Être l'enfant de quelqu'un, être le parent de quelqu'un, habituellement cela veut en fait dire trois choses en même temps:
Le premier sens qui a tendance à nous venir à l'esprit est ce qu'on pourrait appeler la filiation génétique. Nos enfants sont génétiquement apparentés à nous. Nous leur transmettons nos caractéristiques et celles-ci sont en grande partie héréditaires. C'est dans ce sens là que l'on peut vouloir connaître son 'vrai père', par exemple, lorsqu'un enfant est né après une relation extra-conjugale ou un don de sperme.
Le deuxième sens est celui que l'on pourrait appeler la filiation gestationnelle. La mère de l'enfant dans ce sens va le porter, le nourrir dans son corps pendant son développement. Le père va vivre la grossesse autrement qu'elle, forcément, mais ce sera pour lui aussi une des manières d'être le père de son enfant.
Le troisième sens est la filiation sociale ou éducative. Les parents subviennent aux besoins de l'enfant et à son éducation. Ils sont responsables de son bien-être et des conditions de son développement. Ils lui enseignent des choses, lui inculquent des manières d'aborder la vie, des valeurs. Ils forment une famille. Lorsque les parents ont des biens, les enfants en héritent à leur mort.
Dans la plupart des cas, ces formes de filiation co-existent car les mêmes deux parents sont les parents de l'enfant selon les trois à la fois. Dès qu'elles ne co-existent plus, surgissent des inconforts parfois profonds et parfois des tensions entre les intérêts et les demandes de plusieurs parents.
Nous sommes donc capables de faire des distinctions, et des arbitrages entre différents types de filiation. Mais cela ne nous vient pas immédiatement ni parfois facilement. Les parents adoptifs, qui sont donc parents dans le sens social et éducatif mais ni dans le sens génétique ni dans le sens gestationnel, rapportent cette difficulté. Une famille, excédée par les remarques blessantes sur (et parfois à) leurs filles, en a mis en ligne une série qui fait grincer des dents. Ces réactions peuvent évidemment être très blessantes. Mais le fait qu'elle viennent souvent spontanément montre les difficultés que nous avons dès que l'une ou l'autre des formes de filiation est remise en question, dès qu'elles ne sont pas toutes les trois réunies clairement en deux personnes.
C'est sur cet arrière plan qu'il faut comprendre les intenses discussions sur ce que l'on a appelé les "enfants de trois parents". A la base, il y a une technologie de la reproduction qui consiste à remplacer les mitochondries, une des composantes de nos cellules, lorsqu'elles sont porteuses d'une maladie qui pourrait être grave chez l'enfant à naître. Les mitochondries, ce sont un peu les usines à énergie de nos cellules. Quand elles ne fonctionnent pas bien, le corps n'arrive pas à fonctionner. Nous les héritons toutes de notre mère car les spermatozoïdes doivent être aussi rapides que possible et ne peuvent pas s'en encombrer. Chaque année, quelques enfants naissent atteints de 'maladies mitochondriales' dont les plus sévères ne permettent pas de survivre jusqu'à l'âge adulte. Et voilà qu'une technique existe désormais et permet de remplacer, chez l'embryon d'une cellule, les mitochondries par celles d'une donneuse. Le hic? Les mitochondries contiennent de l'ADN. Bon, pas beaucoup: 0.1% de nos gènes s'y trouvent. Mais cela signifie quand même que, lors du transfert mitochondrial, on obtient un enfant qui est génétiquement apparenté à trois personnes.
Cette technique, le Royaume Uni vient de l'autoriser dans des conditions très strictes. L'une d'entre elles est que la donneuse de mitochondries ne sera pas considérée comme un parent de l'enfant. C'est sage. D'abord parce que la quantité de matériel génétique est minuscule. Ensuite, parce que partager les mêmes mitochondries que quelqu'un d'autre est d'une banalité complète. Tous les membres de votre familles qui descendent d'une même femme par les femmes ont les mêmes que vous: tous les enfants de votre mère, de vos soeurs, les enfants de vos tantes maternelles, et ainsi de suite. Finalement, parce que cette minuscule part de filiation génétique est une part minuscule d'une seule filiation sur les trois. Si c'était suffisant pour être parent, ça, alors il faudrait aussi que chaque personne qui pose la main sur le ventre d'une femme enceinte et s'émerveille soit considéré comme un parent, que chaque personne qui participe de près ou de loin à l'éducation d'un enfant le soit aussi.
La discussion qui a précédé cette décision a été houleuse et les questions de filiation ne sont bien sûr pas les seules ici. Mais c'est peut-être malgré tout un des résultats les plus intéressants. Certaines technologies nous montrent comme dans un miroir certains aspects de nos vies. Que veut dire être parents? Cela nous vient habituellement, naturellement pourrait-on dire, comme un paquet tout ficelé. En examinant ce cas on déballe le paquet: ce que l'on y trouve est plus intéressant que ce que l'on aurait peut-être pensé...