C'est un film un peu ancien. Un peu daté peut-être pour certains, malgré l'Oscar, le Golden Globe, l'aura d'un Costa Gavras ou d'un Semprún... (Je ne me ferai pas d'amis chez les cinéphiles).
Il s'agissait de quoi déjà ? D'une mise à mort, c'est ça. La mise à mort d'un dissident, tramée par ceux qui avaient pour fonction, au contraire, de garantir la sécurité, protéger la vie. Le mort était un empêcheur de catéchiser en rond, de combiner en rond, de traficoter, de dissimuler, d'usurper en rond. Pas un délateur : un dénonciateur. Aujourd'hui on dirait aussi bien «lanceur d'alerte», «indigné»... Pourquoi pas «résistant» ?
Où serait-il à trouver ce candidat au martyre, actuellement ? Élu de la minorité ? Journaliste ? Essayiste ? Juge ? L'un ou l'autre de ceux-là, sans doute. Ou bien simple Grellety des temps présents, porte-voix des taiseux voués à le rester, des réfractaires à maintenir dans l'obéissance, des fils d'un ancien peuple libre censés plier la nuque et la pensée sous la morgue des maîtres du jour, nobliaux et robins confondus.
Car les nobliaux et robins de la France d'aujourd'hui n'admettent pas plus que les colonels grecs des années 60 que l'on pense, marche, écrive et parle à côté de leur autorisation. Ils ne savent pas encore mettre à mort physiquement les dissidents : ils n'en ont tout simplement pas le courage. Alors ils lancent des fatwas. Mobilisent leurs lansquenets de tribunal, leurs versaillais de magazine, leurs tricoteuses de plateau télé. La lourde cohorte de tous ces estradiots n'a plus qu'une mission : il faut «tuer» socialement, professionnellement, médiatiquement, financièrement le réfractaire, cet infect corrupteur.
Avant-hier, c'est ainsi qu'il a fallu passer le garrot à un «humoriste» devenu un peu trop noir, qui ne faisait plus rire grand monde. Des bien-pensants au ministre, on a donc mobilisé l'armée de flics, de juges, d'agents du fisc, et tous les tambourinaïres agréés, pour broyer l'infâme, le mettre sur la paille, l'interdire d'antennes, de salles. Et même d'Internet ! «Marie, Joseph, nous voici délivrés de l'Antéchrist antisémite !»
Hier, il y a eu ce cuistre de Finkielkraut, qui se donnait pour philosophe, et s'octroyait donc le droit de penser. Quel culot ! On n'allait pas le laisser polluer la cervelle hallucinée du Français moyen avec son «Identité malheureuse». Alors on a fait passer le mot à toutes les rédactions : mettez-le dans le sac à linge sale ! Avec les Zemmour, les Buisson, les Jamet, tous les réacs de service. Faites-en un intellectuel du Front national, un nostalgique de la France de Vichy, ça marche à tous les coups ! Bon, l'animal n'a pas été si commode à bâillonner : normalien, agrégé, il avait d'autres armes intellectuelles que les rhétoriciens de la pensée réglementée. On a dû se contenter de le garder sous surveillance. Il n'est plus guère resté que quelques ânes d'Académie pour s'offusquer qu'il faille s'asseoir à côté de lui — quelle idée aussi avait-il eu de guigner un fauteuil dans ce club de barbons !
Hier encore il y a eu ce drôle de type, ce géographe, Guilluy, qui se permettait de faire de la sociologie en-dehors des passages cloutés. Il la sortait d'où, sa «France périphérique», et de quel droit il se permettait de parler du «sacrifice des classes populaires» ? Les clubistes de Terra Nova et autres perruques poudrées en ont tremblé d'indignation. Ils ont alerté les forts-en-fiel de la presse amie : il faut relire les critiques faites à son essai, dans quelques magazines bien en cour... Pas la moindre contre-enquête scientifique, rien que de l'attaque morale, un assemblage d'a priori idéologiques, une mise à l'index. Il s'agissait de discréditer l'auteur — au moins tenter —, pas de discuter ses thèses. Lui coller l'étiquette d'organe des «petits Blancs», cette caste d'en-bas, si méprisable, tantôt à nier tantôt à insulter, et le tour serait joué !
On n'évoquera Ménard qu'en passant. Ce n'est plus un journaliste, un homme de textes et d'information, c'est un personnage politique, et il s'assume avec assez de bruit, de faconde et, disons-le, de roublardise dans ce nouveau rôle pour qu'on ne se fasse aucun souci pour lui. Entré dans le jeu proprement politique, il y a trouvé des alliés assez retors pour le soutenir et rendre coup pour coup — jusqu'à se faire absoudre de ses dernières provocations à l'égard des fanatiques de l'intégrisme laïcard, quand d'autres tribunaux, dans le même temps et pour les mêmes faits, faisaient plier le genou à un conseil général de Vendée bien timoré... Rappelons malgré tout le flux de haine, de crachats et les manœuvres que ce pauvre Ménard avait dû affronter tant qu'il n'avait encore que sa parole, et que la meute voulait lui coudre la bouche, comme un vulgaire Zemmour...
Zemmour, venons-y. Pour ce livre honni, «Le Suicide français», se saisissant d'un prétexte fabriqué — une interview au «Corriere della Sierra» mal retranscrite par le journaliste italien, qui le reconnaîtra —, la meute des pharisiens et des hypocrites se lance à l'assaut. L'auxiliaire de police Mélenchon, en bon trafiquant de preuves, s'est empressé de mettre les chiens sur la piste en leur rapportant juste ce qu'il fallait pour les enflammer. Les abois fusent de toutes les planques : les inénarrables LICRA, CRAN, et autres SOS-Racisme, mènent évidemment le train — noblesse oblige — et ne peuvent faire moins que de déposer plainte pour «apologie de crime contre l'humanité et incitation à la haine raciale» (!) ; le président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale appelle au boycott médiatique et réclame rien de moins qu'une interdiction professionnelle (!) ; la chaîne d'infos continues iTélé prend le parlementaire au mot et vire sur le champ ce facho de Zemmour ; la société des journalistes de RTL — la société des journalistes, des confrères donc ! — se «désolidarise» du pestiféré, amenant ainsi dans la maison la corde qui servira à les pendre à leur tour, quand le moment de les faire taire sera venu ; le ministre de l'Intérieur en personne — le ministre de l'Intérieur de la Vème République française ! —, glacial comme un procès de Moscou, prend la nation à témoin et fustige l'odieux «islamophobe»...
À gauche, dans la nébuleuse des gens de vertu et des apologistes officiels de la liberté de pensée et d'expression, il n'y aura eu que Daniel Cohn-Bendit pour s'opposer à l'hallali. Le reste, la masse veule des conformistes et celle, violente, des fanatiques, est resté figé dans son intolérance butée. Ils tiennent leur Z, le dissident à mettre à mort symboliquement et socialement, celui qui ose penser ailleurs. «Zemmour ou la Destinée», une histoire bien française finalement...
Le combat contre la bêtise, la calomnie, l'asservissement ne fait que commencer. Mais comment notre siècle saura-il produire un nouveau Voltaire ?
(Illustrations, de haut en bas : Affiche du film de Costa Gavras, Z ; Ben)