Illustration : Affiche de Georges Villa, pour le « Comité central d’études et de défense fiscale » à l’occasion des élections législatives de 1914.
Article des «Les enfants gâtés de l’Etat», Les Enquêtes du contribuable d’octobre/novembre 2014 – 3,50 €€. Toujours disponible sur notre boutique en ligne.
Créé par la loi Caillaux du 15 juillet 1914, l’impôt sur le revenu a aujourd’hui 100 ans. Et comme on dirait familièrement, il a l’âge de ses artères : des trous partout, des rides inévitables et une obsolescence gran dissante. Pourquoi ? Parce qu’il a été bâti sur des fondations idéologiques, dans un contexte qui a disparu et qu’il a suivi une évolution incontrôlée.
A l’origine, l’impôt sur le revenu conduit à un retour en arrière puisqu’il s’inspire de la taille, du vingtième et du dixième, autant d’impôts de l’Ancien Régime qui avaient pour objectif de frapper de manière générale les revenus des sujets du Royaume mais pour défaut d’oublier les nobles et les ecclésiastiques. Or, la bourgeoisie à l’origine de la Révolution française ne voulut plus entendre parler de ces impôts qui grevaient ses nouveaux revenus et lui rappelaient de mauvais souvenirs.
Elle décida donc de baser les recettes fiscales sur des impôts qui frapperaient avant tout la propriété et seraient moins intrusifs. Elle créa donc les « quatre vieilles » qui régnèrent en maître pendant plus d’un siècle : la contribution foncière pour les revenus de la terre et des maisons, la contribution mobilière calculée fictivement sur les revenus supposés du contribuable en fonction de son logement, la contribution sur les patentes censée frapper les revenus industriels et commerciaux et la contribution sur les portes et fenêtres, qui calculait un impôt sur le patrimoine au seul vu des ouvertures sur l’extérieur dont disposait un logement.
Comme on le voit, il s’agissait d’imposer sans s’imposer, c’est-à-dire sans contraindre le contribuable à déclarer l’ensemble de ses revenus, en se fondant avant tout sur l’apparence ou sur la propriété.
Faire adhérer les citoyens au principe de l’impôt
Joseph Caillaux (1863-1944)
Avec l’impôt sur le revenu, il s’agit à la fois de taxer la réalité des revenus, de les taxer de manière progressive et de faire adhérer les citoyens au principe de l’impôt par le biais d’une déclaration obligatoire de ses revenus. L’impôt voulu par Joseph Caillaux, ministre des Finances radical et fils d’un ministre royaliste de Mac Mahon, répond donc à la fois à des objectifs idéologiques afin de taxer plus fortement les hauts revenus, et d’efficacité afin d’améliorer les recettes fiscales en prévision d’une guerre imminente. Ce sont bien les besoins inéluctables de l’effort de guerre qui conduisirent la droite à se rallier à cette révolution fiscale qu’elle refusait depuis quarante ans.
L’idée de l’impôt sur le revenu naquit dès la fin de la guerre de 1870, dans le but de financer les réparations dues à l’Allemagne. Les libéraux s’y opposèrent longtemps, inquiets des dérives qui pourraient naître d’un tel impôt. Ainsi, l’économiste Paul Leroy-Baulieu déclarait-il encore en 1908 : « L’impôt finira par absorber la totalité des revenus et entamera le capital, restreignant l’épargne et la production, forçant les capitaux à se cacher ou à fuir ». Paroles prémonitoires s’il en fut…
Impôt sur le revenu de 1914 : un taux d’imposition de 2 %…
Les débats entourant l’impôt donnèrent d’ailleurs naissance à l’idée de « classes moyennes ». Les deux camps avaient le sentiment diffus, même si ce n’était pas pour les mêmes raisons, que les victimes directes d’un impôt sur le revenu ne seraient pas les plus pauvres qui en resteraient exclus par la force des choses, ni les plus riches qui trouveraient toujours le moyen d’y échapper.
