« La question aujourd’hui est de savoir si nous voulons faire encore quelque chose ensemble autour d’un commun qui nous relie. Quelle définition donnons-nous au commun ? Que voulons-nous mettre en commun ? Quelle est la bonne taille du territoire pour se rencontrer ? Comment allons-nous nous organiser pour faire vivre ce commun ? Ce commun ne se borne pas à définir des « choses » sorties de leur contexte, fussent-elles qualifiées de « biens communs », ce serait alors garder encore la matrice marchande. Le commun, c’est relier les éléments essentiels à la vie des êtres humains (l’eau, la terre, les semences, la forêt, les ressources énergétiques et nourricières,…) à leur usage, afin de les préserver sur le long terme puisqu’ils engagent à la fois notre propre devenir, celui de celles et ceux qui nous suivrons et notre environnement sans lequel nous ne pouvons pas vivre ; et, en même temps, ceci nous oblige à nous accorder sur des règles de vie commune, fondées sur des pratiques de coopération reliant les êtres humains, règles non figées et soumises à expérimentation, afin de sortir ce commun de la propriété privée et des échanges marchands. »
Sortir ce commun de la propriété privée et des échanges marchands, comment ne pas partager et faire connaître !
Michel Peyret
A propos du triptyque républicain "Liberté, égalité, fraternité"...
Claude RAMIN.
dimanche 7 décembre 2014,publié par Christian Maurel
Commençons par l’égalité.
L’égalité n’est pas garantie par la République. Selon la constitution, qui s’appuie sur la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, en son article premier il est écrit que « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. » Ainsi nous naissons libres et égaux et nous pouvons devenir « supérieurs » ou « inférieurs » les uns par rapport aux autres en fonction de notre utilité sociale, la République justifie ainsi l’inégalité !
L’égalité n’est pas davantage garantie par l’école de la République. Cette école est soumise aux normes édictées par l’institution avec ses programmes, ses notes, ses classements, ses évaluations,… ; institution qui, elle-même, obéit au mode d’organisation d’un certain type de « société ». Cette école conduit à la compétition ; son objectif premier est utilitariste, elle forme des gens adaptables au marché du travail. Pour autant nous ne confondons pas l’institution, et les enseignant(e)s qui accompagnent les adultes en devenir dans leur apprentissage à travers les chemins de la coopération et de l’expérimentation, et qui les encouragent aussi à apprendre de leurs erreurs et dans leur nécessaire effort pour retrouver le plaisir de développer une pensée critique. Dire non à l’institution, n’est-ce pas interroger à nouveau la méthode Jacotot où « enseigner ce n’est pas expliquer, c’est permettre aux autres d’apprendre ce que le maître lui-même ignore » ?
Ce n’est pas davantage la loi, ni les droits, qui garantissent l’égalité. La sacralisation de la propriété privée côtoie le droit au logement et le droit d’expulser ; la liberté de circulation des capitaux et des biens côtoie celle des personnes alors qu’en réalité de plus en plus de murs, aussi inutiles qu’inhumains, sont dressés çà et là ; le droit du travail côtoie les lois qui permettent légalement de le détricoter organisant l’insécurité généralisée. Les bibliothèques sont remplies de belles déclarations, et les gouvernant(e)s comme les multinationales s’y assoient dessus. Dans ce monde où la compétitivité est érigée en principe « naturel » les liens entre êtres humains se rompent. Pour reprendre la pensée de Majid Rahnema nous passons ainsi insensiblement de la pauvreté (lorsque nous savons encore partager « le peu » avec les autres en renforçant ainsi les liens entre nous) à la misère (lorsque manque même l’indispensable, et notamment le lien).
Cette misère conduit aux violences, au chacun(e) pour soi et à la guerre entre gens ordinaires (vous et moi, nous, qui regardons autour, sans envier celles et ceux qui se croient au-dessus, et qui refusons de singer nos maîtres) ; guerre qui consiste à désigner des boucs émissaires (les personnes les plus fragiles) alors que nous oublions les véritables responsables cachés derrière les écrans de fumée et le « spectacle » médiatique.
