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#Palestine, #Israël
Le Comptoir : Les députés ont voté le mardi 2 décembre dernier la reconnaissance française de l’État palestinien. Qu’en pensez-vous ?Julien Salingue : Précisons que les députés viennent de voter qu’ils «invitaient» le gouvernement à reconnaître l’Etat palestinien, ce qui n’est pas une petite nuance. C’est-à-dire que c’est une invitation qui n’a pour le moment aucun effet concret et qui, en réalité, n’en aura pas. Le gouvernement ne reconnaîtra pas l’Etatpalestinien, car ce n’est pas la stratégie actuelle de la diplomatie française qui dit qu’il faut plutôt relancer les négociations et ne pas froisser l’État d’Israël. Alors pourquoi ce vote et pourquoi maintenant ? Je pense qu’il y a de plus en plus de gens, y compris parmi les députés socialistes, qui prennent conscience, notamment depuis cet été, que beaucoup de Français sont sensibles à la question palestinienne, notamment dans leur électorat ou ex-électorat. Ils se sont donc dit qu’il était peut-être temps de faire un geste, aussi symbolique soit-il, en direction de cet électorat qu’ils ont peur de perdre.La seconde chose, c’est que c’est un mouvement européen : plusieurs responsables politiques de l’Union européenne (UE) sont, je le pense, assez excédés par l’Etat d’Israël, y compris par son attitude vis-à-vis des pays européens. C’est symbolique, or c’est une manière de dire aux responsables israéliens que tout n’est pas permis. Concrètement, cela ne débouchera sur rien et ne changera pas la situation là-bas, il ne faut pas se faire d’illusion.Et quels intérêts la reconnaissance de l’État palestinien pourrait représenter pour le gouvernement français et pour sa diplomatie ?Le seul intérêt que pourrait avoir le gouvernement français, ça serait de redorer son image dans le monde arabe. Celle-ci est depuis pas mal d’années, notamment avec la présidence Sarkozy, largement écornée, et encore plus depuis cet été avec les déclarations de l’Elysée au début des bombardements sur Gaza. Ça serait l’occasion de renouer avec ce mythe d’une diplomatie française autonome, notamment vis-à-vis des États-Unis, et parfois critique d’Israël.Tradition chez les présidents français qui remonte à De Gaulle et va jusqu’à Chirac…Exactement. C’est le gaullisme « historique », l’idée d’une indépendance, ou au moins d’une autonomie diplomatique. Même si cela ne correspond plus à grand-chose, et que l’idée d’une politique « pro-arabe » était largement surfaite, cette image se perpétue. On inaugure des rues « Jacques Chirac » à Ramallah… Le seul intérêt qu’aurait le gouvernement Hollande-Valls, ce serait donc de renouer avec cette posture et cette image. Mais, en termes d’influence concrète sur l’évolution des événements là-bas, une reconnaissance formelle n’aurait absolument aucun impact, tout simplement parce que l’Etat d’Israël ne comprend pas ce langage. Le seul langage qu’il comprenne, c’est la menace de sanctions, assortie par un passage à l’acte. Il suffit de se souvenir que la Palestine a été admise à l’ONU comme Etat non-membre il y a deux ans, ça n’a absolument pas empêché l’État d’Israël de continuer à coloniser ou de bombarder Gaza cet été. Tant qu’il n’y aura pas de politique concrète, tant qu’Israël ne sentira pas concrètement que sa politique a un coût, économique et diplomatique, rien ne bougera.Les événements récents à Jérusalem nous ont rappelé que la ville est au cœur du conflit. En quoi le partage de Jérusalem est-il important pour les Palestiniens et les Israéliens ? Vu l’importance qu’a cette ville dans les trois monothéismes, ne faudrait-il pas plutôt en faire une cité indépendante et internationale ?La résolution 181 de l’ONU prévoyait un statut international pour Jérusalem, sans partage. C’était une zone sous statut international, mais ça n’a jamais été respecté. D’un côté, l’État d’Israël a annexé Jérusalem, y compris sa partie arabe au début des