" Quels sont ces chevaux qui jettent leur ombre sur la mer ? "
ANTUNES Antonio Lobo
Roman crépusculaire ? Si le Lecteur a bien compris quelques-unes des informations publiées dans la presse, Antonio Lobo Antunes aurait annoncé sa décision d'interrompre ses activités d'écrivain. Ce roman serait-il donc l'ultime pièce d'un ensemble dont Il a le sentiment, Lui, le Lecteur, qu'il constitue l'une des œuvres les plus conséquentes de la littérature européenne contemporaine ? Les signes précurseurs du renoncement semblent bel et bien présents dans ce livre si puissamment accompli. " ... dans une partie de ma mère dont je ne suis même pas certaine qu'elle existe, que reste-t-il quand on cesse d'exister, à quoi penserais-je, ce livre est ton testament Antonio Lobo Antunes, n'essaie pas d'enjoliver, d'inventer, ton dernier livre, ce qui restera là à jaunir quand tu n'existeras plus... "
Le livre testament ? Un fabuleux bouquin dont le Lecteur s'est imprégné, dont le souffle ne cesse de l'interroger, l'interroger sur le sens de la vie, sur les relations à l'autre, aux autres. Un dimanche de Pâques à Lisbonne. L'imminence du décès de la mère. Les conflits, larvés ou violents, qui opposent ses enfants. Et la pluie, telle un leitmotiv. La pluie qui ne cesse de tomber sur Lisbonne. Tous les Marques sont là ainsi que la vieille servante. Chacune et chacun laisse émerger les souvenirs, des temps les plus fastes de l'élevage de taureaux de combat jusqu'à la décrépitude finale. Atmosphère étouffante. Respiration saccadée. Chacun exhume ses rancœurs, ses haines, les rares instants d'un bonheur inaccompli. " ... il y a eu des moments où j'ai presque aimé mon père mais je me suis libéré à temps, celui qui commence à se soucier des gens ne peut plus s'en préserver et ensuite la souffrance de l'absence, la jalousie, des histoires embrouillées qui entravent le raisonnement et empoisonnent la vie... " Les pensées des unes et des autres se prémunissent de la cohérence. Elles avancent dans une sorte de chaos qui ignore la linéarité des cheminements.
Influence de la psychiatrie ? Antonio Lobo Antunes fut certes un praticien. Mais l'Ecrivain ne s'enclot pas dans les limites d'un docte savoir. Il abandonne au Lecteur la responsabilité d'user de son libre-arbitre et donc de renouer, comme il le peut, en fonction de son ressenti, des liens familiaux dans le contexte d'une histoire adjacente à l'Histoire du Portugal, avec pour seule contrainte celle du rythme de la corrida qui scande et articule l'œuvre, jusqu'au coup de grâce final. " ... il n'entend pas cette envie qu'ils ont de nous déchirer, ils nous déchireront, soyez tranquille, il ne sent pas leurs ailes plisser l'air, réjouissez-vous ils sont par là monsieur, combien en voulez-vous, une douzaine, deux douzaines, allez, il faut vous décider, ne restez pas trop longtemps à tergiverser en agitant la bouche parce que dans moins d'une minute les chevaux seront là comme l'a annoncé la fille de mon père qui s'appelle Beatriz, les chevaux seront là et jetteront leur ombre sur la mer et dès que la mer émergera de l'obscurité nous disparaitrons à jamais. "