Vous ne la connaissez probablement pas, et c’est bien normal, d’autant quelle vous le rend bien : Axelle Lemaire est l’une de ces ministricules dont le gouvernement s’encombre pour récompenser les copains et les coquins du Parti. Pour l’occuper, on l’a placée comme secrétaire d’État chargée du numérique, des choses qui font pouic et tût et des réseaux sociaux qu’il faut maîtriser pour avoir l’air à la mode. Et pour avoir l’air à la mode, elle a l’air. Mais pas les paroles.
La semaine dernière se tenait à Paris la conférence LeWeb qui permet de rassembler, le temps de quelques jours, des investisseurs, des entrepreneurs de jeunes pousses, des personnes reconnues de la Silicon Valley, et (surtout) quelques politiciens en mal de reconnaissance et d’accolades chaleureuses d’un public toujours plus difficile à contenter. C’est d’ailleurs pour cela qu’on retrouve régulièrement dans ces happenings des représentants d’un État qui, le reste du temps, s’emploie à rendre misérables les vies de ceux qui participent à ces réunions publicitaires pétillantes : en quelque sorte, cela permet aux prédateurs fiscaux de marquer le bétail et de repérer les spécimens appelés à devenir les plus dodus.
En vague rapport avec la tenue de cet événement, il n’était donc pas surprenant de retrouver Axelle Lemaire frétillant au milieu de tout ça, d’autant qu’elle doit poursuivre l’indispensable tâche de la ministre qui l’a précédée à sa place, Fleur Pellerin. Rappelez-vous : en février dernier, cette dernière lançait, en fanfare et avec vos sous, un site web et un million de petits bricolages, aussi éthérés qu’amusants, sur le thème prédigéré de la French Tech, le tout estampillé d’un magnifique coq rose du plus bel effet.
À peine hum broum hmmf 10 mois plus tard ahem, le bidule gouvernemental pénètre un peu dans le concret tiède avec l’investissement dans des accélérateurs privés via le fonds French Tech Accélération doté de 200 millions d’euros (souriez, vous payez). Dans ce cadre, la déléguée Lemaire a décidé de répondre à un entretien avec La Tribune.
C’est pratique, un entretien. Cela permet à notre petite secrétaire d’exprimer tout haut quelques bêtises que nos gouvernants pensent tout bas ou chuchotent niaisement en privé.
On y apprend notamment que ce fameux fonds d’investissement est géré par BPIFrance, ce qui place immédiatement l’ensemble de la démarche sur la même trajectoire que Challenger en janvier 1986, ou Ayrton Senna en mai 1994.
On apprend aussi que la pauvrette tente des trucs à l’Assemblée afin d’aider les jeunes pousses, grâce à son idée de « Corporate venture ». Fouyaya : quand on voit l’ensemble des lois fiscales concoctées par ce gouvernement et les précédents, notamment pour capter un maximum de la plus-value obtenue à la revente des parts de sociétés, forcément, ça va bien se passer : dans l’idée d’Axelle, ça glisse au pays des merveilles.
Mais surtout, on apprend que le petit appendice ministériel a une vision bien arrêtée du monde, d’autant plus qu’elle a rencontré des investisseurs américains, qu’elle a bien vite remis à leur place. Pensez donc ! « La Silicon Valley est pour eux le centre du monde. » Comme c’est rétrograde ! S’en suit une saillie d’un calibre si conséquent qu’il faut l’analyser morceau par morceau.
Ça commence assez fort par un jugement à l’emporte-pièce propulsé au fulmicoton :
Je ne suis pas sûre que la Silicon Valley soit le modèle social dont il faille s’inspirer et que l’affolement autour des valorisations de startups d’application de service qui seront peut-être oubliées dans 12 mois soit très sain pour l’économie américaine.
Certes. On peut cependant observer en contrepartie qu’il y a des milliers, disons des centaines ou mêmes de dizaines d’applications de service françaises qui adoreraient probablement bénéficier de ce genre d’affolement, même si c’est pour être oubliées douze mois plus tard. D’autant qu’actuellement, les rares innovations françaises dont on parle sont oubliées au bout d’un mois. Du reste, on peine à voir dans Silicon Valley autre chose qu’une localisation géographique. Si modèle social il y a, la comparaison avec le français mettrait ce dernier en difficulté (le revenu moyen de la vallée est près de trois fois supérieur au français, et les facilités locales en terme de transports, d’éducation, de santé n’ont pas à rougir face au magnifique RER B ou à nos universités rutilantes par exemple).