années 1980, et a proclamé que c’était sa capitale une et indivisible et n’a rien voulu entendre. De l’autre côté, il y a les Palestiniens qui souhaiteraient une souveraineté sur la ville de Jérusalem, ou au moins sur sa partie arabe, entre autres celle qui abrite les lieux saints.Tout le problème étant que la politique d’annexion d’Israël s’est accompagnée de contraintes de colonisation. Aujourd’hui, il y a 200.000 colons à Jérusalem-Est et dans la banlieue environnante, ce qui a coupé la ville de son arrière-pays en Cisjordanie. Le but est d’obtenir, par une politique de fait accompli, une très grande majorité juive pour empêcher tout partage. Quelles peuvent être les solutions ? Un partage international de la ville: pourquoi pas ? Mais de mon point de vue, cela ne doit pas se faire pour des raisons religieuses, mais pour des raisons politiques. Si les Palestiniens sont attachés à Jérusalem, ce n’est pas parce qu’ils y prient, mais parce qu’ils y vivent. De même, si les Palestiniens de Cisjordanie veulent aller dans cette ville, ce n’est pas que pour y prier. Il faut se rappeler que, jusqu’en 1993, Jérusalem était le poumon économique de la Cisjordanie. En réalité, Jérusalem est un carrefour humain, politique, économique et religieux. Il ne faut pas se contenter du prisme religieux. Qui plus est, il ne peut y avoir de solution à la question de Jérusalem sans un règlement de l’ensemble des questions (colonies, réfugiés, etc.).En France, beaucoup de pro-Palestiniens affirment que les médias seraient entre les mains des «sionistes». De l’autre côté, beaucoup de pro-Israéliens reprochent aux mêmes médias d’accabler le gouvernement israélien. Quel est le traitement médiatique du conflit dans l’Hexagone ?Les médias ne sont ni pro-Israël, ni pro-Palestine, mais ils sont médiocres, de manière générale, en ce qui concerne le traitement du conflit opposant Israël aux Palestiniens. Il y a quand même des journalistes qui font du bon travail, y compris dans de grands médias, et il ne faut pas le sous-estimer. Mais le « bruit médiatique », les grands titres et la couverture un peu mainstream, sont très dépolitisés. On oublie les enjeux de fond et on court après les événements : les attentats, les bombardements, les assassinats, etc. Et on saute d’un événement à un autre sans jamais donner d’éléments de fond. On dépolitise et on « déshistoricise ». J’avais appelé cela, dans un article publié il y a quelques années, « le syndrome de Tom et Jerry ». On a l’impression qu’on a affaire à deux adversaires qui se tapent dessus et se courent après, mais on ne sait jamais pourquoi. C’est ce qui permet de comprendre pourquoi une partie de l’opinion qui a des sympathies pour la cause palestinienne a l’impression que les médias sont pro-Israël. Comme les questions de fond ne sont jamais rappelées et que, sous prétexte de fausse neutralité, il y a un traitement qui se veut «équilibré», que la parole est autant donnée aux uns qu’autres, que l’on veut montrer les réalités vécues par les uns et par les autres, on oublie qu’il y a un occupant et un occupé. Après, qu’il y ait des pro-Israëliens qui considèrent que la couverture est pro-palestinienne, c’est soit de la mauvaise foi, soit c’est parce qu’aujourd’hui, défendre la politique de l’Etat d’Israël, c’est défendre une politique de droite, voire d’extrême droite, et que les médias ne le font (heureusement) pas. Il ne faut pas oublier qu’il y a quand même un gros travail mené par certains journalistes, mais que ce qui est montré n’est pas la réalité dans sa complexité, et les moyens ne nous sont pas offerts pour comprendre. Dans ces conditions, une majorité du public se désintéresse, ou se dit que les choses sont trop compliquées et que les torts doivent être partagés.Les manifestations de cet été en faveur du peuple palestinien ont été le théâtre de dérives antisémites, certes minoritaires, mais visibles quand même. Le rôle des organisations de