Une "capitale de la mode" est une ville qui exerce sur le monde une influence majeure en matière de mode, notamment parce qu'y sont organisées plusieurs semaines de la mode prestigieuses, mais également par la présence de créateurs, de commerces notables, d'une culture, ou d'un patrimoine dédié au sujet que l'on retrouve dans ses musées. Outre Paris, berceau de la haute couture, qui est souvent désignée comme la seule capitale de la mode depuis plus d'un siècle, le terme désigne généralement Londres pour son rôle mélangeant de créativité liée à la mode et son conservatisme, sa mode de rue, ainsi que sa mode masculine traditionnelle symbolisée par Savile Row ; mais aussi New York pour sa mode accessible, et Milan pour ses couleurs ainsi que la longue tradition de la maroquinerie.
On y ajoute parfois Tokyo, qui a vu émerger des stylistes tel Yohji Yamamoto ou Rei Kawakubo mais également pour sa mode de rue représentée par les mouvements Kawaii ou Gothic Lolita par exemple. Dans une moindre mesure, Anvers qui compte une école de mode prestigieuse ayant vu sortir de ses rangs de nombreux stylistes influents tel que les Six d'Anvers ou Martin Margiela, mais qui ont effectué la majeure partie de leurs carrières loin d'Anvers, souvent à Paris. Des villes comme Los Angeles et São Paulo s'emploient à devenir elles aussi des capitales de la mode.
Paris, LA capitale de la mode
Dès la fin du XVIIe siècle, le savoir-faire des artisans de la couture française est reconnu. Marie-Jeanne Bertin ou Louis Hippolyte Leroy marquent la mode française, répondant à des commandes prestigieuses en France ou à l'étranger. Jusqu'au milieu du XIXe siècle, les couturiers ne sont pas des créateurs, ils ne font que pratiquer la couture et appliquer les directives de leurs clients qui achètent le tissu à des merciers, même si certains n'hésitent pas à voyager pour présenter leurs réalisations. Il n'y a pas de lieu de distribution tel qu’une boutique. La mode est représentée par les aristocrates et la cour, que ce soit en France ou dans les autres pays.
Un anglais installé à Paris, Charles Frederick Worth invente de toutes pièces la haute couture. Dès 1864, il rencontre un succès international. Protectionniste, il fonde la Chambre Syndicale de la Couture et de la Confection pour dames et fillettes : à partir de cet instant, la haute couture devient intimement liée à Paris, de façon exclusive. Les trois expositions universelles qui ont lieu à Paris jusqu'à 1900 font rayonner internationalement les maisons de couture locales. Les bases posées par Worth, les Sœurs Callot, Doucet, Poiret, Paquin, ou Vionnet vont lui succéder, faisant de Paris le centre du monde en matière de mode, pendant des décennies. L'époque voit aussi naître à Paris les joailliers, parfumeurs, malletiers, Cartier, Guerlain, Goyard, Hermès ou Vuitton…
Alors qu'en Angleterre la tradition des tailleurs, incarnée par Savile Row, est aussi bien connu, mais dans une moindre mesure, le Nouveau Monde n'a pas encore de lieux représentatifs de la mode : les riches Américaines viennent à Paris pour trouver leurs toilettes.
Les arts sont aussi à Paris, avec leurs déclinaisons que sont l'illustration ou les costumes de théâtre qui servent à diffuser la mode à l'international. Le jersey et la petite robe noire sont popularisés par Gabrielle Chanel et envahissent le monde. C'est le premier « âge d'or » de la haute couture depuis l'invention de Worth.
La crise de 1929 marque une régression de la haute couture, les premières expériences de ce qui deviendra plus tard du « prêt-à-porter » sont réalisées mais l'influence de Paris sur le reste du monde continue de grandir. L'Italie, qui a l'habitude comme les autres d'acheter la mode à Paris, se voit imposer qu'une partie de la production soit nationale, mesure qui fera connaître peu à peu la couture italienne.
La suprématie du cinéma américain, moyen important de diffusion de la mode auprès du public, donne de l'influence aux créateurs et costumiers des États-Unis, surtout hollywoodiens.
Les magazines de mode américains, particulièrement Harper's Bazaar et Vogue, sont tout-puissants mais ils utilisent systématiquement l'usage d'un correspondant permanent à Paris. La photographie envahit ces magazines : ceux ci verront dans les années à venir les plus grands photographes de mode réaliser des séries d'images prenant Paris comme décors, renforçant ainsi visuellement l'association de Paris et la mode.