L’égalité est un postulat, ce n’est pas l’égalitarisme, ce n’est pas la « mêmeté ». Chaque être humain est unique, et par la même, chacun(e) a sa place et apporte sa part sous forme de don afin de construire, avec les autres, une société humaine, pour « vivre, simplement, afin que les autres puissent simplement vivre » pour paraphraser Gandhi. Cette reconnaissance par la communauté des êtres humains de la planète renforce en retour notre unicité, et nous prenons, chacun(e) et tous, peu à peu confiance en nos capacités.
Contrairement à ce qu’on nous raconte, isolé l’être humain s’étiole. Depuis notre naissance nous avons besoin des autres pour survivre et vivre ; puis en cheminant et en faisant, nous prenons progressivement conscience, au fil de l’école de la vie que, chacun(e) et tous, avons besoin des autres pour grandir. Nous « gagnons » en humanité lorsque l’individualité rencontre l’altérité, et vice versa. L’égalité, c’est reconnaitre chaque être humain pour ce qu’il EST, et non pour ce qu’il fait ou ce qu’il a !
… ainsi nous « échappons » aux catégories, aux représentations et aux hiérarchies sociales induites par cet utilitarisme. Chaque être humain est unique et non différent, même les vrais jumeaux bien qu’identiques sur le plan de l’inné, vont forger leur unicité à travers les chemins de la vie. En revanche la notion de différence renvoie à des normes et se met ainsi en place … l’inégalité. Prenons le temps d’interroger ces normes ? Ces lois et ces normes sont édictées par qui ?, pour quoi ?, comment ? Dans quel type de société vivons-nous ?
De quelle liberté parle-t-on ?
Les « bien-pensant(e)s » nous enseignent que la liberté s’arrête là où commence celle des autres. En suivant la logique de cette prétendue liberté nous en arrivons à cette assertion que « l’Homme est un loup pour l’Homme » et que nous sommes faits pour vivre séparé(e)s dans une prétendue société où nous pourrions faire ce que nous voulons sans se soucier des autres. En continuant le même raisonnement, puisqu’il faut alimenter la machine, nous ne nous soucions pas davantage de notre environnement et nous installons notre addiction à la consommation au quotidien privilégiant le futile au détriment de l’essentiel. Ainsi, puisque seule la « liberté » d’individus séparés compte, nous arrivons tout « naturellement » à ne plus mettre de limites à nos désirs, ni à supporter quelque frustration que ce soit : « seul(e) au monde je fais ce que je veux ».
La fraternité n’a pas de place dans cette logique.
Et nous poursuivons cette course folle vers le toujours plus en suivant aveuglément les « bienfaits » du techno scientisme jusqu’à la brevetabilité du vivant, aux chimères génétiques pour en arriver au « transhumanisme » et à son « être augmenté », robotisé, lobotomisé par diverses prothèses qui lui font perdre toute humanité, jusqu’à perdre conscience que nous ne sommes que de passage sur cette Terre et que nous ne verrons jamais la fin (y-a-t-il une fin en dehors de la nôtre ?).
Le paradoxe de cette « liberté », c’est qu’elle nous enferme davantage dans notre isolement. Elle nous maintient dans une fuite en avant, où l’argent est une fin en soi, nous consommons tout et toujours plus jusqu’à nous « gaver » ; nous avons abandonné la bouche qui parle au profit de celle qui mange.
Nous devenons incapables de penser le réel étant pris, toujours plus, dans la toile des diverses prothèses numériques et leur monde virtuel, où la communication prend la place de la rencontre. L’envahissement de nos vies par le numérique n’est pas qu’une question de tuyaux, sous-entendu tout dépendrait de ce qui y circule, des contenus.
Cette façon de procéder est au service de la globalisation et la sous-tend (ni la science, ni la technique ne sont neutres). Elle impose son mode d’organisation, jusqu’à envahir nos vies privées ; ne doit-on pas être toujours branché(e)s, le nouveau « doudou » serré dans la main ou greffé à l’oreille ! Elle influe aussi, surtout, sur notre psychisme par son caractère binaire, ce qui se traduit par un appauvrissement de la pensée, des troubles de la concentration, une atomisation des individus et une incapacité à effectuer un travail approfondi, jamais fini, pourtant nécessaire pour comprendre un sujet complexe. Et nous « roulons » sans savoir où nous allons sur des rails mis en place par d’autres que nous sans prendre le temps (bis répétita) de nous questionner sur le sens de ce que nous faisons.
