Le Front national s'enrichit. Décidément, Marine Le Pen est une fine mouche.
Non seulement elle sait s'y prendre comme personne pour banaliser le parti du vieux menhir — et lui dégoter, en France et hors de France, de gras financements indispensables à ses rêves de conquêtes —, mais elle sait y faire, et pas qu'un peu, pour gagner de belles parts de marché dans le bordel ambiant d'une époque déboussolée.
Revenons un peu en arrière. On l'a vue plus qu'embarrassée par cette question du mariage prétendument «pour tous» : c'est que ça tiraillait sec dans le parti, entre une aile aux mœurs conservatrices, emmenée par Marion-la-nièce, et une aile d'apparence plus «moderne» — autrement dit plus shootée à l'air du temps.
Les «modernes» semblaient avoir eu l'oreille de la commandante-en-chef, étonnamment repliée dans l'attentisme lors des combats homériques, mais vains, livrés par les troupes de la Manif pour tous. Holà ! pouvait-on se dire : le parti réputé le plus néandertalien de France déserterait-il ce combat-là ? Sur qui compter alors ? Imaginons d'ailleurs la hure des «historiques» du club, vétérans par l'âge ou les convictions : ceux du compagnonnage avec le vieux Chef, anciens des bastons pour la défense de la «tradition», des «bonnes mœurs» (patriarcales), de la «famille» (idéalement chrétienne, ou mieux : catholique), des lois «naturelles» biologiques, sociales — il faudrait dire sociétales —, etc. Comment les concevoir neutres et inactifs, ces inflexibles du FN, devant les assauts de l'aigre lobby homosexuel et ses bruyants propagandistes, moutons de Panurge habituels et idiots utiles mêlés ?
Marine la coquine n'en pensait pas moins, sans doute. Mais plus subtile que ses rustauds du noyau dur, elle a donc préféré laisser leur place aux tenants d'un petit courant pédérastique, habituellement discret quoique anciennement implanté au sein de mouvances de l'extrême-droite, et qui s'était exprimé un temps dans la revue Gaie France Magazine — entre autres références. L'«outing» récent, plus ou moins forcé, de Florian Philippot, le collaborateur-chouchou de la cheftaine, renforce la conviction que Marine s'était effectivement ouverte à cette influence, et que son silence face au «mariage pour tous» procédait bien d'une tactique, sinon d'une conviction.
Cette tactique se voit confirmée par l'adhésion, il y a quelques jours, de Sébastien Chenu au Rassemblement bleu Marine (RBM), mouvement satellite du FN, pour s'y occuper de la culture, en attendant de postuler sous cette casaque aux élections départementales de 2015.
Qui est donc ce Chenu ? Tout simplement un ancien cadre de l'UMP, maire-adjoint de Beauvais durant les deux dernières mandatures et, surtout, cofondateur de GayLib, le mouvement de défense des droits LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels, transsexuels) éclos dans la droite en loden (né à l'UMP il est passé à l'UDI en 2013). Si ce n'est pas de la «modernité», ça ! Ces «Bleus Marine», avec un Florian Philippot pour porte-parole — par ailleurs vice-président du Front national — et un Sébastien Chenu, autre gay luron de choc, à la culture, comment pourra-t-on les traiter désormais de «sales cons de fachos réacs homophobes» ?
L'onction de respectabilité boboïde a en tirer n'a certainement pas échappé à l'astucieuse Marine. Mais l'objectif va plus loin bien sûr : il s'agit surtout de draguer, et même de racoler, dans tous les recoins de la société française, y compris dans ses marges, quitte à désorienter les vrais «vieux cons réacs» du parti — en reste-t-il ? — qui n'auraient pas pigé la colossale finesse de la manip.
Ah, cette Marine, quelle fine mouche en effet ! Mais gaffe quand même : manquerait plus qu'on retrouve ses petits «Bleus Marine» dans les défilés de la prochaine Gay Pride. Sur les chars de leurs copains dragqueens ! Modernité ou pas, pas sûr que ce soit le genre de défilé qu'on préfère chez ses électeurs potentiels...
(Illustrations, de haut en bas : Sébastien Chenu, © Paris Match/C. Petit Tesson/JB Le Quere/Max PPP ; Gay pride : logo d'un T-shirt)