gauche n’était-il pas de prévenir et de se désolidariser au mieux de toutes marques d’antisémitisme ?Je pense que la gauche au sens large et le mouvement de solidarité avec la Palestine en particulier se sont largement démarqués de toute manifestation d’antisémitisme, et ce depuis bien longtemps. Ce n’est pas parce que dans une manifestation de 20.000, 30.000 ou 40.000 personnes, il y a trois abrutis avec une caricature antisémite, qu’il faut en tirer des conclusions concernant la nature des manifestations. Le cordon existe depuis longtemps et j’estime qu’en réalité il y a une peur (liée à une pression) qui fait que le mouvement de solidarité se sent en permanence obligé de se justifier. Ce phénomène dénote plutôt une surestimation de la réalité de l’antisémitisme en son sein.Je pense qu’il faut être très clair : le mouvement de solidarité avec la Palestine n’a rien à voir avec l’antisémitisme. Les forces solidaires des Palestiniens rappellent que c’est une question politique et non une question ethnique ou raciale. J’estime que le boulot est largement fait. Par contre, il y a deux véritables dangers.Le premier, c’est qu’il peut y avoir certains courants comme Egalite & Réconciliation (Alain Soral) qui veulent surfer sur le mouvement de solidarité avec la Palestine (sans en être membres) pour diffuser des messages antisémites en facilitant les amalgames ; c’est une menace bien réelle qu’il ne faut pas sous-estimer.Le second, c’est qu’il peut y avoir des amalgames qui sont favorisés par certains des soutiens inconditionnels d’Israël. Parce que quand dit: « les Juifs de France soutiennent l’État d’Israël », il entretient l’amalgame. Quand des groupes ultra-sionistes appellent à des rassemblements de soutien à Israël devant des synagogues, ils entretiennent l’amalgame.Surtout qu’il y a des Juifs qui soutiennent la Palestine et qui ont manifesté cet été…Oui, c’est vrai. Les amalgames viennent donc également de certains parmi ceux qui soutiennent l’Etat d’Israël et je pense qu’il faudrait leur demander autant de comptes, voire davantage, qu’au mouvement de solidarité, car ce ne sont pas des individus isolés qui entretiennent cet amalgame-là, mais des forces institutionnalisées comme le CRIF. De même que l’Etat d’Israël lui-même qui se proclame être l’«Etat des Juifs» et prétend agir «pour le Peuple juif» entretient les confusions dans lesquelles certains s’engouffrent. Ce genre d’amalgame n’est pas de la responsabilité du mouvement de solidarité pour la Palestine. Il serait temps de l’admettre et de questionner publiquement l’ensemble des «amalgameurs».Le polémiste et théoricien national-socialiste Alain Soral qui monte actuellement son parti, Réconciliation national, est-il le grand gagnant des événements de cet été et des faiblesses de la gauche gouvernementale sur le sujet? Et ces événements ont-ils révélé une inquiétante convergence entre extrême gauche anti-impérialiste et extrême droite antisémite ?Il n’y a aucune convergence entre ces forces, pour la simple et bonne raison que la gauche authentiquement anti-impérialiste ne veut rien avoir à faire, et n’a rien à voir, avec ce type de courants-là. Il n’y a donc pas de convergences possibles. Ce n’est pas parce que certains individus basculent vers Soral, alors qu’ils avaient plutôt une identité de gauche, que cela correspond à un mouvement de fond des organisations. Il ne faut pas surestimer ce phénomène, même s’il ne faut pas non plus sous-estimer le phénomène Soral. Mais il a également montré toutes ses limites cet été. Je ne pense pas qu’il en sorte gagnant, au contraire. Plus il y a de mobilisations organisées sur la question palestinienne et plus il est perdant. Parce que Soral et sa bande ne mobilisent pas sur la question palestinienne. Qu’est-ce qu’ils proposent comme perspective aux gens au nom de leur antisionisme ? Rien ! Parce qu’en vrai, cela ne les intéresse pas, Soral et ses amis. Eux, ils veulent s’appuyer