Avec l'arrivée de la Seconde Guerre Mondiale, les maisons de couture vivent au ralenti ou ferment ; Vogue France n'est plus publié. Les restrictions et les obligations de la vie quotidienne obligent à imaginer une mode éloignée du luxe. De son côté, Lucien Lelong, président de la Chambre Syndicale, se bat pour maintenir Paris à son rang de capitale de la mode alors que les allemands souhaitent délocaliser ce secteur dans leur pays...
En Grande-Bretagne, qui a vu également l'arrêt de la publication du Vogue local, des règles très strictes sont édictées pour la confection, jusqu'à la longueur de la jupe ou le nombre de poches, afin de s'adapter à la pénurie de textiles et fournitures.
De leur côté, les États-Unis, non occupés, développent une mode innovante ; certains créateurs, tel que Hattie Carnegie ou Claire McCardell, inventent les prémices du prêt-à-porter. Les magazines devenus uniquement locaux sont toujours dynamiques, mais n'ayant plus de correspondances régulières avec l'Europe, ils se recentrent sur leur territoire. Les acheteurs américains des entreprises de confection ou des grands magasins, nombreux avant guerre, ne se rendent plus en France. Beaucoup de journalistes, d'illustrateurs, ou de photographes de mode fuient les pays européens pour se réfugier de l'autre coté de l'Atlantique. C'est également le cas de nombreux couturiers tel qu'Elsa Schiaparelli qui quittent Paris pour l'Amérique. C'est dans ce pays que la mode mondiale se concentre alors.
À la Libération de la France, le rationnement est toujours présent, mais les choses vont peu à peu reprendre leur place en France et plus particulièrement à Paris.
Balmain ou Carven ouvrent leurs maisons à Paris dès la fin de la Guerre. Le premier bikini est lancé à Paris. Les acheteurs, médias et clients de toutes nationalités réinvestissent la capitale française où Lucien Lelong continue à promouvoir énergiquement la haute couture grâce au Théâtre de la Mode. Mais il faudra attendre deux ans avant de voir réellement Paris retrouver son influence incontournable.
Après cette parenthèse, c'est de nouveau « l'âge d'or » de la haute couture, représenté symboliquement par le New Look de Christian Dior, qui débute en février 1947 avenue Montaigne et va « secouer le monde de la mode. » Le couturier impose de nouveau au monde le luxe de la haute couture française. À la suite de Dior, les collections parisiennes de Jacques Fath, Cristóbal Balenciaga, couturier déjà reconnu depuis des années, ou Hubert de Givenchy et Pierre Balmain vont rencontrer un succès mondial. Paris compte alors plus d'une centaines de maisons.
Au début des années 1950, l'Italie a réagi rapidement aux dégâts de la Guerre. Le glamour des films de Cinecittà rejailli sur les maisons de couture italiennes installées à Milan, Rome, Florence, ou Turin, comme les Sœurs Fontana. Florence où sont organisés les défilés, puis Rome, deviennent influentes. À la fin de la décennie, Valentino Garavani quittera même Paris où il effectue son apprentissage pour installer sa maison de couture dans la ville italienne.
Londres, avec ses tailleurs et sa famille royale habillée par les couturiers locaux comme Edwin Hardy Amies, lutte notablement pour se faire remarquer. Mais les États-Unis surfent sur le dynamisme des années de guerre avec leurs créateurs de prêt-à-porter qui inventent un style plus simple pour les femmes actives ; c'est la naissance de l'American look, parfois représenté par le style preppy qui en est un de ses représentant, ou plus tard de la Beat Generation. New York devient une capitale majeure, et toute une jeune génération d'Européens est influencée.
Paris malmenée conserve malgré tout sa place. Au milieu des années 1950, Coco Chanel crée rue Cambon ce qui va devenir une icône de la Parisienne, un « chef-d’œuvre du génie de la haute couture » : le « Tailleur Chanel ». En 1962, le tout jeune Yves Saint Laurent quitte Dior et présente sa première collection à son nom ; le retentissement est mondial. Mais rapidement, la capitale de la mode va traverser la Manche. La mini-jupe est lancée par Mary Quant, Vidal Sassoon la coiffe, elle habille les Mods, c'est le début du Swinging London. Londres compte alors près de deux-mille magasins de vêtements. Carnaby Street surtout, avec les créations de Foale & Tuffin, Kensigton avec la boutique Biba, ou King's Road avec Granny Takes a Trip sont les lieux où la mode anglaise devient incontournable. Jean Shrimpton, visage du London Look, en est l’icône, David Bailey le photographe. De son côté la famille royale d'Angleterre, très présente dans les médias, se montre le plus souvent habillée par les stylistes britanniques. La mode britannique — mais également la musique — va envahir l'Europe et les États-Unis et Londres définir l'esprit des années 1960 mieux que n'importe ville au monde.
