Une nuit embeded au plus près des REPudiés de l'éducation prioritaire, au contact sulfureux de dangereux ZEPapistes, c’est la mission que s’est assignée Angelina pour Bakchich afin d’en savoir plus sur ces profs en colère à qui on va donner moins pour en faire moins.
Je n’ai pas choisi les plus tendres. Ceux-là sont des activistes prêts à tout pour attirer l’attention de leur ministre, y compris dormir dans leur collège et reprendre des chansons de Daniel Balavoine.Eux, ce sont les enseignants du collège Paul Eluard à Montreuil. Cela fait quatre semaines qu’ils ne font plus cours et qu’ils s’auto-proclament les loosers du REP (Réseau d’Education Prioritaire). Une façon de fédérer les cinq établissements ainsi que leurs écoles de secteur qui devaient sortir du dispositif en Seine-Saint-Denis (93).« Comment est-il possible d’imaginer qu’un seul établissement puisse sortir du REP en Seine-Saint-Denis, le département le plus pauvre de France ?! » lançait au début de la soirée, un parent d’élève au journaliste de BFM venu tourner un reportage dans le collège. C’est qu’à la toute veille de la présentation de la nouvelle carte de l’éducation prioritaire, la machine médiatique s’est soudain mise en mode alerte : Europe 1, Libé, Le Point, France 2… Julien Léoni, le prof que les médias s’arrachent pour ses punchlines et son franc-parler s’étonne qu'ils aient tous son numéro. Ce serait-il pas qu’ils se le refileraient entre eux des fois ? De plus, au collège Paul Eluard, il n’y a pas que les profs qui sont des stars, les parents le sont devenus aussi et entretiennent de très bonnes relations avec les journalistes.Bien qu’il ne s’agisse ni d’une révolution silencieuse, ni d’une révolution de velours, la mobilisation des profs en manque de ZEP est néanmoins traitée sur le mode de l’anecdote. S’ils s’intéressent à quelques cas aux quatre coins de la France, ces mêmes médias peinent à relayer l’ampleur du mouvement. Probablement la seule explication au fait qu’ « aujourd’hui des élèves n’aient plus cours pendant quatre semaines sans que cela n’émeuvent personne, et surtout pas le ministère de l’éducation », s'énerve Catherine, une parent d’élève qui dort sur place ce soir. Néanmoins, c’est une mobilisation qui fait tache, aux deux sens du terme. Exponentiel, le mouvement des exclus des REP, anciennement ZEP (Zones d’Education Prioritaire) s'est vite agrandit.
DES ÉLUS AUX ABONNÉS ABSENTS
Les parents mobilisés et les profs grévistes s’éclipsent petit à petit, comme chaque soir. On ne compte plus que sur les doigts d’une main ceux qui dormiront au collège cette nuit. Pour le moment, il tapent la causette dans la salle des profs après une soupe chauffée au micro-ondes, quelques clémentines et un paquet de M&M’s que je suis condamnée à regarder fondre comme neige au soleil sous peine de parler la bouche pleine. Et forcément, c’est de Montreuil dont on parle. « L’Etat faillit totalement à sa tâche », s’insurge Catherine, « c’est plus que du mépris, c’est de l’indifférence. Ici, à Montreuil, on ressent le deux poids deux mesures avec beaucoup de violence. » Pour Julien Léoni, « il y a plein de gens à qui en vouloir : les syndicats qui ont été en-dessous de tout, les élus. Où sont nos élus ? » Certes le maire PC, Patrice Bessac a affiché son soutien notamment en rendant visite au collège occupé et en déléguant souvent son adjoint à l’éducation. Mais lié par une majorité composée avec des Verts et des Socialistes, le soutien reste timide voire invisible. « Quant au député, il préfère rester sur Bagnolet qui l’a élu » reconnaissent en chœur mes interlocuteurs, malgré une visite au collège et même la proposition de se laisser séquestrer. Une proposition que Razzi Hammadi a finalement dû annuler en raison d’un emploi du temps chargé. « Jean-Pierre Brard n’aurait pas laissé faire ça. » L’ancien député-maire, qui avait la réputation d’être clientéliste et réseauteur, a laissé l’image d’un élu qui se battait pour sa ville, comme d’autres élus du 93 aujourd'hui.TWEET TÉLÉPHONÉ