sur une critique justifiée de la politique israélienne et un sentiment d’indignation légitime pour prospérer, en mélangeant soigneusement antisionisme et antisémitisme. L’«antisionisme» de Soral n’est pas un vrai antisionisme. Je le dis et le répète : Soral n’est pas antisioniste.L’antisionisme, c’est l’opposition au projet historique de construction d’un État juif en Palestine et maintenant que cet État existe, c’est l’opposition à sa perpétuation comme Etat juif et discriminatoire. L’«antisionisme» de Soral est une opposition à un sionisme qui serait une entité transnationale qui gouvernerait le monde, qui aurait une politique bancaire, une politique économique, une politique sociale, etc. Ça n’a rien à voir avec le sionisme ! Je veux dire, que «le sionisme» n’a pas d’opinion sur le mariage homo ou sur la crise économique ! Non, le sionisme est un courant politique précis, avec différentes sensibilités en son sein, qui voulait la création de l’Etat d’Israël et veut le maintenir tel quel. Derrière cet amalgame, nous savons très bien que ceux qui sont visés ne sont pas les sionistes, mais les Juifs. Il ne faut pas sous-estimer le danger, mais il ne faut pas être sur la défensive.Ceux qui sont authentiquement solidaires des Palestiniens et ont témoigné de cette solidarité ces dernières années, ce n’est pas la bande à Soral. C’est le mouvement de solidarité avec la Palestine qui a construit la campagne de boycott, qui construit des partenariats avec des Palestiniens. Le combat, il faut le mener en faisant de la politique, et ça sera le seul moyen de couper l’herbe sous le pied des Soral et compagnie. Je précise également que le vote du Parlement français, aussi symbolique soit-il et malgré les arrière-pensées électoralistes de nombre de parlementaires socialistes, témoigne quand même d’un élément important: contrairement à ce que Soral raconte, ce n’est pas le Crif, le gouvernement israélien ou Bernard-Henri Lévy (BHL) qui décident de la politique française. Car le Crif, le gouvernement israélien et BHL étaient opposés à la résolution parlementaire, et l’ont fait savoir. Les députés ne s’engagent certes pas à grand-chose, mais la décision qu’ils ont prise est l’inverse de ce que voulait le Crif.C’est quand même la démonstration claire que le lobby pro-Israël – qui évidemment existe et peut avoir par moments une emprise, notamment lorsque ses positions font écho aux vues du gouvernement français – n’est pas si puissant que cela. Ensuite, cela montre que ce qui pèse, ce n’est pas les discours de dénonciations stériles, mais ce sont les vraies mobilisations, qu’il s’agisse des manifestations de cet été ou du développement, depuis de longues années, de la campagne BDS (Boycott – Désinvestissement – Sanctions).Pour en revenir une dernière fois aux mobilisations de cet été, que pensez-vous de certains cortèges que nous pourrions qualifier de «communautaires», je pense notamment au collectif Cheikh Yassine qui a manifesté avec la gauche ?Je pense que les sources de la solidarité avec la Palestine peuvent être nombreuses. Ça peut être la tradition anti-impérialiste de la gauche radicale. Ça peut être religieux: la majorité des Palestiniens sont des musulmans. Il peut y avoir un mobile «communautaire» également, qui découle d’une identification avec une population arabe agressée. Les vecteurs peuvent être multiples et je ne juge pas des motivations: il n’y en a pas une qui soit a prioriplus valable, ou plus digne, que les autres. Le vrai problème est de savoir comment est posée la question palestinienne. Si tu la poses en termes strictement religieux ou communautaires, tu es largement à côté de la plaque.C’est une question politique, territoriale, coloniale. Mais, on peut avoir des motivations différentes et poser la question de la même façon. Après, que dans des manifestations se retrouvent des courants plus «communautaires» ou plus religieux, moi ça ne me choque absolument pas, à