C’est pourquoi les socialistes eux-mêmes rechignaient à cet impôt et réclamaient en contrepartie l’abandon de tous les impôts indirects, notamment les « quatre vieilles ». Eux aussi montrèrent donc une certaine lucidité, l’avenir montrant que l’impôt sur le revenu, loin de signer l’arrêt de mort des autres impôts, ne fut que le prélude de l’expansionnisme fiscal du XXe siècle.
Et pourtant, l’impôt sur le revenu de 1914 au taux d’imposition de 2 % témoignait d’un caractère raisonnable, alors même qu’il devait financer des dépenses de guerre qui allaient croissantes. Il faut dire que les dépenses publiques en 1913 ne représentaient encore que 14 % du produit intérieur brut, contre plus de 50 % un siècle plus tard…
Le caractère progressif de cet impôt résulte du fait que plus les revenus sont importants et plus la part imposable augmente, avec néanmoins déduction ou abattement pour charges de famille. Et l’impôt était loin d’être universel puisqu’il ne touchait en réalité que 260 000 contribuables, soit 1,7 % des 15 millions de foyers de l’époque. Ce taux augmentera régulièrement pour atteindre 20 % après la Seconde Guerre mondiale et se stabiliser à environ 50 % depuis 30 ans.
Même Marcel Proust s’en préoccupe
Le traumatisme lié au nouvel impôt était donc moins dû à la charge fiscale qu’il créait et qu’expliquait le temps de guerre, qu’à l’obligation déclarative à laquelle il contraignit tous les foyers. Naquit alors l’idée d’«inquisition fiscale» combattue par les ligues de défense des contribuables de l’époque.
Citons, pour l’anecdote, Marcel Proust qui, dans une lettre à son cousin banquier Lionel Hauser, écrivit le 3 février 1916 : « J’ai souvent perçu dans les journaux le titre “Impôt sur le revenu” et j’ai eu le tort de ne pas aller plus loin. J’ai pourtant un vague souvenir qu’il y a une déclaration et assez prochaine à faire »…
Au caractère progressif de l’impôt s’ajouta très rapidement un caractère purement proportionnel, puisque dès 1917 furent créés les six impôts proportionnels cédulaires (l’ancien nom donné aux différentes catégories de revenus soumises à l’impôt) censés remplacer les quatre vieilles contributions. Il s’agissait de l’impôt foncier sur les propriétés au taux de 5 %, l’impôt sur les valeurs mobilières au taux de 6 %, l’impôt sur les bénéfices agricoles de 3,75 %, l’impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux de 4,5 %, l’impôt sur les bénéfices des professions non commerciales de 3,75 % et, enfin, l’impôt sur les traitements et salaires au taux de 3,75 %.
Un impôt à double facette, à la fois progressif et proportionnel.
L’impôt sur le revenu subit ensuite toutes sortes de vicissitudes liées aux événements et aux conflits idéologiques. Pour commencer, le taux marginal augmenta rapidement pour atteindre 70 % en 1948 et resta ensuite bon an mal an autour de 60 %. Ce n’est qu’en 2007 qu’il atteignit son point bas avec 40 %. Depuis lors, il est remonté à 45 %, à quoi s’ajoute une contribution exceptionnelle pouvant atteindre 4 %. En outre, il commença à se trouer aussi vite qu’il grandissait. Les revenus agricoles furent par exemple préservés du fait des aléas climatiques et de la taille des tracteurs. De même, à chaque extrémité de l’échiquier, on épargna les produits financiers pour ne pas dissuader l’épargne et on refusa aux traitements et salaires les bienfaits du barème progressif pour ne pas désespérer Billancourt.
Enfin, le balancier perpétuel entre caractère progressif et caractère proportionnel de l’impôt sur le revenu donne un autre éclairage à l’évolution de cet impôt, notamment à travers les grandes réformes qu’il connut en 1948 et 1959, sans oublier l’apparition de la CSG en 1991. Ainsi, la réforme Caillaux de 1914-1917 créa un impôt à double facette, à la fois progressif et proportionnel.
