Le Grand Tertre

Publié le 25 décembre 2014 par Arsobispo

J’ai cherché dans ma cave une bonne bouteille afin de l’offrir à un de mes amis à l’occasion de Noël. Je cherchais un grand vin – voire un très grand vin – qui ne soit pas une star du marché ni un lieu commun pioché dans les grands vignobles. Je voulais surtout une bouteille qui corresponde à mes goûts personnels, un vin de terroir mais aussi de vigneron. Un vrai, un artisan du vin, produisant une boisson naturelle issue d’une terre encore vierge de pesticide, fruit de ceps locaux qu’on ne fait pas "pisser" ; en somme l’expression d’une histoire et d’une culture

Mon choix s’est porté sur une bouteille de côtes du Tarn, "Grand Tertre" 2002 de Michel Issaly, vigneron émérite de Gaillac, qui n’était pas, lorsque nous nous sommes rencontrés, le Président national du groupe des Vignerons indépendants.

Grand Tertre 2002

Vous noterez que cette bouteille ne porte pas l’AOC Gaillac. Michel Issaly ne se préoccupe pas de cette appellation désuète qui ne correspond plus à rien sinon aux effets commerciaux sur les ignorants. «  le vin, c'est boire la vérité d'un terroir » dit-il. Il plaide pour que la réglementation exclut explicitement l'usage des copeaux de bois et des levures inopportunes.

Cette bouteille est bien le symbole de ce que devrait être la viticulture française ; un retour aux sources et un respect de la nature. Et qui en parlera mieux que Michel Issaly qui précise poétiquement sur l’étiquette  ces informations « Le génie du vin est dans le cep, mais son expression résultera de l'aptitude des racines à exprimer la minéralité du sol. La vigne libérera l'obscurité profonde de la roche mère en luminosité aromatique. C'est la variabilité climatique du millésime qui concentrera et matérialisera l'âme du vin. L'essence véritable du vin est esthétique, à la lisière des arts. Tout comme le peintre, le vigneron traduira cette richesse du terroir en ambiances et harmonies.

Ce vin doit rester le liquide du ciel et de la terre : la boisson suprême. ».

Michel Issaly aère peu ses vin, volontairement, afin d’en conserver l’expressivité. Du coup, avant de le déguster, il doit être absolument carafé, sans précaution, longuement,  afin que le gaz carbonique naturel de la fermentation puisse s’en échapper et que ses arômes s’expriment. Et là, l’étonnement !On ne sait plus ce qu’on boit. Un vin sauvage, rappelant un sous-bois d’été, cuit par de fortes chaleurs, aux épices grillées. On serait tenté de le désigner comme un vin de garage sauf qu’il possède une authenticité et un naturel que ces derniers ne possèdent pas.  D’autant que le fumet animal que l’on détecte ferait plus penser à une bergerie des causses qu’à un atelier de mécanique. Une puissance et une longueur en bouche qui ne se démentent pas tout au long de la bouteille. Certes ce vin est atypique. Je le reconnais. On l’adore ou on le déteste. Et dans ce dernier cas, c’est sans doute que l’on goûte peu les surprises. Question de goût ! Je ne suis pas là pour convaincre qui que ce soit. Je veux simplement rendre hommage à un vin élaboré avec passion. L’explication – du moins en partie - de cette fabuleuse originalité ? Ce "Grand Tertre est élaboré avec des ceps Prunelart (75%) et Braucol (25%).

Philippe Seguier[1] dit du premier « Il y avait trois variétés cultivées dans le gaillacois. Le Prunelart commun, le muscat et le bordelais appelé aussi plat de Cahors, Cot ou Malbeck. Il concourut jusqu’au phylloxéra pour le tiers ou la moitié dans le vin noir de coupage. On disait de lui " il a beaucoup de corps et un bon goût ce qui donne facilité au commerce de fortifier les vins de Bordeaux " (et toc !). Il s’agit probablement du plus ancien des cépages gaillacois. Il est également appelé Cot à queue rouge et fait donc partie de cette grande famille des cots qui comprend quelques célébrités tel que le Malbec du côté de Cahors. Robert Plageoles nous rapporte[2] qu’Olivier de Serres notait, dans "Le théâtre de l’agriculture ", que le prunelard  faisait partie au XVIsiècle des vins les plus prisés du royaume.

