Putain il est 9h du mat’, on est le 24 décembre, le jour est levé, un ciel bleu nuageux. Demain c’est Noël et je suis là comme un con à pleurer sur mon clavier en pensant à lui. A Enzo. Les larmes qui coulent. Pourquoi avoir attendu ce jour des cadeaux pour vous parler du livre « Réparer les vivants » de Maylis de Kerangal (clic), le récit d’une transplantation cardiaque, le récit d’une vie qui s’en va, celle de Simon, et de celles qui continuent, les parents, la famille, les amis, la malade transplantée. Des vies à réparer avec le cœur et les souvenirs d’un autre. L’histoire d’un enfant et des heures qui s’ensuivent jusqu’à la mort, les parents séparés qui se retrouvent dans un bar, Bashung en fond sonore, les mots qu’elles cherchent, le courage qu’il faut trouver, les termes exacts à employer pour ne pas laisser d’espoir, la violence qu’il faut extraire de soi…
…mais elle ne se retourne pas, se tient debout face à lui, une main posée à plat sur la table assurant un appui à son corps chancelant, l’autre pendue le long du corps, ils se regardent une fraction de seconde, puis un pas et ils s’étreignent, une étreinte d’une force dingue, comme s’ils s’écrasaient l’un dans l’autre, têtes compressées à se fendre le crâne, épaules concassées sous la masse des thorax, bras douloureux à force de serrer, ils s’amalgament dans les écharpes, les vestes et les manteaux, le genre d’étreinte que l’on se donne pour faire rocher contre le cyclone… (p89)
Tout est juste dans ce bouquin, l’écriture est belle, précise, les mots, les phrases, les images, tout vous transperce comme si la souffrance était vôtre. La souffrance est mienne. J’ai aimé, chialé tout seul dans le métro, dévoré ce livre qui parle de la mort comme d’une fin et d’un début, sans tous les baratins psychologisants stupides sur le deuil, ses phases et ses emphases.« Enterrer les morts, réparer les vivants » : on trouve cela dans le Platonov de Tchékhov (clic) et c’est bien là tout ce dont il s’agit après le Jour, essayer, échouer, repartir, assembler, désassembler, rien n’est linéaire, on tombe, on se relève, on repart, on trébuche. Le deuil ne suit pas une courbe mais une piste chaotique, un sillon, qui vous ramène toujours à celui qui n’est plus.
J’ai relu ce matin le passage où l’infirmier qui accompagne les derniers instants de Simon exécute les ultimes doléances des parents, ces prénoms à murmurer à l’oreille de Simon plongé dans un profond coma, la musique pour l’accompagner, tout ce qui reste à dire quand on n’a plus le temps de rien, vertige du vide et de l’après qui ne peut être comblé même par un déluge de mots…
Ce qu’il lui murmure alors, de sa voix la plus humaine, bien qu’il sache que ses mots s’abîment dans un vide létal, est la litanie promise, celle des prénoms de ceux qui l’escortent ; il lui chuchote que Sean et Marianne sont avec lui, Lou aussi, et Mamé, il murmure que Juliette l’accompagne…… puis Thomas sort de sa poche les écouteurs qu’il a stérilisés, et les insère dans les oreilles de Simon, allume le baladeur piste 7, et la dernière vague se forme à l’horizon, en avant des falaises, elle monte jusqu’à envahir tout le ciel, se forme et se déforme, déployant dans sa métamorphose le chaos de la matière et la perfection de la spirale… (p242-243)
Aujourd’hui c’est le 24 décembre et si vous n’avez pas fait de cadeau ou même si, courez acheter « Réparer les vivants » de Maylis de Kerangal (clic) et offrez-le à ceux que vous aimez. Comme ça. Tout simplement. Pour se rappeler ce qu’aimer et vivre signifient.
Joyeux Noël à tous et à toutes, et à toi aussi Enzo, là où tu es.