d'après UN SOIR de Maupassant
Dès le lycée, j’étais en fait
Une manière de poète
J’avais écrit un volume de vers,
Mais je n’en vendais aucun exemplaire.
Ensuite, j’ai fondé une revue
…Que personne n’a jamais lue.
Puis, je devins amoureux d’Andrée
Et nous fûmes bientôt mariés.
Elle n’avait cure
Que je fusse romancier.
Elle ne pensait qu’aux affaires
Et aux affaires prospères,
Celles qui procurent
Beaucoup d’argent.
Je lui achetai à Nogent
La Librairie des Mousquetaires
Qui devint vite un salon littéraire.
Les lettrés y causaient
Poésie et politique. On glosait.
Nos habitués étaient Guy Froment
Un grand garçon,
Un beau garçon,
Aux yeux complimenteurs,
Christian Barbet, professeur,
Deux voisins, Labarre et Marcouset,
Et le général marquis Pierre de Brézé,
Chef du parti royaliste,
Soixante-seize ans, héraldiste.
Ma femme dirigeait la vente.
Moi, dans une pièce attenante,
J’écrivais mon premier roman.
Un jour, rue du Sacré-Cœur,
En allant chez mon éditeur,
Je marchais derrière une dame
Qui ressemblait à ma femme
J’ai pensé : ’’Que ferait-elle ici
Puisqu’elle a entrepris à la librairie
Un nouvel aménagement ?
Ce n’est pas elle assurément…’’
Mais elle se retourna par hasard :
-« Tiens, te voilà, c’est bizarre,
…J’étais justement venue
À la menuiserie Cornu
Commander nos étagères. »
(Oh, l’affirmation mensongère !)
-« Tu rentres à la boutique ? »
-« Mais oui, mon cher Eric. »
Pressé, je la quittai et partis.
Pourquoi avait-elle menti ?
J’eus alors le vif sentiment
Qu’elle avait un amant.
Depuis, quand je devais sortir,
Je me disais: ’’Il va venir, le satyre !’’
J’étais jaloux ; aucune hésitation.
Ha ! Comme je regrettais l’Inquisition !
J’aurais écrasé ses mains coupables
Dans des étaux redoutables.
J’aurais crié : -‘’Allons, parle, avoue ! ‘’
-‘’Non !’’ Alors, dans l’eau qui bout,
J’aurais plongé ses pieds
Afin de l’estropier à jamais.
Andrée dinait souvent
Avec nos clients
Au Relais du Carrousel,
Rue de Seine,
…Alors, j’ai acheté le maître d’hôtel
Et imaginé la scène :
‘’J’entre. Une table de ce restaurant
Sépare les deux amants.
Le coupable est Froment.
À coups de canne, je l’assomme.’’
Mais,
Quand je suis arrivé à la brasserie,
Le vénal majordomme
M’indiqua une porte dérobée :
-« Ils sont là, dans ce salon privé. »
Sans frapper, il m’introduisit.
Andrée n’embrassait pas Froment
…Mais Brézé, le vieux marquis !
J’en suis resté abasourdi.
Ma femme s’était entichée
D’un genéral débauché !
Les femmes se donnent aux jeunes, aux vieux,
Pourvu qu’ils soient riches ou glorieux.