Contrairement à cette fable funeste la liberté de chacun(e) ne peut pas se concevoir sans se soucier (de celle) des autres. Et elle ne peut pas davantage se concevoir sans limites. C’est une question de décence. Pas à pas nous prenons aussi la mesure des difficultés rencontrées sur les chemins de nos devenirs, et construisons, avec nos doutes et grâce à nos efforts, notre propre autonomie, en apprenant des autres et de nos erreurs. Ainsi nous pensons, chacun(e), nos propres limites, et nous pensons en même temps, avec les autres, nos règles d’organisation pour vivre au sein d’une société réelle. La liberté se situe à l’articulation entre le singulier et le commun.
Nous retrouvons ici les chemins du Politique et de la démocratie directe, puisque au bout du bout ce sont des choix de vie qui nous concernent chacun(e) et tous ; et par la même nous engagent.
La Politique.
La Politique au sens des Anciens est « l’art de vivre ensemble » ; et aujourd’hui nous devons ajouter avec la nature, l’être humain n’étant qu’une partie du vivant.
La question aujourd’hui est de savoir si nous voulons faire encore quelque chose ensemble autour d’un commun qui nous relie. Quelle définition donnons-nous au commun ? Que voulons-nous mettre en commun ? Quelle est la bonne taille du territoire pour se rencontrer ? Comment allons-nous nous organiser pour faire vivre ce commun ? Ce commun ne se borne pas à définir des « choses » sorties de leur contexte, fussent-elles qualifiées de « biens communs », ce serait alors garder encore la matrice marchande. Le commun, c’est relier les éléments essentiels à la vie des êtres humains (l’eau, la terre, les semences, la forêt, les ressources énergétiques et nourricières,…) à leur usage, afin de les préserver sur le long terme puisqu’ils engagent à la fois notre propre devenir, celui de celles et ceux qui nous suivrons et notre environnement sans lequel nous ne pouvons pas vivre ; et, en même temps, ceci nous oblige à nous accorder sur des règles de vie commune, fondées sur des pratiques de coopération reliant les êtres humains, règles non figées et soumises à expérimentation, afin de sortir ce commun de la propriété privée et des échanges marchands.
Ainsi la Politique consiste à (re)partir des choses de la vie auxquelles nous sommes confrontés au quotidien : se mettre à l’abri, pouvoir se nourrir, cuire le repas, se laver, aller aux toilettes, évacuer les eaux usées, s’éclairer, se chauffer, dormir, aimer, apprendre, se cultiver, rester en santé, créer afin que les lucioles illuminent à nouveau nos nuits, être auteurs/res de nos activités et de nos vies, retrouver une autonomie matérielle pour mener dignement une vie sobre,… Le sens du (re), c’est reprendre à la racine ; n’est-ce pas se réapproprier peu à peu ce dont nous avons été dépossédés ?
Se réapproprier, dans le sens, d’une réappropriation commune fondée sur l’usage le temps de notre passage, de l’entretien et de la restitution aux générations suivantes le jour de notre départ venu, et non pas au sens d’une quelconque possession ou accaparement. Et notamment la terre et les semences pour celles et ceux qui en vivent, la font vivre et nous nourrissent. Produire pour qui ?, pour quoi ?, comment ?
Aujourd’hui seule la valeur travail sert d’étalon aux différentes représentations et répond aux normes de cette société du jetable. A l’obsolescence programmée des marchandises, au développement illimité de la consommation et à l’apologie de la croissance, carburant de cette machine folle, le tour est venu pour l’être humain d’être considéré comme un pion, une chose, un objet malléable forcé de s’adapter ou de se voir rejeté.
En suivant cette logique utilitariste la seule finalité dévolue à l’être humain serait de travailler pour gagner de l’argent afin de consommer ; et mieux encore si nous recourons au crédit avec sa corde « gratuite » que l’on nous vend et que nous consentons à nous passer autour du cou. Ainsi nous travaillons pour consommer, et finissons par nous consumer et consumer l’ensemble du vivant.
