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3-Ecrivain déjanté cherche idées

Publié le 11 novembre 2014 par Lucie Léanne @lucieleanne75

Un coup dur

Fin d’après-midi. Silence dans mon studio. J’écris depuis une heure : les idées fusent, les phrases coulent sans difficultés. Le stylo plume glisse subrepticement sur le papier quand soudain la sonnerie stridente du téléphone me fait sursauter.
-Humpf !
Enervée , je pose mes affaires sur le lit puis saute sur le téléphone, situé près de la fenêtre.
-Allô, dis-je d’une voix douce.
-Madame Léanne ? Bonjour, permettez-moi de me prés…
-Mademoiselle Léanne, je suis veuve ; respectez ma douleur.
-Oh ! Je….je suis désolée, bredouille l’interlocutrice, toutes mes condoléances. Je suis Virginie Lemaye, de la société Lorenove, spécialiste de l’isolation des fenêtres. Etes-vous bien isolée, mademoiselle Léanne ?
Blocage : je reste interloquée. Me déranger en plein travail pour ça ? D’un rapide coup d’œil, je vérifie si les options du téléphone ont bien été activées. Aie ! J’ai oublié de mettre la sonnerie en mode silencieux.
-Mademoiselle Léanne, vous m’entendez ?
Et la dinde qui attend au bout du fil.
-Oui, oui, je vous entends.
-Vos fenêtres sont-elles convenablement isolées du froid ?
-Je n’ai pas de fenêtre.

Miss Lorenove 217x300 3 Ecrivain déjanté cherche idées

Miss Lorenove

-Pardon ?
-J’habite dans une grotte, avec mes escargots ; c’est humide, idéal pour eux et pour moi.
-Vous…vous plaisantez ?
Je prends une grande inspiration ventrale, pose la main sur mon sternum :
-Non, je ne plaisante pas.
Ma voix a brusquement changé, grave, gutturale, méconnaissable comme celle d’une vieille femme. Le combiné reste un moment muet.
-Qui est là ? demande la jeune femme intriguée.
-C’est tante Huguette ; tu ne te souviens pas de moi, ma chérie ? Quand tu étais petite, nous allions cueillir des violettes dans les champs.
Je me retiens de rire.
-A quoi jouez-vous, mademoiselle Léanne ? Arrêtez.
Je sens de la peur dans sa voix.
-Tante Huguette, Virginie ! Pas madame Léanne. Je t’ai connue quand tu avais quatre ans ; je te gardais quand ta mère travaillait : qu’est-ce qu’on a pu s’amuser ensemble ! Le manège sur la place du village, tu adorais ça…
-Je… je ne vous connais pas, réplique-t-elle peu rassurée
L’heure de vérité. Je reprends une voix jeune, plus aiguë que la mienne, et nasillarde.
-Elodie ! Qu’est-ce que vous faites-ici ? Les infirmières vous cherchent partout. Vous avez encore joué avec le téléphone ! C’est une manie le standard chez vous. Retournez dans votre chambre ; allez, allez !!! Allo ? Qui est à l’appareil ?
-Virginie Lemay, de…Lorenove…
-Encore une erreur ! Madame, vous êtes au standard de l’hôpital Cochin, unité psychiatrique ; je suis la secrétaire. Vous étiez en train de parler avec une patiente…
-Je ne comprends pas…dit la jeune femme, décontenancée.
-Cette patiente est atteinte de troubles de personnalité multiple (je ne devrais pas vous dire cela, chuchotai-je) elle emprunte des noms et une voix différente pour chaque personnalité, sans vraiment pouvoir se contrôler.
-Je ne parlais pas avec…Lucie Léanne ?
-Non, cette semaine, plusieurs personnes nous ont appelées par erreur. Je ne sais pas ce qui se passe avec le nouveau transfert de ligne- je l’ai déjà signalé à France télécom. Le dernier numéro du standard est 48 ; les gens s’embrouillent (je soupire exagérément). Et les infirmières qui sont débordées.
S’ensuit un lourd silence. Miss Lorenove aurait-elle sauté par la fenêtre ?
-Désolée, madame, je dois vous laisser sinon le standard va exploser.
-Attendez…(sa voix tremble), c’est bien l’hôpital Cochin ?
-Oui, dis-je d’un ton exaspéré! Parfois, comme ce soir, une patiente échappe à la vigilance des infirmières ; j’étais aussi occupée…Elodie en a profité pour répondre au téléphone ; elle adore ça. Au plaisir !
Je raccroche le combiné puis éclate de rire.

Panne d’inspiration

Vingt minutes ; cela fait vingt minutes que j’essaie de trouver des idées. Depuis le coup de téléphone.

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Déranger une folle dingue en plein labeur peut s’avérer dangereux. Imaginez qu’un jour, par hasard, je découvre l’adresse de Miss Lorenove (j’ai déjà son numéro de téléphone au travail, son nom Virginie Lemaye). Comment réagirai-je ? Poliment j’irai sonner à sa porte…et armée d’un révolver que m’aura procuré Dédé La Perlouze, je la tuerai ; puisqu’elle a tué  mon inspiration, mon élan littéraire. Qui est dans l’embarras maintenant ?

L’inspiration n’a pas de prix, surtout la mienne, je vous remercie. Des heures à chercher des métaphores poétiques, à sculpter la phrase puis en une seconde, tout s’évanouit. Pas étonnant qu’après on ait des envies de meurtre ! Je n’avais qu’à pas répondre ? Dérangée pour être dérangée, autant s’amuser !

Coup de téléphone, coup de sonnette : même combat. Heureusement que je n’ai pas de portable.
Comment remédier à ce manque cruel d’idées ? Faire autre chose, ne plus y penser, voir des amies, contempler mes escargots, accepter la situation.


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