L’ablesplaining

Publié le 19 décembre 2014 par Lana

Pour parler de l’ablesplaining, je vais le mettre en parallèle avec le mansplainig et le whithesplaining.

Pour cela, je me suis aidée de l’article « Une question de point de vue », sur le blog Genre!, dont les citations sont tirées.

Le man/white/ablesplaining se rencontre quand une personne en situation de privilèges (Blanc, homme, valide, en bonne santé, etc) s’adresse à une personne en situation d’oppression systémique (qui fait partie d’un groupe socialement dominé et/ou exclu) en lui expliquant comment il doit lutter contre l’oppression et les préjugés, ce qu’elle doit faire dans le quotidien face aux discriminations  et/ou ce qu’elle doit ressentir. Le splanner pense (souvent de bonne fois) que son savoir est neutre, car il vit dans une société où il n’est pas l’Autre et a rarement été éduqué à voir ses propres privilèges. Il pense donc que son avis a une valeur universelle, qu’il n’est pas situé. Or, tout avis est situé.

« Les théories du point de vue ne se contentent donc pas de dire que les femmes et les hommes vivent des expériences différentes, menant à des connaissances différentes. Elles montrent que la situation sociale des femmes (entendues comme catégorie sociale construite et non de façon essentialisée), ainsi que d’autres membres de groupes marginalisés, donne lieu à des expériences spécifiques et les pousse à poser des questions auxquelles ne penseraient pas les personnes non-marginalisées. D’où l’idée d’une autre forme de « privilège épistémique » : les connaissances produites par les études de genre, par exemple, auraient été inenvisageables sans la prise en compte des expériences spécifiques des femmes et l’effort de conceptualisation de ces expériences.

Pour résumer tout cela en une formule qui reste loin de paraître évidente à tout le monde : il n’existe pas de connaissance neutre. « 

« Le concept de « privilège épistémique » peut paraître inutilement complexe mais il est au centre du militantisme féministe tel que je le comprends. Il permet de lutter contre la silenciation et l’invisibilisation des personnes oppressées, en l’occurrence des femmes, en montrant que, parce qu’elles subissent une oppression et en ont donc une expérience de première main, elles sont aussi les mieux placées pour en parler de manière fiable. Leur expérience ne doit être ni minimisée, ni niée, mais écoutée et valorisée, car elles ont quelque chose à apprendre aux personnes qui ne vivent pas cette oppression. »

Il y a des choses qu’on ne sait pas, tout simplement parce qu’on ne les vit pas, parce qu’on n’y fait pas attention, parce qu’elles ne nous blessent pas.  Ainsi, à propos du sexisme:

« Dans le cadre du militantisme, je le dis donc clairement : non, tous les discours n’ont pas le même poids, ni la même valeur. J’ai très (trop) souvent lu ou entendu que les premières concernées sont aussi les moins bien placées pour parler ou juger du sexisme. Qu’il vaut mieux pouvoir prendre du recul pour en parler avec objectivité – comprendre : qu’il vaut mieux être un homme. On retrouve là le mythe de la position omnisciente et neutre du sujet de savoir que j’évoquais plus haut (sur ce sujet, je vous conseille aussi la lecture d’un billet de Denis Colombi, « Avoir un point de vue, ça n’arrive (pas) qu’aux autres »). Si, par exemple, je juge qu’une publicité est sexiste envers les femmes, ne venez pas me dire, si vous êtes un homme, « tu as tort, je ne le vois pas comme ça ». Ce n’est pas un argument, et votre ressenti n’a pas grand-chose à faire dans l’histoire : vous ne pouvez avoir qu’une connaissance indirecte du sexisme dont je parle, vous n’êtes donc pas aussi bien placé que moi pour juger du caractère sexiste de telle ou telle représentation. Vous pouvez ne pas être d’accord, mais demandez-vous d’abord : qu’est-ce que je sais du sexisme ? Cette publicité parle-t-elle de moi ? Suis-je le mieux placé pour dire cela ? Après seulement, on pourra en discuter. Et si vous continuez à ne pas voir le problème, ce n’est pas une raison pour essayer de me faire taire (parce que je suis hystérique, parce que j’exagère, parce que je vois le mal partout). Contentez-vous d’écouter et de respecter mon point de vue, vous n’en mourrez pas. »

La situation est la même avec le whitesplaining et l’ablesplaining  L’important, si on veut éviter le splaining, est d’écouter ce qu’a à dire la personne qui fait partie d’un groupe discriminé, de faire primer son vécu sur les idées qu’on en a. Le contraire est condescendant. Nous pouvons tous faire du splaining, même en toute bonne foi. Je peux dénoncer l’ablesplaining ou le mansplaining mais facilement tomber dans le whitesplaining, puisque je suis blanche et jouis des privilèges systémiques liés à cette condition. Il m’est d’ailleurs souvent arrivé de ne pas voir qu’un film ou un livre, par exemple, était raciste jusqu’à ce qu’une personne racisée me le fasse remarquer. Cela dit, étant donné que je fais attention de ne pas tomber dans le splaining, je supporte d’autant moins qu’on le fasse avec moi.

Il y a deux réactions face à une parole qui nous bouscule dans nos privilèges. On peut y réfléchir, se taire, checker nos privilèges. On peut aussi argumenter en disant que la personne concernée se trompe, qu’elle n’est pas neutre et donc pas objective, que non ce qu’elle dénonce n’est pas raciste/sexiste/validiste, qu’elle s’attaque à notre liberté d’expression en refusant de prendre en compte notre avis, que c’est nous qui sommes opprimés parce qu’elle refuse de nous écouter, qu’elle est agressive, qu’elle inverse la discrimination, qu’elle voit le mal partout, etc. C’est souvent cette dernière réaction que l’on rencontre. Pour ne pas voir le système oppressif dont on fait (même involontairement) partie, on refuse de dire qu’il est systémique et on accuse l’autre de ce dont on ne veut pas se voir accuser.C’est là qu’on atteint des sommets dans le splaining, car en plus de nier le ressenti d’une personne, on nie aussi le système d’oppression dans lequel elle vit. Il suffit de penser au fameux racisme antiblanc qui, soyons claire, n’existe qu’un d’un point de vue individuel mais absolument pas systémique. Autant dire que par rapport au racisme systémique de notre société, il n’existe pas.

Pour illustrer l’ablesplaining, trois bingos, qui reprennent ce que les personnes malades et/ou handicapées entendent trop souvent: Quand vous faites de l’ablesplaining et que la personne en face réagit mal, n’oubliez pas qu’e ce que vous dites, elle l’a déjà entendu cent fois, et que parfois, légitimement, elle en a marre de se taire.

  


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