d'après MOUCHE de Maupassant
Nous étions quatre amis dont l’orgueil
Etait de posséder à Argenteuil
Une barque baptisée à l’Envers.
Nous nous amusions tant naguère
Qu’il me parait difficile de se distraire plus.
Il y avait là Poussez-repu.
Tomahawk, le plus spirituel.
N’a qu’un œil, portant monocle
Et daignant peu toucher aux pelles.
Moi, on m’appelait Basocle.
Nous formions une équipe joyeuse.
Un seul regret : l’absence de barreuse.
Elle est indispensable sur une yole.
Et puis une femme pimente, affriole.
Un samedi matin,
N’a qu’un œil, nous présenta enfin
L’équipière tant espérée.
Mouche était vive, délurée,
Et excellente barreuse.
Nous l’adoptions
Pour toutes ces raisons.
N’a qu’un œil l’asseyait
Sur ses genoux
Et l’embrassait
Devant nous.
Mouche fut vite jugée :
Elle n’avait aucun préjugé.
Avec nous trois, elle a trompé
N’a qu’un œil.
Pourquoi eut-elle été fidèle ?
Les dames de la société le sont-elles !
On la lui laissait
Les dimanches à Argenteuil
Mais des lundis aux samedis,
Nous en profitions à Paris.
Ce qui pour des canotiers dissipés
N’était presque pas tromper !
Quand nous lui avons demandé :
« D’où vient ton surnom de Mouche ? »
Elle ne sut quelle raison inventer.
N’a qu’un œil, alors, ouvrit la bouche
Et nous expliqua : « Elle papillonne
Et se pose sur toutes les charognes ! »
Trois mois après,
Mouche nous parut désemparée.
Elle devenait nerveuse, irritable
Parfois même désagréable.
Sans cesse, on la questionnait :
-« Qu’est-ce que tu as ? »
Elle répondait :
-« Rien. Laissez-moi. Ça va.
Je suis enceinte.» Alors,
D’un commun accord,
Nous lui avons promis
D’adopter le bambin.
Mouche nous serra la main
Et répondit :
-« Oh !, mes amis,
À vous quatre, un grand merci ! »
Depuis ce jour, elle nous appela
’’Mes quatre papas’’.
Un matin, notre belle aventurière
Voulut sauter à terre
Avant que nous ayons accosté.
Elle heurta le rebord du quai
Et disparut dans l’eau.
Nous l’avons repêchée aussitôt.
La fausse couche dura des heures
Dans d’atroces douleurs.
Elle supporta sans murmure
Cette abominable torture.
Émus de la voir tant souffrir,
Nous lui avons dit, sans rire :
-« Console-toi, petite Mouche chérie,
Nous t’en ferons un autre. Promis ! »