Mais pour Axelle, le problème est plus grave encore qu’une bête question de modèle social :
Je ne suis pas sûre non plus que la Silicon Valley joue un rôle exemplaire dans la transformation numérique plus globale de toute l’économie et la société au bénéfice de tous, en embarquant tout le monde, y compris les ouvriers. Nous n’avons donc pas de leçon à recevoir de la Silicon Valley.
Oh que non, les idées de ces gens-là sont à prendre avec des pincettes ! D’ailleurs, la transformation numérique de la société, ouh là, c’est pas que du bon ! Le minitel à la poubelle, c’est la fotala Silicon Valley ! Le Bebop de France-Télécom au placard, même chose ! Le TO7 qui n’a pas décollé, comment ne pas incriminer Steve Jobs ? Vraiment, Axelle et son gouvernement n’ont aucune leçon à recevoir, ni d’eux ni de personne. Ils savent et elle sait. Et d’ailleurs, on ne remplit pas un verre plein : le nombre conséquent de géants français du numérique parle de lui-même.
En outre, avec toute cette arrogance (celle des Américains, bien sûr, pas celle de la Française qui distribue des bons et des mauvais points en invitant des gens dont elle veut bien l’argent mais pas les leçons — suivez, un peu !), il semble évident que la Silicon Valley va louper un truc hyper-important :
La Silicon Valley risque de rater le train du développement numérique raisonné, éthique, en croyant être le centre du monde. Je m’intéresse beaucoup au boom des usages mobiles en Afrique, continent grâce auquel le Français sera la première langue parlée au monde en 2050, ce qui représente un énorme potentiel en termes d’e-éducation, d’e-santé, de chantiers d’infrastructures.
Le train du développement numérique raisonné et éthique.
Mais qu’est-ce que c’est-y donc que c’est que machin-bidule ? Vous ne savez pas ? Vous pouvez coller tout et n’importe quoi derrière ces concepts fumeux ? C’est un truc qui respecte les animaux et l’environnement, tout en apportant du bien-être et de la mobilité sociale avec des morceaux de respect des différences, c’est ça ? Vous sentez comme une forte odeur de caca de taureau ? C’est normal, c’en est.
le Français sera la première langue parlée au monde en 2050
Non. Déjà, l’étude vague à laquelle se réfère la pauvrette indique plutôt qu’elle sera en deuxième ou, plus probablement, en troisième position, et d’autre part, cette étude reste une prospective franchement hardie. 2050, c’est très loin, ce qui permet une imagination audacieuse mais, ma brave Axelle, ça ne permet pas d’affirmer n’importe quoi pour se faire mousser.
Heureusement, la fin de l’entretien pèse et enveloppe le tout dans un gros papier journal comme on le fait du poisson le vendredi matin à l’étal :
Là sont les vrais enjeux : le rôle de l’État n’est pas de permettre à un individu de devenir milliardaire ! Ce n’est pas un discours contre la richesse ou l’innovation, je pense au contraire que la France constitue un terreau très attractif et très favorable à l’entrepreneuriat. (…) une partie de la mission de la French Tech est d’organiser des visites de VC, de capitaux-risqueurs. Je leur dis qu’ils sont bienvenus, que les mots clés sont stabilité, prévisibilité, accompagnement. J’espère que mon invitation va être entendue.
En effet, le rôle de l’État n’est pas de permettre à l’individu de devenir milliardaire, mais certainement pas non plus de l’en empêcher. Actuellement, un tiers des milliardaires français a quitté la France, et il serait peut-être temps de s’en rendre compte. Ce qui éviterait à Axelle de sortir des balivernes sur le « terreau attractif gnagna », violemment contredit par les faits, ou la consternante affirmation sur la stabilité et la prévisibilité française qui sont a contrario les principales raisons de la fuite de cerveaux, de talents et de richesses observée actuellement.
Pauvre Axelle qui, persuadée de n’avoir aucune leçon à recevoir de personne, n’en a à l’évidence pas reçu assez, et fait ici la démonstration d’une cuistrerie assez phénoménale. Car même en imaginant la France sous ses meilleurs atours, on aura toujours à apprendre des autres. Et lorsque ces autres nous tiennent, sans la moindre difficulté, la dragée bien haute, il serait de bon aloi et de bonne intelligence de prendre des notes. Par exemple, pour comprendre que la dernière des choses dont la technologie et l’innovation ont besoin en France, c’est d’une nouvelle intervention de l’État qui a largement saboté le domaine par ses incessantes exactions (fiscale, politique, financière).
Et avant tout ça, quelque chose dont les investisseurs étrangers, américains et autres, se passeront fort bien, Axelle, ce sont vos conseils et votre arrogance.
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