Voici trois livres idéaux pour ces situations, mais pas que, trois recueils de textes courts ou de phrases à picorer.
Qui prononce le nom de Jean-Marie Gourio pense immédiatement aux "Brèves de comptoir", recueillies au fil des jours dans les bistrots, dont de nombreux volumes ont paru depuis 1987 (Robert Laffont, J'ai lu, Pocket, Points). Il s'en est quand même vendu plus d'un million d'exemplaires!
Jean-Marie Gourio se prête à un exercice un peu différent dans "Haïkus de mes comptoirs" (Le Castrol Astral, 200 pages) puisqu'il a composé lui-même presque tous les textes de ce recueil. D'abord de charmants poèmes japonais en trois vers, saisissant l'instant, "le presque rien, à l'image de ces propos fugaces si souvent entendus [aux comptoirs des bars et des cafés]", ensuite des textes courts répondant aux appellations "L'été au comptoir", "Pensées pressées" et "Rêves de comptoir".
A noter que ce titre très joliment façonné avec ses trèfles porte-bonheur est le millième que publie Le Castor astral, éditeur qui fête aussi ses 40 ans d'indépendance en ce mois de décembre. C'est en effet en décembre 1974 que Jean-Yves Reuzeau et Marc Torralba, alors étudiants à Bordeaux en Carrières du livre, imprimaient eux-mêmes une première plaquette de poésie. Depuis lors, 999 autres titres ont suivi, toujours exigeants dans leur domaine, que ce dernier soit la littérature, la poésie, la musique ou les curiosités.
Quelques exemples de ces haïkus empreints de légèreté et de rêverie, de gaieté aussi. Ecrits pour le bonheur d'écrire. "Soyons des paratonnerres", écrit Jean-Marie Gourio en conseil aux jeunes auteurs dans sa préface, "attirons sur nous la foudre en poudre des mots. Sans bouger."
"Rodin à tablepetit enfantvolcan de purée"
"Le vieux coqdans le vinrit de l'hospice"
"Quand la vue baissela nuit tombe plus tôt"
La partie "L'été au comptoir" réunit des textes courts, parfois très courts, parfois sous la forme de poèmes. De petits concentrés de bonne humeur et de non-sense, de gourmandises et de cocktails, de rêves et d'impossibilités diverses, d'hommages à Roland Topor et de choses encore plus variées, comme cet "Alexandrin sans chaussettes".
Les "Pensées pressées" sont de courtes phrases empreintes de bon sens. Cela commence ainsi: "C'est bien fichu les nuages, on voit pas comment ça tient."
Quant aux "Rêves de comptoir", ils sont les rêves minuscules qu'a entendus Jean-Marie Gourio, toujours équipé d'un carnet où les noter. Comme des petits ballons d'hélium qui entraînent ailleurs, qui permettent de vivre et de dire sans honte. Des petits porte-bonheur aussi, à l'image de celui-ci: "Si c'était que moi, le trèfle à quatre feuilles porterait bonheur à partir de deux feuilles".
"Haïkus de mes comptoirs" est un petit livre léger et parfois grave, débordant d'une amitié contagieuse. Un porte-bonheur.
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Attention, j'interroge! Qui sait ce qu'est un "tautogramme"? Pas une tautologie (= lapalissade) ou une tautomérie (terme utilisé en chimie). Non, un "tautogramme".
C'est tout simplement un jeu littéraire consistant à composer une phrase ou un texte dont tous les mots commencent par la même lettre.
On en a de beaux exemples, titrés, dans l'impeccable recueil de Jacques Perry-Salkow et Frédéric Schmitter "Petits propos pessimistes pour plaisanter presque partout" (illustrations de Benjamin Monti, Edition des Equateurs, 126 pages).
Un livre bien entendu dédié "A Alphonse Allais,
aux auteurs absurdes,
aux amuseurs atrabilaires,
aux abonnés absinthe."
Un recueil à recommander à tous ceux qui aiment la mauvaise humeur, car on y râle sec. Mais il est bien difficile de réprimer un sourire quand on lit les définitions des mots choisis, et c'est encore plus compliqué quand une image à l'ancienne de Benjamin Monti s'ajoute aux mots des auteurs, créant alors un excellent rapport texte-images.
Exemple avec le premier des "Petits propos pessimistes": c'est un dodo qui a pris possession d'un lit à baldaquin en face de
"ExistenceEpreuve éliminatoire."
Ou alors cette page sur les "Jouvencelles".
Une double page de "PPPPPPP". (c) Equateurs.
On peut aussi ouvrir le livre au hasard, pour ses belles surprises. Ainsi,
"Charlie ChaplinChapeau, canne, chaussures clownesques... Cent crétins claudicants caricaturentcahin-caha ce clochard céleste."
Toutes les lettres de l'alphabet sont passées à la moulinette du tautogramme taciturne cultivant l'art de voir tout en noir.
Ainsi
"QuatuorQuintette que quelque querelleur quitta."Ou
"Peine perduePourquoi plaire puisque pareil privilège passe? Pourquoi proliférer, produire, posséder plus, puisque partout pleuvront pierrailles, projectiles pyroclastiques? Pourquoi persévérer, putain? Perdu pour perdu, picolons plutôt!"Ou encore
"Costa Concordia- C5.- Croiseur coulé!"
Un grand coup de chapeau aux auteurs de ces innombrables images désenchantées de notre planète qui sauront réjouir les plus pessimistes et ne parviendront pas à désespérer les plus optimistes. Comme quoi, humeur et humour sont bons voisins.
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Eric Didier a aussi l'habitude de griffonner ce qu'il entend. Mais il le fait après les séances, car il est psychanalyste pour enfants en difficulté en région parisienne. "La petite bête qui monte ça me terrorifie" (illustrations de Tom Henni, Le Nouvel Attila/Le Ravin bleu, 92 pages) réunit ces paroles d'enfants à un psy.
Quel choc que ce recueil de paroles d'enfants, brutes, fruit de trente années de travail.
"J'ai pas le droit au bonheur,
c'est comme cela."
"Je suis comme une enveloppeenvoyée sans timbre et sans adresse.""Mon appétit il part en voyage,
il prend des vacances.
Comment l'installer dans ma tête?"
"Six ans qu'elle est morte maman...Elle doit être en poussière.""Quand il y a de la joie dans l'air,
je me prends mon paquet de joie."
"Je viens parler pour oublier."
Des phrases qui en disent long sur ces enfants qui ont eu, eux, la chance de croiser un tel psychanalyste sur leur chemin. Eric Didier a recueilli le ressenti de drames, des énigmes mais aussi des rêves. Des amours fous et des haines. Il a su entendre ce qui se disait derrière les mots et il nous prête ces paroles d'enfants, vraies, incarnées, à ne pas toujours prendre à la lettre, prévient-il, mais à toujours prendre au sérieux.