Retrouvons le sens dans l’activité afin de la relier à la façon de nous auto organiser, en repensant la taille de la fabrique et en redéfinissant collectivement ce que nous produisons pour le mettre en adéquation avec les besoins essentiels à la vie de l’ensemble du vivant. Libérons notre créativité pour nous autogouverner ; et non auto-gérer ce qui équivaut à accepter la langue des maîtres, et donc à s’asservir davantage encore puisqu’il faut rester compétitifs dans le cadre comptable établi par d’autres que nous.
La Politique, ce n’est pas la compétition pour prendre le pouvoir. Le pouvoir n’est que « faire faire » ; celles et ceux qui veulent s’en emparer font valoir leur titre « naturel » à gouverner, de par leur naissance, leur argent, leur expertise, leur « savoir »…, et ce au nom du peuple bien évidemment ! Accepter cette compétition, c’est s’en remettre à une minorité quel que soit l’échelon (il suffit de rapporter le nombre de voix de l’élu(e), ou de la liste, au nombre des inscrits).
D’autre part, on nous raconte que la constitution est la table de la loi, pour autant l’actuelle constitution a été modifiée 24 fois. Le plus souvent par le Congrès (réunion à Versailles de nos « représentant(e)s » au Sénat et à l’Assemblée Nationale), notamment à quatre reprises pour rendre conforme la constitution française aux traités européens : en juin 1992 en vue de la ratification du traité de Maastricht, en janvier 1999 permettant la ratification du traité d’Amsterdam, en mars 2005 pour permettre la ratification du traité établissant une Constitution Européenne (traité rejeté par le peuple en mai 2005), et en février 2008 pour permettre la ratification par la France du traité de Lisbonne (frère jumeau du TCE rejeté précédemment !).
De quelle représentation parle-t-on ? En 2012, (source CEVIPOF), les employés et les ouvriers représentaient la moitié de la population et seulement 3 % des députés. A l’inverse les cadres et professions intellectuelles supérieures représentaient 82 % de l’ensemble. 55 % des députés sont issus de la fonction publique. Les femmes représentent 51,5 % de la population mais seulement 26,5 % à l’Assemblée,…
Quant à la dernière modification de la constitution soumise à référendum, elle remonte à septembre 2000 et portait sur l’instauration du quinquennat (aggravant encore la présidentialisation du régime). Elle a été décidée par les deux têtes de l’exécutif de l’époque dans une période de cohabitation, puis elle a été soumise à référendum et adoptée par… 18,55 % des inscrits ! Par ailleurs aucun président de la cinquième République, pas même son fondateur, n’a obtenu la majorité des suffrages calculée par rapport aux inscrits, en dehors de M. Chirac (62%) en 2002.
Accepter de participer aux différentes mises en scène électorales, par nos votes, c’est déjà se soumettre aux pouvoirs hétéronomes (ce sont les maîtres que nous nous donnons) et s’en remettre à de prétendus représentant(e)s.
Aux adeptes du « tous pourris » nous affirmons que ce n’est pas une question de personne, même si pour quelques un(e)s leurs rêves se bornent à « arriver en haut de l’affiche », c’est une question de système. A l’intérieur d’un tel système en quoi serions-nous meilleur(e)s que d’autres ; en revanche nul n’est obligé de s’y adonner.
De plus cette représentation ne s’arrête pas aux partis politiques, elle concerne également les syndicats et les associations puisque seules ces différentes structures, fonctionnant toutes sur un mode pyramidal unique, sont reconnues par les institutions et servent de relais à l’État, aux collectivités territoriales comme à d’autres bureaucraties.
Ainsi ce système représentatif conduit à la fragmentation des gens ordinaires entre ces différentes organisations. D’autre part ce système porte en lui la négation de notre parole, celle-ci ne serait audible qu’à travers ces différents filtres, alors que la plupart d’entre nous restons en dehors ; pour être reconnus nous devrions adhérer, voire militer au sein de l’une d’elle et notre parole devrait passer par d’autres, plus savants ! N’est-il pas temps de sortir de ces antres et de ces cloisonnements ? Continuerons-nous obstinément de privilégier « ce qui nous ressemble », replié(e)s sur un entre nous, chacun(e) dans son estanco, son école de pensée, son drapeau, ou encore sa religion au détriment de « ce qui nous rassemble » pour le discuter à nouveau, à parole égale, sur la place publique, de s’y disputer même, afin de nous retrouver autour d’un commun et de le faire vivre.
