Center Parc de Roybon : ordonnances de référé du tribunal administratif de Grenoble

Publié le 23 décembre 2014 par Arnaudgossement

Le Juge des référés du tribunal administratif de Grenoble vient de rendre plusieurs ordonnances relatives à la réalisation d'un projet de village vacances à Roybon. Analyse d'une situation qui n'est satisfaisante pour personne.


Procédure de référé et procédure au fond

Les décisions qui ont été rendues publiques aujourd'hui sont des ordonnances de référé. Il convient de faire la différence entre la procédure au fond et la procédure de référé.

- Procédure au fond : une décision administrative peut tout d'abord faire l'objet, de la part d'une personne morale ou physique ayant intérêt à agir, d'un recours tendant à son annulation. Il s'agit d'un "recours au fond". Il tend à l'annulation de la décision litigieuse. Cette annulation, si elle est prononcée, fera disparaître la décision de notre droit. Cette procédure au fond est d'une durée moyenne d'un an et demi. Elle permet aux parties (requérant, auteur de la décision, bénéficiaire de la décision, autres intervenants) de s'exprimer par écrit devant le Juge administratif saisi, lequel dispose de plusieurs pouvoirs d'instruction.

- Procédure de référé : une décision administrative, aprés avoir fait l'objet d'un recours en annulation, peut faire l'objet d'une requête en référé suspension (notamment). Plusieurs conditions doivent être réunies pour que le Juge des référés accepte de suspendre l'exécution d'une décision administrative dont le jugement sur le recours en annulation n'est pas encore intervenu.

L'auteur de la demande de suspension devra démontrer :

1. l'existence d'un motif d'urgence. Dans certains cas, le requérant peut être dispensé de la preuve de l'urgence. Dans d'autres cas, le Juge pourra se dispenser de l'examen de l'urgence.

2. l'existence d'un "doute sérieux" sur légalité de l'autorisation (un moyen de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision entreprise, en l'état de l'instruction.

A noter : 

- même lorsque les deux conditions précitées sont réunies, le Juge des référés n'est pas tenu de suspendre s'il estime que l'intérêt général s'oppose à cette suspension.

- le juge des référés ne statue pas définitivement sur la légalité d'une décision. Il lui est simplement demandé de dire s'il existe un "doute sérieux". Le juge du fond pourra, dans le sens inverse, lever ce doute et dire que la décision suspendue est en définitive parfaitement légale. Précisons par ailleurs que le juge des référés ne peut ordonner que des mesures provisoires.

Une ordonnance de référé n'a donc pas pour objet de clore un dossier.

Les décisions litigieuses

Pour pouvoir être réalisé, un projet du type de celui d'un village vacances suppose la délivrance de plusieurs autorisations administratives. Il peut s'agir, selon les cas  de permis de construire, d'une autorisation de défrichement, d'une autorisation de destruction d'espèces protégées, d'une autorisation "loi sur l'eau... Au cas présent, le tribunal administratif de Grenoble a été saisi, par des associations de protection de l'environnement et par des fédérations de pêche, de plusieurs recours tendant à l'annulation,

- d'une part d'un arrêté du 3 octobre 2014 par lequel le préfet de l'Isère a accordé à la SNC Roybon cottages une autorisation au titre de l’article L. 214-3 du code de l'environnement (police de l'eau)

- d'autre part, d'un arrêté du 16 octobre 2014 du préfet de l’Isère autorisant la SNC Roybon Cottages à capturer, enlever ou détruire des spécimens d’espèces protégées et à détruire ou altérer leurs habitats 

Les requérants ont doublé leurs recours au fond, de recours en référé-suspension.

La suspension de l'exécution de l'autorisation délivrée au titre de la "loi sur l'eau"

Par une première ordonnance en date du 23 décembre 2014, le Juge des référés du Tribunal administratif à la demande de fédérations de pêche, suspendu l'exécution l’exécution de l’arrêté du 3 octobre 2014 par lequel le préfet de l'Isère a accordé à la SNC Roybon cottages une autorisation au titre de l’article L. 214-3 du code de l'environnement.

Pour mémoire, l'article L.214-3 du code de l'environnement précise notamment :

"I.-Sont soumis à autorisation de l'autorité administrative les installations, ouvrages, travaux et activités susceptibles de présenter des dangers pour la santé et la sécurité publique, de nuire au libre écoulement des eaux, de réduire la ressource en eau, d'accroître notablement le risque d'inondation, de porter gravement atteinte à la qualité ou à la diversité du milieu aquatique, notamment aux peuplements piscicoles. (...)"

S'agissant de la condition d'urgence, le Juge des référés a jugé que celle-ci était remplie dés l'instant où, comme l'article L.123-12 du code de l'environnement le prévoit,

"1. Considérant que si la requête fait mention en son en-tête de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, elle se prévaut expressément du premier alinéa de l’article L. 123‑12 du code de l’environnement, lequel dispose que « Le juge administratif des référés, saisi d’une demande de suspension d’une décision prise après des conclusions défavorables du commissaire-enquêteur ou de la commission d’enquête, fait droit à cette demande si elle comporte un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de celle-ci » ; que cet article trouve à s’appliquer dans le présent litige, la commission d’enquête ayant rendu des conclusions défavorables à l’octroi de l’autorisation sollicitée, de sorte que la suspension de la décision attaquée n’est pas soumise à la condition d’urgence prévue par le régime général de référé suspension institué par l’article L. 521-1 du code de justice administrative ; 

 Les requérants étaient donc "dispensés" de la preuve de la preuve dés l'instant où la commission d'enquête a émis un avis défavorable. D'où l'importance de cet avis : il ne lie pas l'autorité compétente pour statuer sur la demande d'autorisation mais

