Journaliste politique au Monde, Alexandre Lemarié est un des plus fins observateurs de l’UMP. Il décrypte en exclusivité pour Délits d’Opinion les premiers pas du parti sous l’ère Sarkozy.
Délits d’Opinion : Le nouvel organigramme de l’UMP peut-il mettre en sourdine les querelles entre les différentes écuries présidentielles ?
Oui, au moins à court terme. A part quelques voix isolées comme Nadine Morano et Rachida Dati, tous les responsables de l’UMP jouent le jeu de l’unité depuis l’élection de Nicolas Sarkozy. Pour une raison simple : aucun ténor ne peut se permettre de passer pour le diviseur aux yeux de militants, irrités par la guerre des chefs qui empoissonne la droite depuis deux ans et demi. La preuve : après avoir placé leurs fidèles à des postes clés du parti, les rivaux de Nicolas Sarkozy ont tous mis en scène leur volonté de contribuer à la reconstruction de l’UMP, en s’affichant aux côtés du nouveau président du parti devant les journalistes. Les sarkozystes ont bien compris l’état d’esprit de la base UMP et en profitent pour se présenter comme les garants de l’unité et du rassemblement d’un parti en crise.
Sur le long terme, c’est une autre histoire. Les tensions devraient inévitablement réapparaître dans les mois qui viennent entre les prétendants à l’Elysée, qu’ils soient candidats déclarés (Alain Juppé, François Fillon et Xavier Bertrand) ou en passe de l’être (Nicolas Sarkozy et Bruno Le Maire). Le paradoxe, c’est que les tensions internes les plus visibles sont apparues dans le camp des sarkozystes : les deux ambitieux quadras, Nathalie Kosciusko-Morizet et Laurent Wauquiez, se sont menés une guerre impitoyable en coulisses pour obtenir le poste de secrétaire général du parti.
Délits d’Opinion : Nicolas Sarkozy peut-il échapper à une primaire ? Et à défaut, quelles seraient les modalités idéales de cette dernière pour l’ancien Président ?
Non, même si les sarkozystes ont longtemps espéré que l’effet de souffle provoqué par l’élection de leur candidat à la tête de l’UMP permettrait à ce dernier de s’imposer comme le candidat naturel de son camp à la présidentielle, il semble désormais acquis qu’une primaire aura lieu en 2016 pour départager les prétendants à l’Elysée. M. Sarkozy a lui-même donné des gages à ses rivaux en se disant disposé à participer à une primaire ouverte aux électeurs de droite et du centre, comme le prévoient les statuts de l’UMP. Sa décision de nommer le député Thierry Solère -proche de Bruno Le Maire- à la tête d’un groupe de travail devant travailler à l’organisation de la primaire, a rassuré ses rivaux. Désormais, plus personne ne doute qu’une primaire aura lieu.
Le principal enjeu reste désormais de savoir quel sera le corps électoral de ce scrutin. Moins il y aura de votants et plus cela devrait avantager Nicolas Sarkozy, favori auprès du noyau dur de l’UMP. A l’inverse, M. Juppé mise sur une participation « de 2 à 3 millions de votants » pour avoir davantage de chances de l’emporter. Ce dernier étant plus populaire que M. Sarkozy auprès des sympathisants UMP et du centre.
L’autre interrogation, c’est de savoir si les candidatures s’élargiront au MoDem. Pour l’instant, l’ancien chef de l’Etat refuse que le président du MoDem puisse concourir. S’il considère l’UDI comme un partenaire en qui il peut avoir « confiance », il dénonce en revanche « l’hypocrisie » du maire de Pau, à qui il reproche d’avoir voté en faveur de François Hollande au second tour en 2012. M. Juppé, lui, est favorable à ce que M. Bayrou participe à la primaire. Pour lui, tous les candidats de la droite et du centre doivent pouvoir s’y présenter afin de faire émerger un candidat unique de l’opposition républicaine susceptible de battre la gauche et de résister à la poussée du FN.
Délits d’Opinion : Au delà des postures, existe-t-il de réelles différences idéologiques entre les prétendants à la primaire ?
Non, pas vraiment. Pour l’instant, Nicolas Sarkozy, Alain Juppé et François Fillon divergent davantage par leur personnalité que par leur programme. Dans la bataille des idées, leurs pistes de réformes économiques se ressemblent. Tous sont lancés dans une surenchère libérale, en prônant une baisse du coût du travail, la suppression de l’impôt sur la fortune ou le retour du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux. Seules des nuances permettent de distinguer leurs esquisses de programme. François Fillon est, par exemple, le plus déterminé à vouloir abolir les 35 heures quand ses rivaux veulent avant tout sortir du cadre rigide actuel, en permettant aux entreprises de pouvoir s’affranchir de la durée légale de travail.
Tous rivalisent aussi de fermeté sur le terrain de l’immigration. De Nicolas Sarkozy à François Fillon en passant par Xavier Bertrand ou Bruno Le Maire, tous se sont prononcé pour une immigration choisie, une restriction du droit au regroupement familial, un renforcement des frontières extérieures de l’Union européenne, ou une remise en cause de l’aide médicale d’Etat (AME), qui permet aux sans-papiers de se faire soigner gratuitement. Seul Alain Juppé tient un discours plus tolérant sur l’immigration. Le maire de Bordeaux a appelé en septembre à l’établissement d’une « identité heureuse » en France, en soulignant que l’immigration, en étant « maîtrisée », « est source d’une diversité qui enrichit notre patrimoine culturel, gastronomique, économique… ».
Mais ce relatif mimétisme sur le fond s’accompagne d’une stratégie de différenciation sur le style et la méthode de gouvernement. Nicolas Sarkozy se pose en rassembleur en mettant en avant son autorité et son énergie, afin d’apparaître comme le seul capable de mettre son camp en ordre de bataille, sans s’épuiser dans des divisions internes. Alain Juppé, lui, veut incarner le candidat de « l’apaisement » pour se démarquer de l’image clivante attribuée à l’ancien chef de l’Etat. Le chiraquien entend capitaliser sur son image de sérieux et de modéré pour séduire les électeurs du centre dans l’optique de la présidentielle. François Fillon, lui, a une autre stratégie. Distancé par MM. Sarkozy et Juppé dans les sondages, le député de Paris est persuadé que la bataille se jouera avant tout sur les projets. Lui se pose comme celui qui n’hésitera pas à mener des réformes structurelles de grande ampleur pour redresser le pays.
Délits d’Opinion : Pour vous, le futur gagnant de la primaire UMP sera t-il le prochain président de la République ?
C’est fort probable, si l’on en croit les sondages qui prédisent un second tour entre le candidat de l’UMP et la représentante du FN, Marine Le Pen. Les résultats des douze élections législatives partielles, qui ont eu lieu depuis l’élection de François Hollande, accréditent l’idée d’un scénario qui verrait le PS éliminé dès le premier tour en 2017. Que ce soit dans l’Aube, le 7 décembre, ou dans l’Oise le 24 mars, le candidat socialiste a été éliminé dès le premier tour et a laissé les candidats de l’UMP et du FN s’affronter en duel au second. Même si rien n’est définitif, l’affaiblissement de l’exécutif est si fort aujourd’hui que peu d’observateurs voient le PS en mesure d’éviter un nouveau « 21 avril » à la présidentielle. Ce contexte nourrit en grande partie les ambitions à droite. « Voir Hollande si bas et l’idée que la victoire serait à portée de main nous rend tous fous », confiait récemment un prétendant à la primaire.