Note 3/5
Adaptant son roman éponyme datant d’une décennie, Abd al Malik a trouvé nécessaire de transposer cette histoire autobiographique dans un nouveau média. Jonglant depuis 1996 entre le rap, le slam et la littérature, il s’essaye ici au septième art espérant élargir pour un plus grand public son message de paix et de « vivre ensemble ».
Le film retrace la vie de Régis Fayette-Mikano (le nom d’Abd al Malik avant sa conversion à l’islam soufi) dans la cité du Neuhof à Strasbourg. Enfant d’immigrés du Congo, élevé par sa mère avec ses deux frères, Régis mène une double vie. Lycéen modèle avec des facilités et un amour pour la littérature, il devient une fois les portes du savoir refermées, un jeune délinquant, pickpocket et dealer de shit pour combler son déficit budgétaire. Son rêve est d’économiser suffisamment d’argent pour enregistrer une maquette de rap avec son frère et ses potes, l’objectif visé : vivre de leur musique. Régis est vite rattrapé par la réalité, la drogue. Les règlements de compte déciment ses amis et les conséquences de leurs actes n’échappent pas à l’impérieuse justice. Régis se rapproche de l’islam et s’y convertit. Il choisit son nom, symbolique d’une vie nouvelle : Abd al Malik.
L’islam l’aide à mettre de l’ordre dans sa vie et lui ouvre les portes de la paix intérieure et de la fraternité. Il est alors tiraillé entre ses convictions religieuses, ses engagements auprès de ses fournisseurs de drogues et son rêve de rappeur.
© Ad Vitam
Jean-Jacques Rousseau disait « l’homme naît bon, c’est la société qui le corrompt ». Cette phrase aurait pu être prononcée par Régis au sein du film lorsque il lit les Confessions du même Rousseau. Elle reflète les douloureuses réalités d’une société égoïste en péril et dont le refus d’intégration ne fait qu’engendrer le mal.
Ce refus est montré à deux reprises. L’oncle de la famille (Maxime Tshibangu) roulant en voiture dit à ses neveux : « La France, nous on l’aime c’est elle qui ne nous aime pas » ; ou encore lors d’une ballade entre Nawel (femme d’Abd al Malik jouée par Sabrina Ouazani) et Abd al Malik (Marc Zinga) où elle prononce cette phrase sensée : « On ne doit pas se sentir étranger dans notre pays, et notre pays c’est la France »
Le film est le parcours initiatique d’un homme dédoublé cherchant à trouver une unité de corps et d’esprit, se confrontant à des choix complexes mais salvateurs qui contribueront à orienter sa vie.
Cependant le film manque d’originalité, d’une identité propre, rappelant trop souvent des films comme La Haine de Mathieu Kassovitz (1995) ou encore Ma 6T va crack-er (1997) de Jean-François Richet. L’Esquive d’Abdellatif Kechiche (2004) avait offert un nouveau regard sur la banlieue en faisant une comparaison avec la pièce Le jeu de l’amour et du hasard de Marivaux. Rengaine de Rachid Djaidani (2010) avait réussi à apporter une vision neuve sur une histoire d’amour en banlieue parisienne tout en rendant hommage à Godard avec subtilité.
Qu’Allah bénisse la France s’englue dans une mécanique bien rodée, restant bienséant dans des cadres définis sans volonté de mise en scène.La musique composée par Abd al Malik et son frère Bilal est réhaussée par l’orchestration de Laurent Garnier (compositeur de musique électronique) qui rythme le récit avec des beats bien lourds, jonglant avec les différents styles, du 16 mesures pour une piste instrumentale aux partitions synthétiques bien tonifiantes pour la scène de concert du groupe N.A.P (News African Poets, groupe formé par Abd al Malik son frère Bilal et 4 autres amis.)
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Qu’Allah bénisse la France est un hommage assumé au film à La Haine de Mathieu Kassovitz et en calque de trop nombreux aspects. Exemple sur les 5 premières minutes du film : premièrement, le choix du noir et blanc, puisque Abd Al Malik a choisi Pierre Aïm comme chef opérateur, qui nous avait offert une photo noir et blanc pour La Haine et pour J’ai toujours rêvé d’être un gangster de Samuel Benchetrit (2008).
Deuxièmement, le choix de l’introduction avec un prélude. Le film d’Abd al Malik commence sur des plans de jeunes de cité sur un fond sonore composé par Laurent Garnier rappelant les images des manifestations et des confrontations avec la police dans La Haine sur la chanson « Burnin’ and Lootin’ » de Bob Marley.
Troisièmement, la confrontation immédiate avec les forces de l’ordre. La première scène Qu’Allah bénisse la France débute avec l’arrivé des policiers en camionnette à la cité du Neuhof. La Haine démarre avec la présence des policiers au sein de la cité avec des wagons de CRS.
Le film n’invente pas, il ne fait que reproduire. Seule la religion, inexistante dans La Haine, amène une réflexion sur l’importance et l’aide qu’elle suscite au sein des banlieues. Le livre approfondit avec brio cette thématique, nous expliquant son cheminement au sein des différentes branches de l’islam. Le film dans son format trop court (90 min) ne permet pas à son auteur ne nous exposer, à notre grand regret, tout ce voyage introspectif.
Une scène silencieuse cependant restera gravé dans notre mémoire : lors de son pèlerinage au Maroc où, silencieusement, il découvre son appartenance à une communauté et prie et mange avec ses frères.
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Le film a la vertu de promouvoir une vision objective et réaliste de la vie en banlieue, et un message d’espoir pour tous ceux qui savent accepter et comprendre les différences. La forme cinématographique ne prime pas sur la beauté du message. Qu’Allah bénisse la France est un film sur la banlieue, réalisé par un homme qui y a vécu et qui en s’en est sorti, mais qui y restera toujours.
Pour conclure, paraphrasons son auteur dans sa chanson »Gilles » de l’album Dante (2008) : « Lorsqu’on fait quelque chose, il s’agit d’y rester et d’en sortir. Lorsqu’on fait quelque chose, il s’agit d’en sortir et d’y rester. »
Finalement la forme importe peu pour ce film, le message reste.
Mathieu Cayrou
Film en salles depuis le 10 décembre 2014.