Le Streaming, nouveau jeu, nouvelles règles ?
Charly
Il n’y a pas si longtemps, nous autres les aficionados de son, n’avions pas à nous préoccuper d’éthique ou de notre responsabilité dans la grande machine de l’industrie musicale. On écoutait la radio, on se faisait des compils artisanales armé d’un crayon à papier et d’un magnéto et quand un artiste nous plaisait on allait chercher l’album chez le disquaire du coin. C’était aussi simple que ça.
Mais les temps ont changé. Aujourd’hui, pour le meilleur et pour le pire, nous pouvons accéder à nos artistes fétiches par une multitude de canaux, plus ou moins faciles d’accès… On sait qu’internet, le haut débit en général et le streaming en particulier y sont pour beaucoup : le son s’échange de façon quasi instantanée et infinie, entre auditeurs, mais aussi entre artistes et « consommateurs ». Les découvertes en sont d’autant plus nombreuses et une chose est sure, cette évolution a permis de faire évoluer notre rapport à l’écoute et à la création. L’accélération et la multiplication de l’information disponible ont bouleversé nos façons de créer et de s’inspirer. On a vu la notion de « playlist » exploser et « l’album » n’est plus cette chose figée avec un début et une fin. Et puis, nos camarades d’HADOPI sont formels, on passe plus de 5h par semaine à écouter de la musique en streaming…
Seulement voilà, cette opportunité nous met dans une position délicate : celle de l’auditeur responsabilisé. Pour vous donner une petite idée, Spotify rémunère l’artiste en moyenne 0,004€ par écoute. Ce qui n’est pas pour arranger leurs finances… Mais certains groupes un peu malins s’en accommodent bien, le groupe Vulfpeck a par exemple eu la brillante idée de financer une tournée entière avec la création d’un album de silence, sleepify, que leurs fans devaient écouter en repeat la nuit. Un concept uniquement dédié à faire cracher la plateforme suédoise !
Leur explication ici :
Mais en dehors de ces cas qui font un peu figure d’exception, quelle est la norme ?
Mise en situation : Je suis un jeune groupe psyché/garage hardcore et la mayo commence à prendre avec ma fan base. Une major me propose donc de distribuer ma prochaine autoproduction pour tâter le terrain avec l’idée de produire intégralement un potentiel futur album (#futé !). Viens la sortie de mon opus tant attendu et sa mise en ligne. Calculette en main : pour espérer me faire un petit SMIC, il va me falloir environ 400.000 écoutes ! Vous l’aurez compris, sans aller jusqu’à cautionner cette belle citation de Thom Yorke : « Spotify, le dernier pet désespéré d’un cadavre agonisant » on peut quand même se demander si les artistes y gagnent vraiment.
Mais laissons un peu les artistes de côté, après tout ils l’ont bien cherché (hinhin). Parlons un peu de notre place d’auditeur. Et surtout de nos oreilles, prises d’assaut par des sons de plus en plus compressés, « instantanéité » sur le web oblige. Et si on faisait une détox ? En termes de formats audio, si on compare la peinture à la musique, le MP3 est au son ce que le screenshot d’une recherche google image est à la toile de maître originale… Quand au vinyle, il a quelque chose de ce bon poulet élevé au grain… quand le MP3 relève plutôt du genre siamois à trois pattes, tout juste bon à finir dans un bucket !
[Ceci est un message à caractère moralisateur]
Alors oui, c’est vrai, le streaming c’est pratique. On peut s’écouter l’intégrale des One-D sur son portable si on veut. Mais, après tout, est-ce qu’une bonne écoute et surtout une écoute dans de bonnes conditions (environnement, système son, support) ne nous permettrait pas d’apprécier à leur « juste » valeur les longues heures en studio qu’ont passé le groupe et tout ceux qui passent derrière la console à mixer leur son ? Sans aller jusqu’à dilapider notre pécule dans des systèmes audio hors de prix, on vous propose de faire un petit test chez vous :
Choisissez un CD que vous aimez plutôt bien et qui n’est pas encore en train de mourir dans une boîte à gant de la voiture de maman (petite pensée pour mon Led Zep IV…. RIP). Au feeling, choisissez une piste qui vous parait correcte pour faire un test audio et cherchez-la en même temps sur une plateforme de streaming gratuite (YouTube, Soundcloud, Deezer etc).
Si vous avez un casque un peu sympa que tantine vous a offert à noël dernier, va pour le casque. Sinon, faites ça sur votre chaîne habituelle. Et voici le moment fatidique, celui où vous vous dites « vais-je vraiment entendre la différence ? ». La réponse est malheureusement non… dans la plupart des cas, étant donné que nous écoutons le MP3 depuis trop longtemps pour sentir la différence (un peu comme Tom Hanks qui veut faire un bisou à Wilson, son ballon).
Et pourtant, il existe bel et bien une différence, une impression de son moins tassé, occupant plus d’espace. On y entend mieux chaque instrument, et si le système audio est à la hauteur, on aura cette sensation de présence qu’il est impossible d’avoir avec un format aussi compressé que le MP3. Alors pourquoi cette perte de qualité ?
Il faut penser le son comme une matière première et se représenter toutes les étapes par lesquelles il va passer avant d’arriver dans nos chastes oreilles. Tout commence au berceau, derrière la table d’un studio où la sueur de quelques Hommes fait sortir de la table LE son pour lesquels ils s’étaient réunis. Formidable. Un bonhomme va mixer le tout et un autre bonhomme va masteriser (c’est-à-dire, grossièrement, faire ressortir les bonnes fréquences). Et puis vient le rôle du charcutier : celui qui coupe dans le lard, pour faire rentrer un signal sonore hyper riche et complexe sur un support plus restreint. C’est le principe de l’encodage. Pour réduire le poids des fichiers et faciliter stockages et transferts, le son est toiletté : si le son est une courbe (sinusoïdale donc), alors l’encodage consiste à en couper les extrêmes pour en faire un signal numérique le plus standard possible. Et quand on coupe, il y a des pertes… Mais bon, relativisons : à la décharge des spécialistes du genre, n’oublions pas que le MP3 a été inventé quand Internet s’achetait encore sur CDROM à la minute ! A l’époque, la bande passante était ultra faible et il aurait fallu plusieurs jours pour espérer télécharger un fichier comme un FLAC (Free Lossless Audio Codec, l’encodage accessible le plus riche).
Alors que faire, tout en évitant les dérives suivantes ?
Pour le moment, il n’existe pas vraiment de moyen d’échapper au choix cornélien quantité-immédiateté/qualité. A moins d’avoir une 4G qui déboîte et un abonnement mensuel à une plateforme de streaming haute définition (à ce jour, seul Qobuz propose ce type d’abonnement). Une chose est sûre, le marché de la musique est en train de se réinventer. Et nos façons d’écouter avec ! Les grands acteurs de l’industrie musicale réfléchissent déjà à ce que pourrait être l’avenir du streaming. Ils ont bien conscience que les pubs interminables et douloureuses sur Deezer ne financeront jamais le dernier Dr Dre (qui comme chacun le sait traverse une période pénible de disette).
Résultat des courses, il va bien falloir que nous auditeurs, nous fassions à l’idée, tout aussi douloureuse mais nécessaire, du consentement à payer… pour le meilleur et aussi pour le pire.
La suite au prochain épisode !
Pour aller plus loin :
Stats de l’IFPI (International Federation of the Phonographic Industry)
www.ifpi.org/facts-and-stats.php
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