Bien évidemment ce n’est pas le fait de s’associer qui pose problème ; il y a probablement autant de façon de s’organiser que d’actions à mener. Il ne s’agit pas davantage de mettre en doute la probité et le dévouement des militant(e)s associatifs, syndicalistes ou partisans. Pouvons-nous, sans que personne ne se sente insulté, nous questionner à propos du dévoiement que porte l’institutionnalisation de ces structures au sein de la République, comme des différentes bureaucraties, par rapport à la libre association nécessaire pour nous auto-organiser afin de passer de l’individualité au commun.
Nous ne prenons pas le pouvoir, c’est le pouvoir qui nous prend à travers le jeu de la représentation, de l’élection et des délégations successives, sans aucune possibilité de contrôle réel, et ce, quel que soit l’échelon, depuis les municipalités, les agglomérations, les départements, les régions jusqu’au niveau national. Plus grave encore au niveau national, où les « décideurs » auréolés de l’onction du suffrage, ont mis en place, en notre nom, diverses excroissances supra nationales, comme l’Union Européenne, le FMI, la BM, l’OMC, … et même l’ONU, alors qu’ils ne font qu’obéir à la logique de la globalisation capitaliste. En fait de décideurs ils sont devenus aujourd’hui les rouages de la méga machine. Ce qui conduit à la perte de toute souveraineté populaire, pourtant arguée, à chaque élection.
La Politique, c’est refuser le pouvoir et libérer nos capacités enfouies sous un formatage de tous les instants, c’est exercer à nouveau notre esprit critique, c’est faire et penser par nous-mêmes afin de changer réellement. C’est retrouver notre dignité et le courage de DÉSOBÉIR afin de sortir des cases qui nous ont été assignées et que, par notre consentement, nous entérinons. Désobéir à la loi lorsqu’elle devient trop injuste, ce n’est pas se placer au-dessus des lois, c’est retrouver le courage de dire NON, et affirmer notre démarche non-violente, face à la violence dite « légitime » exercée par les pouvoirs hétéronomes. C’est une question d’éthique.
La démocratie.
Quant à la démocratie, ce mot, mis aujourd’hui à toutes les sauces pour mieux la bafouer, est le nom donné par les Occidentaux au système représentatif qui serait LE modèle de démocratie. Ce mode de pensée hégémonique prétend imposer aux peuples d’ici et de là-bas cette forme de démocratie au nom du « bien-être », et de « l’exporter » s’il le faut par les armes.
Ce modèle conduit, ici, à l’a-société actuelle autour d’un « mal avoir ». Il est temps de s’interroger, notamment en France, sur cette « richesse » centrée sur le seul avoir, après l’esclavage, le colonialisme, « l’immigration choisie »… ; « richesse » acquise au détriment de qui ?, de quoi ?, quelle est sa répartition ? Il est temps, aussi, d’affirmer qu’aucune culture n’est supérieure aux autres. Retrouvons la décence de ne pas nous approprier des concepts établis par d’autres en les renommant via nos standards. Ainsi, pour prendre un exemple, ne réduisons pas la culture du « buen vivir » des populations andines au « bien vivre », et pas davantage au « vivre mieux ».
En suivant ce « modèle de démocratie représentative » nous avons ici abandonné nos devenirs aux mains de différents professionnels/les, et nous faisons mine de nous étonner que les mêmes gèrent leur plan de carrière afin de rester en place.
Quant aux médias bien-pensants, aux experts en tout genre, aux sondages et autres cabinets de « communicants » ils orchestrent, via une diarrhée publicitaire, le service après-vente.
En même temps, nous nous sommes dessaisis de nos propres responsabilités, tout en nous donnant bonne conscience par le vote ; y compris pour celles et ceux qui se laissent berner par les sirènes de star « anti système ». Le seul objectif de ces protagonistes est de devenir calife à la place du calife autour d’un repli identitaire en soufflant sur les braises des plus bas instincts (haine de l’Autre, « race ») pour durcir encore notre domination sans rien changer à la matrice.
