J'ai aimé Esclarmonde, un personnage fort et une femme très moderne pour son temps, radicale dans ses actes et ses paroles. Elle est féministe avant l'heure, s'élevant contre le sort fait aux femmes à son époque, soumises d'abord à leur père et ensuite à leur mari. Elle est admirable, indépendante, capable de prendre des décisions par elle-même mais également d'influer sur les gens qui l'entourent. C'est elle qui pousse son père à partir en croisade en Terre sainte et, c'est au travers des visions qu'elle a, qu'on suit le terrible destin des croisés. C'est ainsi que le lecteur ne reste pas cloitré dans une prison de pierre, mais voyage aussi dans le monde au Moyen Âge. Lorsqu'elle devient mère, on ne peut être que touché par l'amour qu'elle porte à son fils mais aussi, au déchirement de leur séparation, car son fils Elzéar ne pourra rester auprès d'elle que tant qu'il parvient à passer les barreaux de sa prison.
Côté écriture, on a affaire ici à une narration du point de vue d'Esclarmonde qui s'exprime directement au lecteur, auquel elle raconte son histoire. L'avantage est de nous plonger directement dans le monde d'Esclarmonde, mais j'avoue ne pas être une adepte de la narration à la première personne, qui finit parfois par être un peu lourde. Autre point qui m'a un peu déplu, ce sont les dialogues pas toujours très crédibles : on peine à imaginer une servante s'exprimer de la même manière que sa maîtresse. Mais c'est un point de détail car j'ai globalement apprécié l'écriture de Carole Martinez, ses envolées lyriques et épiques, ses belles descriptions très imagées qui nous transportent du domaine des Murmures jusqu'en Terre Sainte et font de ce roman un beau conte.
Extrait : Le monde en mon temps était poreux, pénétrable au merveilleux. Vous avez coupé les voies, réduit les fables à rien, niant ce qui vous échappait, oubliant la force des vieux récits. Vous avez étouffé la magie, le spirituel et la contemplation dans le vacarme de vos villes, et rares sont ceux qui, prenant le temps de tendre l'oreille, peuvent encore entendre le murmure des temps anciens ou le bruit du vent dans les branches. Mais n'imaginez pas que ce massacre des contes a chassé la peur ! Non, vous tremblez toujours sans même savoir pourquoi.