Magazine Bien-être
Il n’est sans doute qu’une seule discipline à cultiver : la transparence. Transparence de la chair, transparence du visible, comme si chaque chose, chaque être portait en lui son propre horizon. L’infini n’a pas besoin de grands espaces pour se manifester. L’invisible est ce qu’on n’a pas besoin de voir, puisqu’il est d’abord nous-mêmes.
Il n’est qu’une seule force ici-bas : le silence de la prière, comme un reflux du monde, jusqu’au plus profond de moi-même, pour mieux le redéployer. L’esprit ne sera jamais que le sentiment de la vie parvenu à un tel degré de pureté que nous devenons lumière pour ceux qui nous approchent. La vie un moment rendue au silence, les yeux se rouvrant pour laisser passer le nom de Dieu, qui ne se prononce pas, mais se murmure d’une lueur.
Tout est intérieur, au visible, je ne dois que la réalité d’une foi se risquant dans des gestes, cette voix qui porte des mots toujours anciens et toujours nouveaux par la vie que je leur transmets, la porte entrouverte de mon visage, les chuchotements qui s’en échappent parfois, mais ce que je suis, je ne le dois qu’à la vie cachée en Dieu.
La solitude la mieux pourvue ne porterait aucun fruit si elle ne pouvait absorber le visage étranger, si elle ne savait se laisser dissoudre à son tour par l’image imparfaite d’une unité toujours à venir, souffrante mais en travail, avec ces bonheurs parfois d’entendre à côté de soi un cœur battre dans la même clarté intérieure, comme l’or tapissant le fond des peintures anciennes, loin derrière les figures muettes, ciel de lumière qui nous porte un instant, pour un chant, ou pour un regard aux mystérieuses perspectives.
Il nous faudrait achever le rêve des bâtisseurs de cathédrales : ajourer les murs en sorte que l’édifice tout entier ne soit plus qu’un grand vitrail, composé de la multitude de nos visages, laissant transparaître une lumière inoubliable. On me reprochera un manque de réalisme, quand plus loin on se bat, quand des hommes crient de faim, quand si près d’ici l’injustice œuvre à visage découvert. Je creuse des chemins à mains nues, dans une chair qui est aussi la leur, en sabrant dans l’épaisseur coriace, jusqu’à la lumière encore lointaine. Il ne s’agit pas d’une fuite vers des havres de paix, loin du tumulte ou de la fureur, mais d’un combat plus âpre et plus silencieux, sans bannières ni banderoles, en chacun de nous la lente naissance d’une humanité nouvelle qui ne peut croître qu’en regardant toujours plus haut.
La pierre est dure, la veine revêche. Qui, aujourd’hui, veut être encore le Christ, une ride à son front, une plaie de son côté ? Lui consacrer l’offrande d’une vie, jusqu’en ses moindres replis, ses plus petits instants, pour qu’elle devienne à son tour sacrement, signe visible de sa présence invisible. Je ne saurais témoigner que de son œuvre en moi, afin que tous croient, sinon par mes paroles, au moins par ce qu’il aura fait de moi : prolonger ses chemins, toujours mieux le comprendre pour mieux le transmettre, donner des mots nouveaux à ce qu’il a toujours été mais que nous savons si mal partager.
Je ne prendrai pas la tête d’un cortège. Je voudrais simplement te dire, là où tu es, d’habiter la solitude qu’il creuse en toi, et de gravir l’échelle qu’il donne à chacun, jusqu’à ce que nous nous retrouvions en haut, tous ensemble, quand nous découvrirons que notre labeur n’était pas si vain et que nos heures les plus silencieuses nous disaient déjà l’universel.
Philippe Mac Leod est écrivain et a publié plusieurs livres et recueils de poésie.
Son dernier ouvrage, les Signes de Lourdes. Un chemin d’universalité, est paru aux éditions Bayard.
(source : La Vie 10-2014)