La tuile s’étant abattue sur Sony et le film The Interview n’est plus un simple exploit informatique, mais plutôt le début d’une ère de menaces contre la culture dans son ensemble.
Les terroristes ont gagné. Il peut paraître simpliste de résumer le tout en ces quelques mots, mais le fait est que Sony, puis maintenant la Fox, ont reculé devant les menaces de groupes qui seraient liés à la Corée du Nord, torpillant du même coup The Interview et l’adaptation de la bande dessinée Pyongyang du dessinateur québécois Guy Delisle.
Alors que les cyberattaques des derniers mois étaient de simples larcins, le piratage chez Sony a principalement servi de coup de semonce pour empêcher la sortie d’un film.
Avec cette offensive numérique menée contre l’un des plus grands studios hollywoodiens, force est d’admettre que la planète est entrée dans une ère de terrorisme nouveau genre : un terrorisme culturel.
Comme l’indique le magazine Slate, il ne s’agit pas de la première incursion dans les systèmes informatiques de grandes entreprises – pensons seulement au vol d’informations de paiement chez Target, ou encore au Cybergate. Mais alors que ces actes étaient des larcins purs et simples, le piratage chez Sony a principalement servi de coup de semonce pour empêcher la sortie d’un film.
Certes, les pirates – très probablement des Nord-Coréens, ou des gens agissant selon le bon vouloir de Pyongyang – ont aussi dérobé quantité d’informations, de données et même des films appartenant au studio de cinéma, il ne s’agissait cependant que d’une diversion, d’une monnaie d’échange pour faire pression sur la filiale américaine de l’entreprise japonaise.
La carotte et le bâton
Car aussi paradoxal que cela puisse paraître, la Corée du Nord n’a que faire des données de sécurité de Sony, des courriels échangés entre ses dirigeants, voire même du film The Interview en tant que tel.
L’objectif ultime du régime totalitaire de Pyongyang, avec les prouesses remarquables de leurs pirates informatiques, est de retrouver un semblant de légitimité sur la scène internationale. Finis les tests de missiles balistiques, les lancements de fusées ou encore les essais nucléaires : pour retrouver une place à la table des grands, dans le paysage géopolitique actuel, Kim Jong-un a trouvé l’arme ultime. Ce ne sont pas des États qui sont visés, mais leur liberté d’expression et les divertissements offerts à la population. Après tout, quelle pourrait être la riposte américaine? Un strict embargo est déjà en place, la Corée du Nord croupit depuis belle lurette au banc des nations, et personne ne serait certainement assez fou pour risquer un conflit militaire à la suite d’un simple piratage et du blocage de la diffusion d’un film.
Toutefois, en acceptant de plier devant la menace, le secteur culturel ouvre la voie à une véritable course au piratage. Téhéran n’aime pas un film? Au lieu d’emprisonner son cinéaste s’il est un ressortissant de la République islamique, des pirates pourront s’en donner à cœur joie et exiger le retrait de l’œuvre en menaçant de viser les cinémas, ou tout simplement de couler des données sensibles.
Charte des valeurs
Faut-il cacher les informations sensibles derrière les murailles les plus épaisses, en espérant que les pirates passeront leur chemin, ou refuser de plier sous le chantage pour respecter les valeurs de liberté d’expression de la civilisation occidentale moderne?
L’abdication de Sony relance le débat sur le paradoxe sécuritaire : faut-il tout cloîtrer à double tour, cacher les informations sensibles derrière les murailles les plus épaisses, en espérant que les pirates passeront leur chemin, ou adopter une position idéologique consistant à refuser de plier sous le chantage pour respecter les valeurs de liberté d’expression et de démocratie culturelle se trouvant au cœur de la civilisation occidentale moderne? La question se pose, et le refus de Sony et de Fox d’accepter les risques de présenter des œuvres pouvant entrer en conflit avec certaines idéologies alimente déjà grandement le débat.
Ironiquement, ce refus de Sony d’aller de l’avant avec la diffusion du film alimentera en soi le piratage informatique. Pas celui des mécréants nord-coréens, pas celui des voleurs désirant s’emparer d’informations dans le but de réaliser un profit monétaire… Non, le piratage ordinaire, si l’on peut l’appeler ainsi. Celui de monsieur et madame tout le monde qui, désirant voir un film sans vouloir délier les cordons de la bourse, se tourne vers les sites de partage de contenu en ligne pour s’abreuver directement à la source. Il ne fait aucun doute qu’il existe des copies du film The Interview quelque part en ligne, et l’œuvre devrait incessamment se retrouver sur Kickass Torrents et consorts. Ah, si seulement quelqu’un pouvait pirater Sony pour couler d’autres films pas encore sortis en salle…
Et le plus drôle dans tout cela, c’est que la comédie de Seth Rogen et James Franco serait tout simplement minable, comme l’a écrit un journaliste qui a assisté à la projection médiatique du film.