S'agissant de l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité de l'autorisation, le Juge des référés a estimé qu'un tel doute existait :

"2. Considérant qu’en l’état de l’instruction, le moyen tiré de ce que le projet de village de vacances Center Parcs de Roybon aurait dû, eu égard à son coût prévisionnel, faire l’objet d’une saisine de la commission nationale du débat public au titre du I de l’article L. 121-8 du code de l'environnement, est propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée et ce, sans qu’y fasse obstacle la circonstance que l’autorisation en litige ne porte que sur certains travaux qui, pris isolément, n’atteignent pas le seuil fixé par l’article R. 121-2 du code de l'environnement, ni celle que la SNC Roybon Cottages bénéficie pour son projet d’un permis de construire devenu définitif ; qu’est également propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée, le moyen tiré de l’insuffisance des mesures compensatoires à la destruction et à l’altération de zones humides au regard des exigences fixées par l’article L. 211-1 du code de l'environnement et le SDAGE Rhône-Méditerranée ;"

Le Juge des référés a donc relever deux "doutes sérieux"

1. le projet de village de vacances Center Parcs de Roybon aurait dû, eu égard à son coût prévisionnel, faire l’objet d’une saisine de la commission nationale du débat public

2. l’insuffisance des mesures compensatoires à la destruction et à l’altération de zones humides au regard des exigences fixées par l’article L. 211-1 du code de l'environnement et le SDAGE Rhône-Méditerranée 

L'absence d'un intérêt général s'opposant à la suspension de l'exécution de l'autorisation litigieuse. Le Juge des référés a estimé qu'un motif d'intérêt général ne s'opposait pas à la suspension demandée :

"3. Considérant, il est vrai, que les dispositions de l’article L. 123-12 du code de l'environnement ne font pas obstacle à ce que le juge des référés, saisi d’une demande tendant à la suspension de l’exécution d’une décision prise après avis défavorable du commissaire-enquêteur ou de la commission d’enquête, écarte, à titre exceptionnel, cette demande, même si l’un des moyens invoqués paraît propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée, lorsque la suspension de l’exécution de cette décision porterait à l’intérêt général une atteinte d’une particulière gravité ; que toutefois, au cas d’espèce, l’impact indéniable du projet sur l’activité économique, tant dans sa phase de construction que dans celle d’exploitation, le fait qu’il créera un nombre d’emplois permanents estimé à 1 000 dans un bassin d’emploi caractérisé par un fort taux de chômage, comme le constat qu’il générera un important surplus de recettes fiscales pour les collectivités territoriales, ne peuvent conduire à considérer que la suspension de la décision attaquée porterait à l’intérêt général une atteinte d’une particulière gravité ;"

Rappelons que cette appréciation du Juge des référés peut être infirmée : soit par le Conseil d'Etat saisi d'un pourvoi en cassation, soit par le Juge du fond du tribunal administratif de Grenoble lorsqu'il statuera sur le recours en annulation. Il est donc trop tôt pour conclure à l'arrêt définitif de ce projet de village vacances.

Le refus de suspension de l'exécution de l'autorisation de destruction d'espèces protégées

Par une deuxième ordonnance en date du 23 décembre 2014, le Juge des référés du Tribunal administratif a refusé de suspendre en référé l'exécution de l'arrêté du 16 octobre 2014 du préfet de l’Isère autorisant la SNC Roybon Cottages à capturer, enlever ou détruire des spécimens d’espèces protégées et à détruire ou altérer leurs habitats.

L'ordonnance est lapidaire mais il est exact que le Juge des référés, contrairement au Juge du fond, n'est pas tenu de donner les motifs de sa décision :

"3. Considérant qu’en l’état de l’instruction, aucun des moyens invoqués n’est propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée ; que, dès lors, et sans qu’il soit besoin d’examiner si la condition d’urgence est remplie, la demande de suspension d’exécution doit être rejetée"

Conclusion

Il n'est bien sûr pas question, n'étant pas dans le dossier et ce dossier n'étant pas terminé, de commenter ni le bien fondé ou la légitimité des positions exprimées par les parties au procès, ni la motivation de ces ordonnances. Soulignons simplement que la situation n'est réellement satisfaisante pour personne. Le maire de Roybon a raison lorsqu'il déclare que ce n'est une victoire pour personne.

La situation n'est pas satisfaisante, ni pour le maître d'ouvrage, ni pour les élus qui ont investi depuis longtemps dans ce projet en ayant sans doute le sentiment de respecter toutes les règles applicables. Dés lors que l'hypothèse d'un recours était élevée, il est fort probable que le droit avait été analysé avec plus d'attention encore, notamment par l'administration.

La situation n'est pas satisfaisante pour l'environnement : on peut en effet imaginer que certaines autorisations déjà délivrées, continuent d'être exécutées comme celle relative au défrichement et à la destruction d'espèces protégées. ce qui est assez incohérent du point de vue écologique. Il est temps que le droit et la procédure du permis unique évolue pour avoir ou non une autorisation globale d'un projet.

La situation n'est pas satisfaisante pour les opposants : outre la nécessité pour des associations d'investir du temps et de l'argent dans des recours en justice, la suspension obtenue n'est, pour l'instant, que partielle (le référé espèces protégées est rejeté) et provisoire. Les jugements au fond devraient en effet intervenir avant juin 2015.

La situation n'est pas satisfaisante sur le plan démocratique : le nécessaire dialogue environnemental ne peut être organisé devant ou par le Juge. C'est toujours un échec de la participation du public lorsque le débat finit en recours.

Arnaud Gossement

Selarl Gossement avocats