Pourtant ces années là, la créativité est partout : Rudi Gernreich introduit le monokini en Amérique, André Courrèges monte sa « collection cosmique » The Moon Girl avenue Kléber et rencontre un succès planétaire, bientôt suivi de Paco Rabanne ou Pierre Cardin, les grands couturiers établis en France développent en parallèle de la haute couture des lignes d'un prêt-à-porter luxueux dont certaines, comme Rive Gauche, connaitront un succès important. Aux États-Unis, le Pop Art hérité du Royaume-Uni, puis le Flower Power du mouvement hippie sont sources d'inspiration pour la mode, jusqu'en Europe.
Paris ne compte plus que dix-neuf maisons en 1967, la haute couture est moribonde depuis plusieurs années. La mode traditionnelle n'en finit pas d'adopter des inspirations des années 1940 ou du romantisme du XIXe siècle. Soufflés par l'Amérique, le jeans, et le sportswear tel que celui de la jeune Donna Karan qui va se faire connaitre quelques années plus tard, deviennent des basiques. Au delà du sportswear, le sport caractérisé par le justaucorps ou le survêtement va se répandre de plus en plus à l'arrivée des années 1980 et sa reine du fitness, Jane Fonda. Les États-Unis sont une fois de plus être centre de créativité. Calvin Klein, Halston, Geoffrey Beene, Diane von Fürstenberg, Ralph Lauren, tout se fait à New York.
Mais avant la fin des années 1970, un bouleversement musical va engendrer un bouleversement vestimentaire : la mode punk, dont Vivienne Westwood est l’emblème, fait que tous les regards se tournent un temps vers Londres. La tendance est reprise aussi bien par les stylistes que par la mode de la rue. Malgré tout, la capitale britannique, gloire des années 1960, a perdu nettement de son importance. De l'autre coté de la planète, Tokyo vient, depuis quelques années, rejoindre les grandes capitales de la mode.
Au début des années 1980, Milan, qui a Armani et verra bientôt l'arrivée de Versace, Romeo Gigli, Prada, ou Dolce & Gabbana et qui compte nombre de magazines de mode et boutiques, a détrôné Rome comme centre de la mode italienne et du prêt-à-porter luxueux.
Paris avec ses atouts historiques conserve une place dominante : c'est là que se situe le savoir-faire ancestral d'une main d’œuvre expérimentée, un système de parrainage des couturiers, l'héritage de la haute couture et des arts, les défilés les plus importants et les plus anciens, ainsi que des écoles de mode reconnues. C'est là également qu'apparaissent à cette époque la génération de « jeunes créateurs » comme Thierry Mugler, Claude Montana, Jean Paul Gaultier, Kenzo Takada, qui vont bousculer la mode parisienne puis mondiale. Au cours de ces décennies, plusieurs courants de mode, parfois très différents, sont représentés par des stylistes du monde entier qui sont pour la plupart déjà reconnus dans leur pays respectif : Rei Kawakubo, Martin Margiela, ou Jil Sander par exemple, tous ressentent la nécessité d'être présent à Paris pour les défilés ou avec leurs boutiques.
Dans les années 1990, Tom Ford réveille et transforme la marque florentine Gucci donnant ainsi à l'Italie un regain d'intérêt. Mais ces années là, « le système s’essouffle » : la mode à Paris est terne, vivant plus sur ses acquis que sur sa créativité et sur une nouvelle génération de créateurs étrangers. La presse internationale fait les gros titres contre la haute couture. Pourtant, certains signes vont faire présager un renouveau et laisser à Paris sa place d'incontournable : Hussein Chalayan, créateur reconnu en Angleterre, vient défiler à Paris, Karl Lagerfeld triomphe chez Chanel, John Galliano arrive chez Dior rue Montaigne, Jean Paul Gaultier et Thierry Mugler sont invités à intégrer la haute couture, Alexander McQueen se fait remarquer chez Givenchy...
Au passage de l'an 2000, Paris connaît un regain de dynamisme, et pas seulement dans la mode : gastronomie, arts, tourisme, participent à faire de Paris l'une des principales villes du monde. New York, comme Londres, restent reconnues pour laisser apparaitre régulièrement de jeunes stylistes… qui font parfois carrière à Paris. Mais outre le luxe et la haute couture, la mode est de plus en plus globale, avec des enseignes comme Zara, Gap ou H&M diffusant une mode identique dans tous les pays du monde.
Global Language Monitor publie un classement annuel. En 2011, l'entreprise donne Londres comme première capitale, suivie de New York puis Paris. L'année suivante, le classement de tête reste le même, sauf Barcelone qui prend la place de Paris...
La mode ne se fait plus qu'à Paris...