En cette période de grand rush consumériste pré-noël,
Darkplanneur: Pourquoi le nom Eternamé et quel en est le sens ?
Sarah Besnainou: Eternamé signifie « rends-moi éternel » en grec. Le nom traduit cette idée d’intemporalité que nous essayons d’entretenir au sein de notre marque de joaillerie. Se lancer dans la joaillerie est une épreuve complexe dès lors qu’il n’y a rien dans votre famille qui vous destine à ce métier-là. Trouver sa légitimité dans le cercle des joailliers n’est pas évident. J’ai donc ressenti le besoin de me doter d’un nom susceptible de renforcer ma crédibilité sur le marché et qui donnerait l’impression à mes clients, que ma marque était établie, qu’il ne s’agissait pas d’une simple lubie.
D: Ne vouliez-vous pas créer votre marque Eternamé initialement pour lancer des boutons de manchettes ?
SB: Effectivement en 2006 j’ai eu très envie de témoigner l’amour que je portais à mon compagnon. Las, en faisant le tour des boutiques parisiennes je n’ai rien trouvé qui soit personnalisé, j’avais pourtant vraiment envie de cette singularité. Je suis une personne très entière et j’éprouve le besoin d’offrir des objets que j’ai moi-même customisé, j’ai donc décidé de dessiner cette paire de boutons de manchettes, j’adorais cette première idée de création qui allait devenir de plus en plus une passion. Si le nom Eternamé figure deux fois dans le logo c’est bien parce que la maison embrasse modernité et présent avec deux typographies distinctes. Si vous regardez notre logo vous pourrez percevoir les deux E entrelacés formant un sablier. J’ai essayé de décliner tous ces codes pour définir mon identité.
D: Voulez-vous dire que vos inspirations seraient d’abord d’essence masculine ?
SB: Pas tout à fait. Je dirais qu’il s’en dégage une force émotionnelle. Il faut que l’idée parte d’un sentiment fort que j’ai personnellement ressenti. Si vous me dîtes « viens assieds-toi, dessine » je vous répondrai que j’en suis bien incapable. Je ne suis pas une créatrice à proprement parler, par contre je sais ressentir une émotion et la traduire sur le papier.
D: Comment définiriez-vous le style Eternamé ?
SB: Je pense que c’est une pièce de joaillerie englobant tous les traits de la joaillerie traditionnelle mais relevée par des matériaux contemporains.
D: Je rebondis sur ce que vous avez dit : vous vous défendez d’être perçue comme une créatrice, quel nom donnez-vous à votre métier du coup ? Seriez-vous styliste ?
SB: Je ne suis pas créatrice dans l’âme. Pas plus que je ne suis née avec un crayon dans la main. Ma passion ne réside pas dans le fait de dessiner des pièces mais bien dans la faculté que j’ai à imaginer, visualiser puis à faire réaliser des pièces façonnées par mon esprit.
D: D’accord, vous êtes donc « créative » et non pas créatrice. Quel est le rythme de vos collections ?
SB: Le rythme des collections Eternamé dépend de mes envies, de mes voyages ou de l’inspiration qui vient me cueillir. Et c’est pour cette raison que chaque pièce chez moi a une histoire. Si vous vous rendez dans ma boutique, je vous raconterai que cette pièce a été dessinée à Dubaï au domicile d’une amie inspirante, etc… Chaque pièce porte en elle sa propre histoire et relève d’une inspiration et d’une envie circonstanciée.
D:Expliquez-nous l’engouement du public pour de petites maisons telles que la vôtre au détriment des grandes maisons traditionnelles.
SB: Je pense déjà que nos clientes, perçoivent une identité avec laquelle elles arrivent plus facilement à se connecter au contraire d’une grande maison traditionnelle. Elles touchent au plus près une identité, une personne et non pas seulement une maison. Je pense que ce qui fait toute la différence c’est que des jeunes marques telles que la nôtre soient incarnées par des personnes.
Second point nous amenons quelque chose de différenciant par rapport au marché. La marque Repossi que vous avez cité est d’ailleurs une marque que je trouve magnifique, dont je respecte la création, l’identité et qui a apporté une identité différente face aux maisons traditionnelles. Ceci dit pour moi il existe deux types de marques dans le paysage joaillier actuel: les modernes qui réalisent des pièces éphémères tout en cassant les conventions et dans lesquelles je ne me reconnais pas du tout et puis il y a les nouvelles entrantes comme Repossi ou Messika qui sont à mes yeux des marques dotées d’une vraie légitimité, qui existent, qui plaisent et qui sont devenues intemporelles. Un bijou Repossi ou Messika est tout aussi intemporel qu’une pièce de joaillerie Cartier. Il y a une vraie créativité, un vrai travail derrière tout ça.
D: Quelles sont les envies de la « créative » Sarah Besnainou ?
SB: Dessiner, continuer à créer et surtout continuer de rencontrer mes clients. Ce moment que j’ai passé ce matin à discuter avec ces femmes que je ne connaissais pas hier et que j’ai rencontré par Instagram, voilà une méthode de rencontre complétement folle et qui constitue aujourd’hui un travail considérable sur lequel nous avons des retours inexplicables, inimaginables même. Quand ces femmes arrivent à la boutique je partage pleinement un moment d’exception en leur compagnie. Ces 1h ou 5h d’adrénaline permettent à ma création d’être au summum parce que chaque critique, chaque commentaire m’inspirent d’autres envies. Je vis de mes rencontres avec mes clients.
D: Vous avez parlé d’instagram comment s’organise aujourd’hui la communication digitale Eternamé?