En 1948, au sortir de la guerre, on commença à rapprocher les deux techniques, avec un impôt proportionnel dont le taux varie selon les catégories de revenus et au sommet une surtaxe progressive frappant le revenu net total, le tout atténué d’une première ébauche de quotient familial. Pour des motifs à la fois idéologiques et électoraux, les salaires n’intégrèrent pas, dans un premier temps, ce système et restèrent en marge avec tout d’abord une taxe propre de 5 %. Ce qui, évidemment, affaiblissait quelque peu le caractère universel de l’impôt sur le revenu pour tous.
En 1959, la fusion s’accentua néanmoins avec un impôt unique sur le revenu au caractère progressif fortement prononcé, qui finit par inclure définitivement les traitements et salaires dans son barème en 1972. Celui-ci régna seul jusque dans les années quatre-vingt-dix, au cours desquelles apparurent la CSG, puis la CRDS et les autres contributions, qui, malgré leur objectif de financement de la protection sociale, ne constituèrent rien d’autre que le retour en force de l’impôt proportionnel sur le revenu.
L’inconvénient du renouveau de l’impôt proportionnel est que, une fois de plus, il ne se substitue pas à l’impôt progressif mais s’y ajoute, conduisant, avec son taux maximum de 15,5 %, à un taux marginal d’impôt sur le revenu de 64,5 %, soit le retour aux sommets du passé. En outre, l’impôt proportionnel qu’est la CSG touche désormais 100 %, ou presque, de la population et rapporte plus que l’impôt sur le revenu lui-même. Ce qui, avouons-le, écorne sensiblement la légitimité d’un impôt créé en temps de guerre et qui a su fructifier en temps de paix. D’autant que l’époque ancienne ne connaissait pas une TVA à 20 %, des droits de succession à 45 %, des impôts locaux himalayesques, l’ISF, la taxe sur l’essence et la contribution climat-énergie…
Olivier Bertaux
Une multitude d’impôts créés en un demi-siècle
Le XXe siècle est le siècle de l’impôt. Ainsi sont apparus l’impôt sur les sociétés en 1948, la TVA en 1954, l’impôt sur les plus-values immobilières en 1963, la généralisation des prélèvements sur les plus-values en 1977, l’impôt sur la fortune en 1981 et la CSG en 1991.Quant aux impôts locaux, ils ont remplacé les « quatre vieilles » qui devaient pourtant disparaître avec la création de l’impôt sur le revenu. Les taxes foncières sur les propriétés bâties et non bâties arrivent avec la grande réforme de 1959, la taxe d’habitation met fin à la contribution mobilière en 1974 et la taxe professionnelle remplace finalement la patente en 1975…Enfin, les droits de succession restent soumis à un modeste taux de 1 % en ligne directe tout au long du XIXe siècle, pour atteindre 40 % dès 1920, redescendre à 15 % en 1959, revenir à 40 % en 1983 et passer dernièrement à 45% sous Sarkozy. O. B.
Grande-Bretagne, Allemagne : les exemples étrangers
A sa création, les défendeurs de l’impôt sur le revenu ont voulu prendre exemple sur l’income tax britannique en vigueur depuis 1842 et sur l’Einkommensteuer allemande de 1893, toutes deux pourvues d’une certaine dose de progressivité. Toutefois, ces deux taxes beaucoup plus anciennes ont été largement rénovées depuis lors, tandis que l’impôt français n’a fait qu’accumuler depuis un siècle exceptions et élargissements, qui en font aujourd’hui un impôt obsolète et contreproductif. O. B.
«Les enfants gâtés de l’Etat», Les Enquêtes du contribuableoctobre/novembre 2014 – 3,50 €€.En kiosque le jeudi 1er octobre et sur abonnement. Vous pouvez commander en ligne ce numéro (3,50 €€, port gratuit).
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