510 millions de kilomètres de froid sidéral me séparaient de chez moi. En son sein,
Rosetta m’avait porté. Nous avions contourné la Terre et orbité autour du soleil, y acquérant, par l’action de la gravité solaire, l’élan ultime pour le périple. Dans l’oubli stellaire, nous avions ensuite voyagé, et voyagé. Parfois, nos maîtres nous donnaient signe de vie, contacts éphémères, mais réconfortants. Le voyage était si long, et le silence, si profond. Les astres, seuls compagnons, nous observaient, indifférents. Notre périple a duré dix ans.Enfin, 67P est apparue, belle comète avec sa traînée de matière. Curieux par devoir, nous nous sommes approchés. Méfiants, nous l’avons scrutée. Nous étions tout près quand Rosetta m’a larguée. En chute libre, j’ai vu l’astre grossir, et grossir, jusqu’à ne plus voir que sa surface. Avec maladresse, je m’y suis posé. Tout croche. À l’ombre. C’était le 12 novembre.
Mes maîtres jubilaient. Ils croyaient peut-être que je n’y arriverais pas. Belle confiance !
Je me suis senti seul. Rosetta aussi, j’imagine, elle qui, abandonnée, dérivait vers les profondeurs de l’univers. Moi, j’avais mon nouvel ami, ce rocher aride, insensible en apparence, qui poursuivait sa route, filant vers le soleil, notre étoile, avec moi, en équilibre précaire sur son dos.
Mes maîtres festoyaient encore quand le problème s’est révélé. Mon énergie se consumait et mes piles ne se chargeaient pas. À l’ombre de mon ami, je mourrais. J’en avertis mes maîtres. Leur réponse fut limpide. Je me suis donc mis à la tâche, avant que mes forces ne m’abandonnent. J’ai transmis des images, plusieurs images. Pour quelques rayons de soleil de plus, j’ai soulevé mon poids plume, une masse de un gramme sur la Terre, me repositionnant de quelques centimètres, assez pour reprendre contact avec mes maîtres, et forer la surface de 67P.
Hélas, malgré mes espoirs, la manœuvre n’a pas suffi. Mes batteries ne se rechargeaient pas. Une seule solution s’envisageait : l’hibernation, éteindre mes circuits, goûter au néant, filer dans le cosmos sur le dos d’une roche, vers le soleil qui, vers le mois d’août, me réanimerait peut-être. Peut-être…
J’y suis. Plus qu’un circuit à couper. Adieu, réalité. Toi qui m’étais chère. Je…
…
Tiens. Bizarre. Le soleil est encore loin, et je reprends vie. Le vide sonore n’existe plus. Des clochettes carillonnent. Un murmure émane des étoiles qui dansent.
….et les yeux levés vers le ciel
À genoux les petits enfants
Avant de fermer les paupières
Font une dernière prière…
Je mets mon horloge en marche. 24 décembre. Le froid n’est plus. Mon tripode ne sent plus le roc. La surface est moelleuse. Et chaude. Où est 67P ? Où suis-je ? À plein régime, mes batteries se rechargent. Je revis ! Devant, la traînée n’est plus. Un attelage formé de milliers de rennes la remplace. Avec entrain, les quadrupèdes galopent, me lorgnent avec malice. Nous filons à folle allure à travers le cosmos. Derrière moi, du mouvement. Je redirige mes caméras.
Comme autant de nébuleuses, une infinitude de boîtes enrubannées défile. Devant, me sourit un grand personnage rouge et blanc. Je consulte ma base de données. Néant. Rien sur ce céleste personnage.
− Ne crains rien, Philae, prononce une voix paisible et grave issue d’une barbe majestueuse. Avec confort, installe-toi. Une longue et belle nuit approche. Une nuit singulière. Tes maîtres ne s’en doutent pas, mais cette nuit, ensemble, nous survolerons leur ciel, nous nous faufilerons dans leurs cheminées, nous réchaufferons les cœurs transis et dévoileront aux âmes sensibles à quoi servent vraiment les comètes ! Ho ! Ho ! Ho !© Jean-Marc Ouellet 2014