Ce « devoir » de « bon citoyen » accompli nous donnerait, en plus, le droit de nous ériger en censeur vis-à-vis de celles et ceux qui refusent de participer à ces jeux de dupes en les jetant dans la case des « abstentionnistes » ; ce qui est synonyme dans la langue des maîtres de « je-m’en-foutistes », avant d’entonner le refrain du populisme. Or en refusant ces « jeux » nous exprimons notre volonté éminemment politique de ne plus consentir à alimenter ce système représentatif qui n’a jamais représenté le peuple.
Ce système représentatif ne peut fonctionner qu’assis sur notre consentement. Ainsi nous élisons des « décideurs » qui ont remis les clés aux milieux économiques et financiers consommant (au sens de mener à terme) la primauté de l’économique sur le Politique notamment depuis les années soixante-dix/quatre-vingt.
Aujourd’hui ces « décideurs » jouent un double rôle, et ont donc une double responsabilité dans cette diarchie. Ils/elles sont chargés, par les véritables tenants du pouvoir, d’assurer « la « paix sociale » (en développant une surveillance généralisée et en réprimant plus durement celles et ceux qui osent sortir du rang) afin que les affaires puissent continuer ; d’autre part ils/elles servent d’artifices pour nous faire croire que nous sommes en démocratie.
Le seul objectif de cette « démocratie » est de gouverner sans peuple ce qui est porté par le terme de gouvernance, simple méthode de gestion obéissant à la logique dudit système, celle héritée de l’entreprise, et conduisant à la marchandisation du tout.
La démocratie réelle n’est pas une affaire réservée à quelques professionnel(le)s, elle n’est pas séquentielle (limitée aux jours d’élection). Elle s’exerce au quotidien, elle prend son élan à partir des choses de la vie, elle ne peut être que directe, et c’est l’affaire de n’importe qui. La démocratie ce n’est pas le consensus à priori. La démocratie, c’est le conflit dans le sens de la discute, voire de la dispute, ce qui n’exclut aucunement la fraternité, puisque chacun(e) est égal à l’Autre, a sa place, apporte sa contribution et reçoit des autres pour grandir ensemble en humanité.
La démocratie ne peut pas se concevoir sans se réapproprier à nouveau l’espace. Ça commence par se parler et se rencontrer sur la place en sortant des différents estancos. Ça se construit au quotidien, sur le territoire où nous vivons, en nous interrogeant sur la bonne taille de la commune (dont les limites n’ont rien à voir avec les divisions administratives existantes) au sein de laquelle nous pouvons à nouveau retrouver la capacité de faire. C’est aussi s’enraciner, tout en s’ouvrant aux autres, pour apprendre des expériences des autres communes, et cheminer à travers des fédérations de communes ; nous ne voulons pas nous refermer sur nous-mêmes, ni survivre en autarcie. Il n’y a pas UN chemin, encore moins LE chemin, mais DES chemins et les chemins se font en marchant pour paraphraser A. Machado.
La démocratie ne peut pas davantage se concevoir sans se réapproprier le temps. Elle dépend de notre engagement au quotidien, elle nous oblige à donner un peu de temps pour la faire vivre, et donc à nous libérer partiellement du temps contraint.
Pour concilier cet engagement avec l’activité et la vie privée sur la durée nous nous organiserons à travers une rotation des tâches qui seront de courte durée (autour d’un an et, au plus, de deux années). Nous ne pouvons pas être présent(e)s en permanence, nous ne nous pensons pas indispensables, la confiance en nous retrouvée nous ferons confiance aux autres.
Nous agirons aussi par mandats. Les mandats seront révocables et semi impératifs (afin de laisser une marge de manœuvre aux personnes mandatées lors des discutes).
Nous expérimenterons également le tirage au sort afin de sortir de la compétition et de l’enrégimentement. Ce tirage au sort désignera pour chaque tâche et/ou projet deux personnes afin de s’épauler l’une, l’autre ; et pour pallier, le cas échéant, une démission ou un empêchement de l’un(e) d’entre eux. Cette pratique fera croître le savoir-faire et le savoir-être et permettra aussi au plus grand nombre de s’exercer à la démocratie directe, et d’apporter, chacun(e), sa contribution à l’œuvre commune.
Aucune constitution ne peut garantir la démocratie ; sans irruption des gens ordinaires prenant en main leurs vies nous en restons aux discours et entretenons les illusions.
Retrouvons les chemins de l’émancipation.