partir du moment où ils sont très clairs, comme le reste des courants politiques (je ne leur demande pas davantage de comptes qu’aux autres) sur, par exemple, l’absence d’amalgames entre antisionisme et antisémitisme ou sur le refus de toute discrimination au sein du mouvement de solidarité. A partir du moment où tout le monde est d’accord sur le fait qu’il ne faille pas tout mélanger et que nous sommes sur un pied d’égalité quelles que soient notre religion ou notre couleur de peau, c’est bon. Dans le cas contraire, il faut rompre avec les groupes et groupuscules qui ne sont pas clairs là-dessus.Le reproche que je ferais à Cheikh Yassine, puisque ce groupe était mentionné dans la question, porte sur ce point. Ils influencent des gens très sincères et actifs dans la mobilisation, mais ils sont prêts à intégrer n’importe qui et travailler avec n‘importe qui, sous prétexte qu’il faut être le plus nombreux possible pour défendre les Palestiniens. Or, à un moment donné, même si tu es plus nombreux – ce qui reste à démontrer – si tu tolères dans tes rangs, ou près de toi, des gens qui font des amalgames et mélangent tout, tu dessers la cause palestinienne. En gros, il faut juger au cas par cas et poser les questions très clairement, dans un rapport d’égalité avec les autres groupes, sans le paternalisme qui domine encore trop souvent chez certaines forces du mouvement de solidarité. C’est-à-dire que je ne suis pas celui qui décide qui a le droit ou qui n’a pas le droit de venir, mais à partir du moment où nous nous mettons d’accord sur le cap et le contenu d’une manifestation, nous devons les respecter. Et ceux qui ne les respectent pas ne doivent pas s’étonner de ne pas être les bienvenus.La gauche de la gauche dénonce à juste titre les dérives du gouvernement israélien et de «Tsahal», ladite Armée de défense israélienne. Mais on l’entend cependant moins sur celles Hamas qui n’est ni réputé pour son pacifisme, ni pour sa modération. Sa vision n’est-elle pas trop idéologique ? Ce sont quoi «les dérives du Hamas» ?Je pense à sa charte qui reste violente ou encore à sa branche armée…Tous les groupes palestiniens ont une branche armée. Pour prendre les choses dans l’ordre, sur les moyens d’action utilisés par les Palestiniens, la première chose à rappeler est qu’à l’heure actuelle, aucun parti politique palestinien – à l’exception du Parti communiste palestinien, qui se nomme actuellement «Parti du peuple palestinien» – n’a renoncé à la lutte armée. C’est vrai pour le Fatah ou une large partie de la gauche. Nous pouvons comprendre pourquoi: ils restent sous occupation et sont victimes d’une agression militaire. Le simple fait de se défendre militairement paraît logique et légitime. À plusieurs reprises les Nations-Unies ont consacré le droit des peuples sous occupation de se défendre par les armes. Alors de mon point de vue, c’est tout à fait légitime. Après, sur la stratégie, «est-ce que c’est utile et est-ce que c’est le moment ?», j’ai envie de dire que ce sont les Palestiniens qui sont le mieux placés pour le savoir, car ce sont eux qui vivent les bombardements, les contrôles et la répression. Ils en discutent entre eux. Ils ont des désaccords. Par moments, ils suspendent la lutte armée et par moments, ils la reprennent.Je suis très méfiant, pour être poli, vis-à-vis de ceux qui, très confortablement installés dans leurs canapés dans les pays occidentaux, disent au peuple palestinien: «Attention avec vos armes, ça vous dessert». Ça fait soixante-dix ans que les Palestiniens luttent, a priori, ils savent à peu près ce qu’ils font. Et même s’ils font des conneries, je ne suis pas là pour juger à leur place. Et surtout, c’est le troisième point, la moindre des choses quand on est de gauche, c’est d’être solidaire des droits des Palestiniens et ne pas conditionner ce soutien aux choix tactiques qu’ils utilisent. Même si je n’étais pas d’accord avec la manière dont ils luttent, je