Livre Le vignoble de Gaillac

Philippe Seguier dit du second « Ce cépage que l’on dit avoir quelques liens de parenté avec les Cabernets est synonyme de Fer Servadou. Il a un port érigé, de vigueur moyenne, caractérisé par des grappes compactes moyennes et coniques. Les baies sont noires, ovoïdes moyennes, à pellicule épaisse. Il doit être cultivé sur des sols caillouteux ou maigres. Peu sensible aux gelées, il peut être planté sous n’importe quelle exposition. Il donne un vin coloré, bien constitué, fin et très typé ; il peut être consommé jeune, mais également après quelques années de vieillissement ». C’est un cépage qui produit peu et, à ce titre, est délaissé. La langue occitane donne une indication riche de sens, "servadou " signifie "qui se conserve ". En outre, il est des plus résistants au mildiou, d’où l’emploi réduit de souffre. Pour toutes ces raisons, ne devrait-il pas intéresser plus de viticulteurs ?

Livre Le vin de Gaillac

Michel Issaly poursuit le travail qu’a exercé son père Maurice sur le domaine de la Ramaye, propriété ancestrale de la famille où se sont succédé 5 générations depuis 1847, au cœur des terres de Sainte-Cécile, berceau de l’appellation. Faible rendement, autant sur les rouges (25 hectolitres) que les doux (16), des récoltes manuelles et une vinification en fûts de chêne. Mais il faut visiter le domaine de la Ramaye pour comprendre également la philosophie du vigneron. Michel Issaly ne travaille que de petites parcelles entourées de haies sauvages. Il laisse pousser l'herbe entre les échants, n'utilisant jamais de désherbant, afin de conserver de la biodiversité.  Après deux ou trois tontes, l'herbe coupée fertilise la terre, sans autre apport de produit étranger afin de conserver la spécificité du sol. La terre, l'herbe et les haies exercent alors les échanges avec la vigne, préservent le sol nourricier, sans l’hypothéquer tout en concourant à notre bonheur.

Ma rencontre avec Michel Issaly

Je pourrais parler des heures de Michel Issaly, être chaleureux et disert sur la passion qui anime son activité. Les autres vins qu’il produit sont tous exceptionnels. Nous avions conclu la dégustation avec sa toute nouvelle production, une eau-de-vie de Mauzac qu'il avait fait distiller chez un artisan extraordinaire à ses yeux et notamment pour ses alcools de poire, Laurent Cazottes de Villeneuve sur Bère. Je pourrai également parler de sa mère – cuisinière exceptionnelle - avec qui nous avions poursuivi une conversation plus gastronomique. Michel devait d’ailleurs publier un livre de ses recettes. Je ne sais s’il a pris le temps de le faire. On en trouve toutefois sur son site ; soupes, salades, tartes, cochonnailles et plats de gibiers, sans oublier ces délicieux tastets et tastous ! Qu'est-ce ? A vous de le découvrir ici.

Domaine de la Ramaye. Sainte Cécile d’Avès. Gaillac.



[1] "Le vignoble de Gaillac" sous-titré " Parce que les vins d’avenir ont toujours un passé". Editions Daniel Briand 1991

[2] "Le vin de Gaillac " sous-titré "2000 ans d'histoire". Fernand Cousteaux et Robert Plageoles. Editions Privat 2000. Mais aussi, et surtout, le formidable "La saga des cépages gaillacois et tarnais en 2000 ans d’histoire " chez Jean-Paul Rocher Editeur 2006.