C’est autour de l’EGALITE, de l’AUTONOMIE et de la LIBERTE que nous pourrons à nouveau explorer les chemins de l’émancipation, personne ne nous émancipera à notre place. S’EMANCIPER, et non émanciper, cela commence par ne plus croire aux sauveurs suprêmes. Mettons pieds à terre, réfléchissons et retrouvons le sens : pour aller où ?, pour quoi ?, comment ?
Aujourd’hui, il nous serait interdit de regarder le passé au nom d’une prétendue raison. Or celles et ceux qui se revendiquent de cette raison sont aveuglés par le « sens de l’histoire » et vouent un culte au progrès infini. Ils nous promettent un dépassement inéluctable de toutes les contradictions jusqu’à l’abolition du capitalisme, et un avenir forcément radieux au sein d’une société d’abondance.
Autorisons-nous à passer outre cet interdit afin de retrouver le fil de la pensée critique pour « accepter enfin d’avoir à penser avec les Lumières contre les Lumières » comme nous y invite J-Cl Michéa.
Autorisons-nous à interroger à nouveau, sans nostalgie, nos racines, toutes les cultures et leurs différents modes d’organisation, y compris ceux des sociétés vernaculaires.
Nous ne pouvons pas « faire table rase du passé » comme nous ne voulons pas pour autant recopier à l’identique. De ces questionnements nous tirerons matière à création, le devenir est intrinsèquement lié au passé, notamment en assumant davantage la dynamique infinie des contradictions (le dépassement ne constituant qu’une possibilité parmi d’autres).
Aujourd’hui, on nous ordonne de « choisir » entre le pour et le contre. Dans cette vision binaire du monde le contre, l’anti comme l’alternative, même mise au pluriel, ne sont que l’autre face de la même pièce. D’une part le contre se définit par rapport au pour, comme s’il suffisait de renverser les choses pour changer réellement. D’autre part les protagonistes du pour, comme ceux du contre, gardent la même matrice avec la croissance comme objectif unique. Dans les deux cas, c’est bel et bien l’illimitation qui est le moteur des deux versions sur une planète aux ressources finies. Pour les premiers, c’est le dieu marché qui règle tout ; pour les seconds il s’agit de s’en remettre à l’État et à sa bureaucratie, et ce au nom d’une raison « froide » comme si les êtres humains n’étaient que des exécutants, incapables de créer, de penser et de faire par eux-mêmes. Ce pseudo choix conduit à l’uniformisation de la pensée, à la perte d’humanité des êtres et à l’appauvrissement voire à la disparition du vivant. Or la raison ne peut pas aller sans le cœur, laissons les émotions s’exprimer ; nous ne pouvons pas vivre sans spiritualité.
Sortons de la tyrannie de la valeur d’échange et de l’argent, et par conséquent aussi de la gratuité, qui renvoie à la cherté et sert d’alibi, parfois de produit d’appel, à cette logique marchande. Il ne s’agit pas de confondre gratuité, et le don qui lui est lié à l’usage.
Redécouvrons le partage et l’entraide, (et non l’aide).
L’entraide est fondée sur l’usage, le donner/recevoir/rendre, entre êtres humains égaux. En revanche l’aide porte en elle l’inégalité avec d’un côté les dominants, celui ou celle qui « donne » et de l’autre les dominés, celui ou celle qui reçoit et courbe l’échine par reconnaissance envers son maître. Derrière l’aide se profile le mode d’organisation et les normes d’une « société » purement utilitariste (où les êtres humains, comme la nature, sont considérés comme des choses) pour qu’une infime minorité accumule toujours plus.
Tissons à nouveau les liens entre êtres humains d’ici et de là-bas. Prenons, chacun(e), le temps de mettre en lien nos connaissances, combinons-les avec nos expériences pour (re)construire nos savoirs (savoir-être, savoir-faire) et partageons les avec les autres.
Retrouvons le courage de faire peu à peu ces pas de côté afin d’expérimenter des chemins de traverse pour faire autre chose et autrement afin d’allier, de relier le prosaïque et le poétique (en hommage à E.Glissant et à ses compagnons du manifeste de février 2009).
Aix en Provence, le 4 décembre 2014.
Avec mes remerciements à ma compagne.
Claude RAMIN.