Le moins qu'on puisse dire c'est que ça résiste, ça se laisse pas apprivoiser sans rechigner un peu. Juste ce qu'il faut pour qu'on s'interroge. Est-ce mon cerveau ce soir qui patine un peu ? Est-ce le comédien qui tronque son texte ? Est-ce la richesse de la langue de l'auteur ? C'est qu'il n'y va pas de main morte en maniant le stylo comme un sabre.
On se rebelle et puis on s'amollit. On accepte les mots nouveaux qui enrichiront notre lexique. Certains viennent de très loin comme la Sorgue qui remonte à la Cour des Miracles du XVI° siècle et qui dans la pièce désigne la nuit. On se coule dans les circonvolutions syntaxiques de Pascal Tédès. On choisit son camp en se liant, provisoirement bien sûr, avec l'un ou l'autre des cinq personnages qui grouillent dans le marigot.
En tout cas on est secoué, c'est certain.
Parce que ... Eh ben oui, y'a toujours un ogre ... Un croque-mitaine en maraude à choisir ses proies au beau milieu de la maraille ... (Mélendez)
Mandel, l'auteur, semble taper le texte en le murmurant dans sa barbe comme si sa pensée entrait en résonance. Y a des gens comme ça, ça file tout droit (...) nos rêves c'est rien que de la viande périmée. (Moukine) alors que Stenka est aux éreintes de la nuit.
Le rire est dans le cœur, le mot dans le regardLe cœur est voyageur, l´avenir est au hasard
Kadaverde est la forme idéale pour un lieu comme le Rond-Point et je me demande si Jean-Michel Ribes a conscience de l'intérêt à l'accueillir. Le décor est abouti. Lui aussi oscille entre un imaginaire pur et dur et la netteté de quelques signifiants. Les costumes sont très justes. L'ogre maculé d'une éclaboussure cramoisie, la jeune SDF en tenue de camouflage pour n'en pointer que deux.
Quelques plans video qu'on découvre en laissant vaquer notre regard amorcent une scène, parfois.
Si Kadaverde était un plat cuisiné il serait épicé, pour sûr, et on aurait envie de se resservir.
Je n'avais pas lu la distribution avant le début du spectacle et j'ai été saisie par la cohésion qui liait les comédiens sur le plateau. C'est rare. Il faut reconnaitre qu'ils sont excellents et qu'ils ont une spécificité qui les soude puisqu'ils sont membres d'une même famille. Comme le dit Pascal en souriant : nous sommes un peu les Gruss du théâtre !
Libre à vous d'y aller ou pas. Mais ne vous privez pas d'une secousse qui vous captivera du début à la fin.
En 1996, le Carambole a été choisi, dans le cadre de la politique culturelle des quartiers, pour animer un site pilote du Ministère de la Culture à Mulhouse, autour d’une quarantaine de jeunes en difficulté et d’une dizaine d’adultes dans la même situation. Le résultat aboutit à la création d’un spectacle de douze heures, Les Légendes de l’obscurité, qui aura été joué sur quatre jours dans plus de vingt lieux de la ville. Cette aventure humaine et artistique, qui devait durer six mois, s'est prolongée pendant deux ans, avec le soutien de la DRAC d’Alsace.
Fin 2001 Pascal Tedes s’est installé dans le Morvan, où il met en scène et répète avec sa compagnie Crève la gueularde. La pièce sera créée au Théâtre des Lisières à Strasbourg, reprise à Pantin, puis à la Maison de la Culture de Nevers en juin 2004. C'est d'ailleurs dans cette ville que Le Carambole est aujourd’hui établi.
Kadaverde aux Déchargeurs
Jusqu'au 20 déc 2014, du mardi au samedi à 19h
Texte de Pascal Tédès
Avec Nathalie Jadot, Pascal Tédès, Faustine Tedeschi, Roman Tedeschi et Florian Wormser
Mise en scène de Pascal Tédès
Les Déchargeurs / Le Pôle, 3, rue des Déchargeurs, RDC Fond Cour, 75001 Paris
Création : Le Carambole Théâtre