d'après LES EPINGLES de Maupassant
-« Tu sais que, rue de Milan,
J’ai mon habitude, la petite Louison.
Or cet été, pour changer d’air.
Je suis allé dans le Morbihan
Et là, j’ai eu une nouvelle liaison
Avec la femme d’un notaire
Qui restait travailler à Paris.
Il venait la rejoindre le samedi
Et repartait le dimanche soir.
Elle m’invita dans sa résidence.
Je lui offris un drageoir
Et nous liâmes connaissance.
En confidence, je te le dis,
Je n’ai eu aucun obstacle,
Un vrai miracle !
Mais à la fin du mois,
Il fallut bien rentrer, …elle et moi.
Pourquoi aurais-je rompu ?
Je n’avais rien à lui reprocher !
Que me conseilles-tu ? »
-« Essaie de la lâcher. »
-« Mais si elle vient chez moi ? »
-« …Tu n’es pas chez toi ! »
-« Si elle revient ? »
-«Tu es souffrant, tiens ! »
-« Si elle me soigne ? »
-« Contagieux, tu l’éloignes ! »
-« Si elle revient, la chérie ? »
-«Tu écris anonymement au mari. »
-« Écoute la suite : il y a huit jours,
Mon habitude, elle aussi de retour,
Est arrivée à l’improviste chez moi
Et croisa ma nouvelle…
Tu vois !
J’ai dû fixer des jours à mes belles.
Pour l’habitude, les lundis et mardis.
Et pour la nouvelle, plus jeune, plus amène,
Les mercredis, jeudis et samedis »
-«Tu n’as que deux repos par semaine ? »
-« Oui, cela me suffit amplement. »
-« Mes compliments ! »
-« Or, il m’arrive l’histoire suivante,
Amusante, quoique navrante :
Mardi dernier,
Comme convenu, j’attendais
Mon habitude à une heure et quart,
En fumant un bon cigare.
Je rêvassais…
L’heure passait.
Avait-elle été retenue
Par une cause inconnue,
Un importun, une migraine, …
J’allais chez elle rue Sedaine
M’en assurer.
Et là, tranquillement
Elle m’a déclaré :
-« J’ai eu un empêchement. »
Alors, j’ai tout simplement considéré
Que je rattraperai
L’ocasion perdue
Avec ma nouvelle, attendue
Le lendemain à midi.
Mais le lendemain à midi et demie,
Ma nouvelle n’était pas encore arrivée.
J’étais si énervé
Que je courus à son appartement :
Mon cher, elle lisait un roman !
Et elle me sortit calmement :
-« Amour, j’ai eu un empêchement. »
-« Lequel, puis-je savoir ? »
-« Une occupation ennuyeuse. »
-« Or, avec mon habitude, lundi soir… »
-« Ce fut la même chanson douteuse ? »
-« Oui, et aussi les jours suivants.
Cela devenait très énervant.
J’ai soupçonné entre elles un secret.»
-« Avaient-elles deviné,… à peu près… ? »
-« Non, mon cher, tout. Et sine die,
Elles m’ont, par lettres, congédié
Dans les mêmes termes, le même jour !
Ah ! Elles m’avaient joué un joli tour !
Le voici : sans se faire voir,
L’une avait posé
Une épingle sur la cheminée.
De mon boudoir.
L’autre, c’était malin et adroit,
La remplaça au même endroit
…Par une épingle de son chignon.
Au rendez-vous suivant,
L’habitude, ayant vu la substitution,
Posa deux épingles, en les croisant.
Et, le lendemain, la nouvelle
Réagissant à ce signe cabalistique,
Mit là trois fines piques
Avec la même discrétion naturelle.
Le jour suivant, l’habitude
Enroula avec promptitude,
Sur une des pointes d’acier,
Un minuscule papier
Où elle avait inscrit :
‘’R.I.
Poste restante,
Rue Alicante’’
Depuis, elles s’écrivent,
Et se re-écrivent.
Elles sont devenues
Très bonnes camarades !
Tu comprends ma déconvenue.
J’en suis malade ! »