Evénement de la soirée, le passage de Najat Vallaud-Belkacem au 20 heures de TF1 monopolise les conversations. En l’occurrence ce sont surtout les vicissitudes du hashtag #Lecolechange lancé par l’équipe de communication de la ministre sur Twitter qui nourrissent les commentaires les plus acerbes. D’autant plus acerbes qu’une journaliste vient de révéler sur son blog que des consignes avaient été envoyées par mail à tous les communicants du rectorat pour retweeter les propos de la ministre. Entre les conventions d’accompagnement de sortie du REP qu’on propose aux uns, et celle qu’on a notamment retirée à Paul Eluard, mais l’ont-ils jamais eue, « il y a deux solutions », confie Julien Léoni, « soit ils sont hyper stratégiques en brouillant la communication, en lançant des fausses pistes, en allumant des contrefeux médiatiques, et ils maîtrisent tout ça. Soit c’est le bordel le plus absolu. Convention ou pas convention, ils ne savent plus comment faire passer leur réforme… Quand je vois le hashtag de ce soir, et la ministre qui est obligée de faire twitter son attaché de presse, je me dis que c’est un bide son truc. Personne n’y croit. »Pour le jeune prof de français, « l’importance qu’on donne à Twitter est une fausse importance mais Twitter est un vrai relais. Sur Twitter, il suffit d’avoir peu pour exister, et c’est assez intéressant. » Il parle en connaissance de cause, le compte Twitter du collège (@Eluardmontreuil) est, depuis le début du mouvement, scrupuleusement scruté par l’administration de l’éducation nationale. Est-ce que justement le fait de s’être immédiatement fait remarquer ainsi n’a pas mis les enseignants du collège directement dans le collimateur du rectorat ? « Mais tant mieux, on a toujours été comme ça. »ALLÔ MAMAN BOBO
« On a tort de penser qu’à Montreuil, il n’y a que des bobos, des nantis, des avachis. », sourit Catherine. « Imaginer qu’ici les habitants sont de plus en plus riches et qu’ils n’ont plus besoin de l’éducation prioritaire, c’est faire fi de la population la plus pauvre », objecte Pierre Vila, parent d’élève. « Dans le Bas-Montreuil, 700 foyers vivent en dessous du seuil de pauvreté, ce qui représente environ 2 000 personnes. Le collège compte 40 % de boursiers. » Cependant, pris au piège des fameux critères sociaux conjugués aux critères des difficultés scolaires, aucun dialogue ni négociation n’ont pu être possibles. De manifs en délégations, d’interpellation sous la forme d’une chorégraphie au Palais de la Découverte à une demande d’entretien déposée à l’Elysée contre un récépissé, à aucun moment l’argumentation, la bonne foi ou la détermination des professeurs et des parents mobilisés n’a pu payer. « La tactique c’est de dire : vous êtes moins malades, la preuve, on vous retire les médicaments », philosophe Julien Léoni. Le professeur de français voit un syllogisme dans cette argumentation sans appel « Il y a un argument rhétorique qui consiste à dire : " vous êtes plus favorisés, c’est normal que vous sortiez pour que les plus défavorisés rentrent". Ça c’est inattaquable. Evidemment que les moins favorisés doivent rentrer. Ce truc qui consiste à opposer les plus pauvres entre eux, c’est vraiment dégueulasse mais c’est hyper efficace. »Si l’effet bobo fait florès, il y a une quinzaine d’années, lorsque le REP était encore la ZEP, et que la ZEP était vécue comme le sceau de la honte, les enseignants du collège Paul Eluard s’étaient mobilisés pour acquérir chèrement le label, au prix d’une lutte qui leur coûta deux mois de grève. C’est dire si la résistance est inscrite dans l’ADN d’Eluard.Concernant l’historique du quartier du