Grâce à leur expertise en épigénétique, les chercheurs du CNRS et de l'Institut Curie ont pu mettre au jour un nouveau marqueur pronostique. En l'analysant, il est désormais envisageable de distinguer parmi les femmes atteintes de la forme la plus fréquente des cancers du sein, les luminaux A, si leur tumeur est de bon ou de mauvais pronostic. Ce nouveau biomarqueur va permettre de prescrire une chimiothérapie aux femmes qui en ont réellement besoin, en épargnant aux autres un traitement inutile. Ces résultats sont publiés dans la revue Molecular Oncology.
Grâce au développement du dépistage, les tumeurs du sein de petite taille, sans envahissement ganglionnaire,concernent la grande majorité des patientes diagnostiquées.
« 60 % des femmes porteuses de ce type de tumeur se voient administrer une chimiothérapie. Or on sait que seule la moitié d’entre-elles en a réellement besoin, celle dont la tumeur est agressive, tandis que pour les autres, la chimiothérapie sera inutile », explique Geneviève Almouzni1, responsable de l’équipe Dynamique de la chromatine (UMR 3664 CNRS/Institut Curie) qui vient de faire un grand pas pour identifier les femmes à risque de récidive.
Chez ces femmes, une question cruciale se pose quant au choix thérapeutique : doit-on, après traitement local (chirurgie et/ou radiothérapie), leur prescrire une chimiothérapie pour réduire le risque de récidive ?
Pour le moment, la décision des médecins repose sur des critères biologiques et cliniques : âge au diagnostic, taille de la tumeur, grade, statut des récepteurs hormonaux et du récepteur HER2. « Les tests en cours de développement ou d’étude reposent uniquement sur des signatures génomiques et aucun n’a réellement fait ses preuves », résume Zachary GurardLevin, post-doctorant dans l’équipe Dynamique de la chromatine.
Dérégulations épigénétiques et cancérogénèse
« Les altérations génétiques ne sont pas les seules à participer au développement des cancers, souligne Geneviève Almouzni. Au fur et à mesure des découvertes, il apparaît clairement que des « dérégulations » épigénétiques rentrent aussi en jeu dans la cancérogenèse car elles peuvent modifier l’expression de gènes-clés ».Grâce à une collaboration avec les médecins de l’Ensemble Hospitalier de l’Institut Curie, son équipe s’est donc penchée avec un œil épigénétique sur les données de transcriptome(1) des tumeurs de 1127 patientes.Cette cartographie de l’activité des gènes leur a permis d’identifier plusieurs protéines – des histones et des chaperons d’histones(2) – plus fortement exprimé dans les formes prolifératives de cancers du sein (luminal B, Her2+, basal-like), mais pas dans le type luminal A.Ces résultats ont ensuite été vérifiés sur des échantillons émanant de 71 patientes de l’Institut Curie. « Nous avons donc découvert un marqueur efficace pour distinguer les deux formes de cancers du sein luminaux (3) », ajoute Zachary Gurard-Levin. Il existe en effet une grande diversité de cancers du sein et au moment du diagnostic, il est essentiel de pouvoir identifier clairement et rapidement la forme dont est porteuse la patiente.« Mais le résultat dont nous attendons beaucoup concerne le chaperon d’histone HJURP, raconte le jeune chercheur. Cette protéine est le premier biomarqueur identifié qui permet de distinguer parmi les cancers du sein luminaux A, ceux de bon et de mauvais pronostic. »« En intégrant l’analyse de ce facteur épigénétique, nous devrions être à même de mieux prédire les risque de récidive chez les patientes, conclut Geneviève Almouzni. Ce travail montre que l’épigénétique apporte clairement des informations complémentaires et importantes concernant le risque évolutif de la tumeur. »Pour en savoir plus(1) Le transcriptome est une cartographie de l’ARN, ces petites molécules issues de la transcription du génome et servant de matrice ensuite à la formation des protéines. ces données donnent une image de l’activité des gènes.(2) Les histones sont des classes de protéines autour desquelles s'enroulent la double hélice d'ADN (d'un diamètre de 2 nanomètres) pour faciliter sa compaction. Il existe 4 classes d’histone - H2A, H2B, H3 et H4 - qui, dans un ensemble regroupant deux histones de chaque classe, forment le cœur du nucléosome. A celles-ci s'ajoutent les histones H1, ou histone de liaison, quimaintiennent l'intégrité du nucléosome. Les nucléosomes s’enchaînent comme dans un collier de perles qui se replie ensuite sur lui-même pour former une fibre, la chromatine. Les chaperons d’histone sont des protéines qui s’associent aux histones et garantissent leur transfert correct au bon endroit lors de l’assemblage de la chromatine.(3) Ces cancers du sein se développent à partir des cellules épithéliales dites luminales des canaux ou des lobules. Ce sont les formes les plus fréquentes de cancers du sein. Elles comprennent deux sous-groupes selon qu’elles expriment fortement les récepteurs des oestrogènes : luminal A (25 à 40 % des cas), ou faiblement, luminal B (20 à 25 % des cas). Les autres formes sont les cancers du sein HER2+ (15 à 20 % des cas), les cancers de type basal-like (10 à15% des cas) et les cancers du sein triple négatifs.
Qu’est-ce que l’épigénétique ?
En modifiant l'expression des gènes sans que le code génétique ne soit touché, l'épigénétique joue un rôle essentiel dans le fonctionnement des êtres vivants. Les mécanismes épigénétiques sont notamment indispensables lors du développement embryonnaire pour que s'individualisent les différents types cellulaires pour former les tissus et les organes. A l'inverse, des perturbationsdans ces mécanismes sont impliquées dans la genèse de nombreuses maladies, dont certains cancers, ainsi que dans le vieillissement.L’équipe de Géneviève Almouzni étudie le maintien de l’information génétique et également épigénétique au cœur des cellules. « Si l’information génétique est essentiellement la même dans chacune de nos cellules, seule une partie de cette information est lue dans chaque type cellulaire » explique Geneviève Almouzni.Autrement dit, le livre est le même, mais chaque lignage cellulaire lit un chapitre particulier. « L’épigénétique, c’est la capacité d’avoir cette mémoire : lire le même chapitre pour une cellule d’une identité spécifique, puis se reproduire à l’identique » poursuit Geneviève Almouzni. Il s’agit donc d’une sorte de « programme », transmissible, qui détermine quels gènes sont actifs et à quels moments.
1 Directrice de recherche CNRS, Directrice du laboratoire dynamique du noyau (CNRS/InstitutCurie) et directrice du Centre de Recherche de l’Institut Curie.
Références :
The histone chaperone HJURP is a new independent prognostic marker for luminal A breast carcinomaRocío Montes de Oca, Zachary A. Gurard-Levin, Frédérique Berger, Haniya Rehman, Elise Martel, Armelle Corpet, Leanne de Koning, Isabelle Vassias, Laurence O.W. Wilson, Didier Meseure, Fabien Reyal, Alexia Savignoni, Bernard Asselain, Xavier Sastre-Garau and Geneviève Almouzni.
Molecular Oncology
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