SB: J’apprends. Vous savez, il y a un an, j’étais réticente à l’idée qu’Eternamé soit présente sur les réseaux sociaux, sans doute parce que je n’y comprenais rien. Une amie à moi, Laetitia Hallyday, qui s’est révélée être une vraie experte des réseaux sociaux, m’a montré la voie. Elle fait en effet un travail quotidien remarquable en matière de communication. Il y a un an et demi nous avons organisé une vente sur instagram, je me suis prise au jeu, elle avait raison et depuis je n’arrête pas de dire que ce média est fantastique. Après bien sûr il faut savoir travailler avec, c’est important. Je peux ainsi rester 1h30 à faire de l’instagram avant d’organiser une réunion marketing ou de piloter un achat d’espace, c’est un vrai travail.
D: Qui est la femme Eternamé?
SB: Je pense que c’est une femme élégante, très sûre d’elle, qui n’a pas besoin de reconnaissance personnelle à travers ce qu’elle porte dans la mesure où nous proposons une gamme étendue de pièces différentes. Alors bien sûr même si on ne peut pas dire d’un seul coup d’œil qu’une femme porte la marque Eternamé, on peut néanmoins la reconnaitre à son style, c’est vraiment une femme qui est en harmonie avec elle-même, sûre de son propre regard et de celui des autres.
D: Pourquoi avoir choisi le Peninsula pour installer votre premier flagship parisien ?
SB: Le développement en Asie a été excellent ces dernières années. Je remercie à ce sujet mon équipe qui s’est chargée de m’organiser mon premier rendez-vous avec le Peninsula de Hong-Kong afin d’aborder ce projet. Vous n’êtes pas sans savoir qu’Eternamé dispose d’une vraie expérience de boutiques éphémères d’hôtels. Nous ne sommes pas à notre coup d’essai dans la mesure où nous avons déjà monté par le passé une boutique éphémère durant près d’un an et demi à Dubaï avant d’investir d’autres établissements prestigieux tels que le Shangri-la à Paris, le Royal Lucien Barrière à Deauville ou encore le Peninsula de New York. Or si une boutique éphémère d’hôtel marche systématiquement, il n’y a vraiment aucune raison pour que notre première boutique ne soit pas une boutique d’hôtel implantée dans le nouveau palace parisien le plus attendu de la capitale depuis des années. Il y a ici toutes les recettes du succès.
D: Si je grossis le trait vous n’êtes plus éphémère mais vous devenez durable. Qu’est-ce que le « boudoir »?
SB: C’est le point de départ de mes créations et là où il me plait de recevoir mes clients. Quand j’ai ouvert ma boutique je n’ai pas eu envie d’ouvrir une boutique conventionnelle impersonnelle. Ce qui dès le départ de l’aventure caractérise la personnalité d’Eternamé réside dans la connexion avec le client. Auparavant, bien sûr, je connaissais le profil de mes clients sur le bout des doigts. J’ai toutefois quelque peu perdu la main avec le développement de notre distribution à l’international dans de grands magasins tels qu’Harrods, Saks Fith Avenue ou encore Neiman Marcus. Même si je ne peux plus autant maîtriser mon image qu’avant, je garde un œil sur ce qui se vend au quotidien. Cette connaissance de ma clientèle m’a aidé à créer ma collection et à bâtir l’ADN de ma marque.
D: Vous êtes connue pour votre approche très intimiste. Après les déjeuners de l’ambassadeur, voici donc venu les déjeuners de Sarah. Expliquez-nous pourquoi.
SB: Vous ne pouviez pas mieux dire. Nous avons effectivement commencé par convier des femmes d’ambassadeurs à nos diners. Une de mes connaissances, l’ambassadrice française de Tunisie, Nadia Najjar fut la première à inviter ses amies à déjeuner chez Eternamé. Ces repas remportèrent un tel succès que de nombreuses femmes d’ambassadeurs dont Dina Kawar se passèrent le mot et vinrent à ma table.
Rançon de ce succès je n’eus bientôt plus de temps à accorder à mes propres amies. L’une d’entre elles, Hedwige, prit les devants et proposa l’instauration d’un rendez-vous régulier le mardi midi.
Ce qui au départ ressemblait à des retrouvailles à la bonne franquette devint des rencontres planifiées entre femmes chaque mardi midi, dans lesquelles je mettais moi-même la main à la pâte.
Ce fut l’une des périodes les plus enrichissantes de ma vie dans la mesure où j’ai pu côtoyer des personnalités très diverses issues notamment du monde journalistique. Ces derniers temps j’ai été contraint de ralentir le rythme étant moi-même en déplacement à l’étranger.
D: Une question qui m’est arrivée en vous attendant, En regardant votre dernière collection : Noor, Odaya… les noms de vos pièces sont une ode à l’exotisme. Expliquez-nous.
SB: Noor signifie « la lumière » en arabe. En fait je l’ai dessiné chez une amie très chère, Amal, ma première connexion à Dubai. Amal a énormément apporté à la marque Eternamé et c’était une manière de lui dédier une pièce que j’avais dessiné chez elle, inspiré d’un moment que j’avais passé grâce à elle. C’était important. Odaya est, quant à elle, relative à un prénom en hébreu, ma nièce jouait dans l’eau à faire des ricochets et le nom est venu. Chaque nom a une histoire, une raison.
D: Et pourquoi les hommes ne sont pas admis dans vos ladies lunchs ? Retour de la tendance « girl’s band» ?
SB: Ahhhhh c’est notre déjeuner de femmes à nous!!!! Nous avons ainsi des moments intimes entre nous. Que les hommes se rassurent, nous organisons des cocktails à leur égard… rires…Mais c’est ainsi que j’aime être, spontanée, inviter des amies qui viennent déjeuner, et passer du temps entre nous, c’est important pour moi de défendre et protéger cette féminité!