ne cesserais pas d’être solidaire de leurs droits.De même, pour finir sur cette question, je ne conditionne pas mon soutien aux représentants que ce peuple a choisi d’élire. Car, il ne faut pas oublier que la dernière fois où il y a eu des élections, le Hamas était majoritaire. S’il y en avait de nouvelles aujourd’hui, on ne sait pas ce que cela donnerait, mais il est probable que le Hamas resterait majoritaire.Après, nous avons le droit de dire que nous ne sommes pas d’accord avec telle ou telle organisation. Mais je ne suis pas pour une focalisation sur le Hamas, parce que pendant les quinze ans de l’application des accords d’Oslo, personne n’a dit grand-chose sur l’OLP et le Fatah. Alors qu’au niveau de l’autoritarisme, de la corruption et de la répression, ils n’étaient pas tout blancs, loin de là, et ce y compris sur les questions religieuses. A Ramallah, il y a une police qui fait respecter le ramadan dans les rues par exemple : c’est une police de l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas.Après, en tant que militant de gauche – ou d’extrême gauche –, j’ai un projet de société différent du Hamas, ça c’est clair. Donc, j’ai des partenariats privilégiés avec des organisations politiques avec lesquelles je me sens plus proche, à savoir la gauche palestinienne. Mais je ne m’interdis pas de discuter avec des gens du Hamas de mes désaccords, tout en les considérant comme des égaux.Pour conclure, j’entends bien ce truc qui consiste à dire que si l’on critique Israël, il faut également critiquer les dérives au sein du peuple palestinien. Je ne suis prêt à le faire que si nous n’oublions pas que les organisations de gauche et progressistes – et c’est valable pour l’ensemble de la région – ont été détruites systématiquement par les régimes en place et par Israël, avec les soutiens des pays occidentaux, et qu’elles ne vont pas se reconstruire par miracle. Les Palestiniens au départ n’étaient pas derrière des courants religieux, et on a refusé de leur donner leurs droits. Quand ils étaient dans la négociation, on a refusé de leur donner leurs droits. C’est donc un peu facile de leur dire aujourd’hui qu’il faut négocier et ne pas être derrière les organisations religieuses. Ils ont essayé un moment, mais ça n’a pas marché. Et par ailleurs, ça ne durera pas éternellement.Vous avez répété plusieurs fois au cours de cet entretien que le conflit est avant tout politique et non religieux, et vous avez raison. Mais, le recours au religieux tend à prendre le pas sur le conflit politique. D’abord, qu’en pensez-vous ? Ensuite, importer le conflit à l’intérieur de nos frontières ne risque-t-il pas d’attiser les conflits communautaires et d’instaurer un climat de guerre civile en France, où nous avons les plus fortes communautés musulmane et juive d’Europe ?La question de l’importation a plutôt tendance à me faire sourire. Car personne n’«importe» la question palestinienne en France. Par contre, l’Europe et, en l’occurrence, la France, a exporté ses conflits là-bas. Parce que la colonisation et la partition souvent artificielle du monde arabe sont dues à la France, à la Grande-Bretagne etc., et à leurs rivalités. Le génocide pendant la Seconde Guerre mondiale vient des pays européens. Et nous avons exporté nos conflits intra-européens dans cette région du monde. Donc, il ne faut pas s’étonner après qu’il y ait un retour de bâton : c’est logique et parfaitement normal. Il n’y a pas de raison de parler d’importation : nous avons exporté nos conflits !Qui plus est, à partir du moment où le gouvernement français prend des positions sur le conflit israélo-palestinien, il est logique que la population se positionne ou manifeste si elle n’est pas d’accord, comme sur toutes les autres questions. Je refuse ce terrorisme de «l’importation». C’est une question légitime, et c’est normal que la population d’un pays comme la France prenne parti, car c’est en partie de la faute de la France si les événements qui se passent là-bas ont lieu.Je comprends la crainte en France qui consiste à penser que cette situation prend trop d’importance, ou que certains tentent de monter les communautés entre elles et que les questions religieuses sont trop mises en avant au détriment des questions politiques. Oui, mais c’est précisément pour cela qu’il faut continuer de se bagarrer pour rappeler que c’est une question coloniale et politique, même si nous pouvons avoir l’impression, par moments, que, là-bas, les discours religieux semblent dominer.Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Par exemple, est-ce que l’élection du Hamas était un vote politique ou religieux ? C’était un vote politique. Je connais des chrétiens qui ont voté pour le Hamas. Ils n’ont pas voté pour la charia mais pour une organisation qu’ils estimaient plus apte à mener le combat de libération nationale que les autres. Il ne faut pas sous-estimer ce phénomène. Ils ont voté pour ceux qui ont refusé la capitulation, poursuivi la lutte, dénoncé la corruption, critiqué la stratégie des négociations et d’Oslo. Ils sont apparus comme incarnant cela. Ce résultat ne signifiait pas que les Palestiniens se sont réveillés, d’un coup, plus religieux qu’avant.Après, que parmi les Palestiniens, il y en ait qui tentent de mettre en avant les questions religieuses plus que les questions politiques, bien sûr. Mais c’est plus marginal qu’il n’y paraît, y compris du côté du Hamas.Dans ma question, je ne visais pas exclusivement les Palestiniens. Du côté d’Israël, et notamment de l’extrême droite, il y a aussi une instrumentalisation du religieux.J’allais y venir. En Israël, il y a une nette instrumentalisation des référents religieux pour légitimer le projet de colonisation, que ce soit à Jérusalem ou à Hébron. Ils se justifient en disant que la Torah explique que c’est chez eux. Mais, même quand il y a une instrumentalisation du religieux pour la colonisation israélienne, il faut rester sur le terrain politique: je ne vais pas aller discuter de la Torah avec eux ! Non, ce n’est pas le problème.Le problème est que cette terre est sous occupation et que des gens se font exproprier, bombarder et expulser. Il faut ramener le débat sur le terrain politique, comme le font les Palestiniens là-bas ou certains Israéliens, même s’ils sont de plus en plus marginaux et ultra-minoritaires. Il y a une volonté délibérée, chez certains membres de l’establishment israélien de tourner cela en conflit religieux, parce que c’est là qu’il y a le plus d’effets. Car, à partir du moment où ils s’inscrivent dans un conflit de religion, on entre dans la rhétorique du choc des civilisations et ils espèrent avoir le soutien des pays occidentaux : ils ne sont pas stupides ! Ce n’est pas qu’ils croient profondément en cette histoire de Torah, même si certains colons y croient. Mais les dirigeants politiques ne sont pas fous. Et face à cette instrumentalisation, je le répète, la politique est la meilleure réponse. Là-bas, les Palestiniens le font. Certains Israéliens essaient de le faire. Ici, en France, nous devons le faire aussi et refuser le glissement sur le terrain du religieux, comme un Meyer Habib, par exemple, s’en est fait le spécialiste.Mais il faut également reconnaître l’existence de revendications d’ordre plus religieuses, comme le droit d’aller prier à Jérusalem, tout en soulignant que ce droit n’est pas que religieux : il est également politique, car il concerne la question de la liberté de culte et surtout de la liberté de circulation. Et ça, c’est un problème qui concerne tous les Palestiniens, au quotidien, et qui est un des problèmes les plus essentiels pour eux, qu’ils soient musulmans, chrétiens ou non-croyants.Propos recueillis par « Kévin l’impertinent ». Publié le 19 décembre sur «Le comptoir» (« Le comptoir d’un café est le parlement du peuple » Balzac).
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