: cuisine banale
: cuisine d’un bon niveau
: cuisine intéressante et gourmande
: cuisine de haut niveau… à tous les niveaux
: cuisine exceptionnelle
… un repas unique, au premier sens du terme, à savoir comme nulle part ailleurs …
Il est venu là où on l’attendait le moins. La naturalité. Une expérience de tout un repas, pas un gadget, pas une lubie, ni à fortiori une mode puisqu’en général c’est lui qui les fait et non qui les suit.
Trois grand axes : le végétal avec les légumes bio en provenance du Jardin de la Reine à Versailles ; les poissons, péchés exclusivement par des petits bateaux soucieux et respectueux des stocks ; les céréales et graines cultivées également par des petits producteurs dûment sélectionnés. L’objectif ? Surprendre bien sûr, étonner, mais aussi manger plus responsable et « plus en accord avec la nature, plus respectueuse et meilleure pour la santé. » Les mots essentiels sont lâchés : nature, respect, santé. Du plus sophistiqué des palaces au plus petit supermarché, tout le monde il est sain tout le monde il est responsable. Enfin presque tout le monde. Au même moment, les grandes surfaces avaient l’idée pitoyable de supprimer les appellations des morceaux de viandes pour les remplacer par des étoiles et des techniques de cuisson dans le but avoué de rendre l’acheteur encore plus bête, plus ignorant et donc plus manipulable. La France toujours schizophrène…
Le pari d’Alain Ducasse est risqué, il le sait, surtout dans un Plaza Athénée plutôt installé dans un classicisme tranquille agrémenté de quelques allusions à la modernité. Ducasse qui peut d’un côté sauver les chefs d’œuvre en péril et les faire superbement revivre (Aux Lyonnais, Allard, Benoît) dans la grande tradition de la cuisine française, et de l’autre tenter une révolution culturelle sinon un contre-pied total au Plaza. Surprise, étonnement, sourires en coin et entendus, tout le beau monde des gourmets et des gourmands, des anciens et des modernes, des viandards et des végétariens, se grattaient la tête d’incrédulité. Pourquoi ? Et où allait-il ? De l’avant, comme toujours avec Ducasse.
Aux cuisines Romain Meder. L’homme tranquille, comme dirait John Ford. Sérieux, appliqué, une technique époustouflante et une compréhension des attentes du boss qui confine au talent. Il arrive du restaurant de Ducasse au Qatar où il s’ennuyait avec discrétion et le voilà promu chef de cette aventure incroyable. Faire manger des graines, des poissons, et des légumes aux clients du Plaza. « Une cuisine de la naturalité, libérée et affranchie », affirme Alain Ducasse. Une partition à jouer sur le fil, et qui se joue désormais au Plaza.
Une carte finalement assez courte, en déclinaison de 6 entrées, plats et desserts, allant à l’essentiel du propos. Une carte en mouvement bien sûr, à l’écoute de la nature, de la saison, et des arrivages. Et déjà des classiques, des révélations.
En attente du premier plat, la ronde virevoltante des starters, et les premiers uppercuts qui laissent pantois. Des salsifis à la crème d’oseille, un simple Mulet et poutargue, puissant et subtil, et le démentiel pain au riz qui arrive sur table. Révélation.
Tout Paris en parle, donc bientôt le monde ! Le plat de génie, une idée de fou, une réalisation technique incroyable et une évidence de l’alliance. Tout est vrai. Lentilles vertes du Puy et caviar, délicate gelée, subtilité et délicatesse, alliance des textures et des grains, cuisson millimétrée indispensable pour la réussite du plat. Un chef d’œuvre servi avec des fines galettes de sarrasin comme jamais on en a connu sur terre.
Caviar again avec un nouveau plat tout chaud tout beau et savoureux à l’extrême : langoustines bretonnes, caviar doré, nage réduite.
Pour accompagner ces deux merveilles, il ne faut pas se planter avec le vin. L’équipe de choc Gérard Margeon, Laurent Roucayrol, a sorti un Bellet, Le Clos, Clos Saint-Vincent 2013 de chez Gio Servi, un 100% Rolle totalement remarquable, avec un nez opulent, des fruits, des épices, de la fraîcheur en bouche et une belle minéralité. Puissance et finesse. L’idéal.
Puis les graines, attendues avec circonspection… à tort. Quinoa d’Anjou, racines, champignons et coing sauvage : finesse, douceur, saveurs renaissantes et un jus de champignons définitif.
Encore un plat monstrueux de travail, d’idée, et un résultat étonnant de beauté avec cette grosse boule dodue et tendue. Dedans un chou fleur, servi avec des Saint-Jacques d’Erquy et un râpé de tartufi di Alba, s’il vous plait. Riche, beau, et tellement bon.
Fumé et fumet en subtilité. Choux fumés, clémentines confites, homard du Cotentin. Nouveau plat (ça bosse chez Ducasse !), avec une sauce aux agrumes d’anthologie qui rafraîchit et rehausse le tout.
Le rouget dans son essence, dans la force de ses chairs et de son foie. Rustique, puissant et beau. Un plat de magicien. L’énoncé ? Rouget de l’île D’Yeu en écailles, jus civet lié au foie, tian.
Le miracle d’avant le dessert, envoyé des cuisines sans crier gare, un bol tout bête, mais dedans … Un simple riz noir accompagné de coquillages. Vertige des saveurs et encore et toujours ici, de la finesse. Éblouissant.
Desserts ? Of course ! Surtout avec le chef pâtissier Michaël Bartocetti ! Un citron niçois, tout mignon, tout propre, et des algues kombu, sombres, au goût fumé et iodé, avec une pointe d’estragon. Mélange détonnant et étonnant de saveurs contradictoires.
Puis, une grosse cabosse en direct de la Manufacture Ducasse, et à l’intérieur : du chocolat, du café et du sarrasin torréfié. Superbe.
On termine en fraîcheur absolu sur les agrumes de Michel Bachès en amertume, et un granité Amaro, accompagné d’un génial Madeira Boal, de Barbeito, 10 ans d’âge.
C’était un repas chez Alain Ducasse au Plaza Athénée. Ce fut un repas unique, au premier sens du terme à savoir comme nulle part ailleurs, dans une succession de saveurs, une explosion de goûts connus ou inconnus, trouvés et retrouvés, du plus simple au plus complexe. Passionnant, déroutant, et même si le pari est risqué, Alain Ducasse et son chef Romain Meder sortiront gagnants de cette aventure hors du commun. Une expérience certes sélective car les prix sont stratosphériques, mais une expérience se doit d’être exceptionnelle, financièrement aussi. Les goûts et les couleurs demeurent, nous élèvent et nous enlèvent vers des plaisirs sensuels que le dernier modèle d’iPhone n’apportera jamais. Une graduation des plaisirs et donc un choix de vie.
Plaza Athénée25, avenue Montaigne
75008 Paris
Tél : 0153 07 85 00
www.alain-ducasse.com
Voiturier
M° : Alma Marceau
Déjeuner jeudi et vendredi
Dîner du lundi au vendredi
Fermé samedi et dimanche
Menu : Jardin – Marin (trois mets en demi, fromages et desserts) : 380 €
Carte : 280 € environ