts de naissance et notamment un contexte prometteur (le crime organisé dans la cité phocéenne pendant les années 70, ses interactions avec le show-business, la police et les milieux politiques), un héros inattaquable (Pierre Michel, qui, certes, a usé de moyens à la limite de la légalité et a sacrifié sa vie de famille mais constamment guidé par une volonté farouche de ne pas laisser les criminels impunis) et des acteurs charismatiques. Dujardin rayonne, évidemment, avec son aisance naturelle, il campe un juge impliqué, véritable Croisé, constamment sur le terrain, qui saura par sa détermination s'allier les policiers les plus sincères. Le film suit d'ailleurs exclusivement son parcours, entre l'an 1976 où il est nommé Juge au Grand Banditisme et l'année de son exécution, sous Mitterrand. Le script ne s'y trompe pas, statufiant littéralement le personnage et édifiant en face de lui un Gaétan Zampa plus grand que nature que Lellouche a eu la bonne idée d'interpréter sobrement, se concentrant sur son autorité incontestable, ses très rares failles (le sentiment qui le lie à son groupe au coeur de l'Organisation, son attachement à sa famille) et l'aura qui l'entoure plutot que de chercher des tics de langage ou des postures outrées. Inévitablement, on pense à Heat avec un scénario qui s'écarte volontiers de la réalité pour faire de cette lutte contre le crime organisé un duel de personnalités et d'egos. Les deux hommes ne se rencontrent d'ailleurs que deux fois et ne se parlent que lors de la séquence sur une route côtière qui a abondamment été diffusée en teaser.
Très dense, l'histoire retrace ainsi l'accélération des opérations de police sous l'impulsion d'un juge inarrêtable, les coups de mains de la D.E.A. américaine, les petites victoires et les désillusions d'un justicier entraîné dans la spirale qu'il a créée, se découvrant Don Quichotte lorsque les implications lui font remonter des filières jusque dans les plus hautes sphères politiques. Du coup, les pauses évoquées plus haut, qui contribuent en outre à enrichir l'environnement des deux forces antagonistes (Zampa, bien que caïd véritable et implacable, n'est pas un monstre sans coeur et il souffre chaque fois qu'un de ses proches est menacé), sont nécessaires pour ne pas étouffer le tempo inhérent à une enquête aussi vaste. Malheureusement, certaines péripéties, quand bien même elles seraient inspirées de faits réels, peinent à convaincre (l'exécution ratée du "Fou" et sa vengeance contre l'Organisation). Quelques retournements de situation sont habilement menés cela dit, et on n'a pas le temps de s'ennuyer malgré la durée conséquente du métrage. Y manque
sans doute un véritable style, le regard d'un créateur sur cette affaire, qui aurait transcendé la redoutable direction artistique (décors bluffants de réalisme, bande son adéquate) et les moyens techniques mis en oeuvre. Car si les événements ne peuvent qu'intéresser, le film peine à passionner et ne procède que par à-coups. Le finale, d'ailleurs, est ce qu'il y a de plus frustrant, abandonnant presque l'affaire pour souligner la perte du juge, un peu comme si personne ne savait vraiment comment conclure.
Titre original
La French
Réalisation
Cédric Jimenez
Date de sortie
3 décembre 2014 avec Gaumont
Scénario
Cédric Jimenez & Audrey Diwan
Distribution
Jean Dujardin, Gilles Lellouche, Mélanie Doutey, Benoît Magimel & Feodor Atkine
Photographie
Laurent Tangy
Musique
Guillaume Roussel
Support & durée
35 mm / 135 min
Synopsis:Marseille. 1975. Pierre Michel, jeune magistrat venu de Metz avec femme et enfants, est nommé juge du grand banditisme. Il décide de s’attaquer à la French Connection, organisation mafieuse qui exporte l’héroïne dans le monde entier. N’écoutant aucune mise en garde, le juge Michel part seul en croisade contre Gaëtan Zampa, figure emblématique du milieu et parrain intouchable. Mais il va rapidement comprendre que, pour obtenir des résultats, il doit changer ses méthodes.
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