Bas-Montreuil, l’entrée du collège dans l’éduction prioritaire à permis de repousser la violence. La reconstruction du collège de l’autre côté de la place de la République, qui fait le cœur du quartier, a permis d’apaiser des tensions vives, de modérer les trafics et de faire cesser les violences qui voyaient s’affronter les jeunes d’Eluard et ceux du lycée privé juif voisin. Impossible aujourd’hui de ne pas ressentir un formidable arrière-goût de gâchis. « Ici dans trois ou quatre ans, ça va être une ruine », se désole Paul, ancien parent d’élève et futur grand-parent d’élève au collège. On a surtout le sentiment qu’il va falloir tout recommencer. Moins de personnel encadrant, plus d’élèves par classe, moins d’options, l’équation se soldera par un évitement scolaire déjà prévisible. « Nous faisons partie d’un territoire, d’une ville qui est endettée pour les 50 prochaines années, qui n’a même pas de quoi réparer les rues. Globalement on galère », m’explique Julien, remonté mais lucide. « Dans le quartier, il y a des difficultés, il y a des trucs aberrants, c’est du délire. Tous les dimanches, au bout de la rue de la République, vers Décathlon, il y a les marchés à la sauvette, les biffins, parce que le 20ème a fermé le pont. Et la ministre nous dit que nous sortons de l’éducation prioritaire !? » Au même moment, au coin de la rue, une vingtaine de travailleurs maliens, en règle, dorment sous des toiles de fortune depuis plus d’un mois dans un coin du square de la République.
LE MAGICIEN D’OZ ÉTAIT TROTSKYSTE
Catherine déroule son sac de couchage sur l’un des anciens tapis de gym disposés dans le CDI. Ce soir, ce sont une prof de maths et un CPE qui prendront possession des tapis contigus. Si la fatigue et la lassitude se font ressentir, la détermination ne faiblit pas. « La première nuit a été euphorique. Nous avions dressé une table immense. Il y avait des victuailles à foison. Nous sommes restés éveillés une partie de la nuit à manger, échanger les uns avec les autres car nous étions beaucoup plus nombreux, et à danser. Nous avions probablement besoin de cela pour créer une vraie cohésion. Là, c’est la deuxième fois que je dors au collège et je ressens beaucoup de dépit et de colère rentrée. Je pense que personne n’imaginait que le mouvement durerait aussi longtemps. Je n’imaginais pas, moi, qu’on puisse ne pas être entendu à ce point-là ».Julien est le seul à ne pas dormir au CDI. Il dort dans sa propre salle de cours. Un rituel très fort pour l’enseignant qui souligne le sens son engagement. Comme chaque fois qu’il dort au collège, il va prendre une photo de son lit de fortune entre deux tables, et l’envoyer sur Twitter.Depuis ma nuit au collège, les élèves ont réinvesti les salles de classe, non sans avoir préalablement entamé en choeur le "Ma ZEP, ma bataille" avec leurs profs en guise de thérapie collective. Les parents ont décidé de passer à un nouveau mode d'action en retirant les chaînes qui entravait la grille d'entrée au profit d'une occupation administrative. Si le blocage du collège durant quatre semaines n'a déclenché aucune réaction, le blocage administratif des bureaux ainsi que l'occupation de la loge a provoqué le détachement sur place d'agents EMS (Equipe Mobile de Sûreté) , qui depuis ne quittent plus l'établissement, ainsi qu'un rendez-vous au rectorat. Evidemment la mobilisation continue. Sans doute une histoire d'ADN...« Il faut qu’il fasse de plus en plus nuit, afin qu’il fasse de plus en plus jour », plaisantait un peu plus tôt dans la soirée un parent élu de la FCPE, en citant le Magicien d’Oz. Devant mon étonnement, il m’avait alors expliqué que « tous les Trotskystes connaissent le Magicien d’Oz par cœur ». ...Ou une histoire d'espoir.Publié par Angelina 19/12/2014https://www.bakchich.info/france/2014/12/19/cheri-ce-soir-je-dors-au-college-63806