En février dernier, je vous confiais avoir passé un excellent moment avec L’Appel du Coucou, premier roman d’un certain Robert Galbraith. Sauf que tout le monde le sait désormais, Robert Galbraith n’est qu’un nom de plume pour J.K. Rowling, la célèbrissime maman de Harry Potter. Évidemment, le secret n’a pas tenu bien longtemps et la véritable identité de cet auteur sorti de nulle part avait vite été révélée par le Sunday Times.
Roman policier extrêmement classique, L’Appel du Coucou m’avait surtout emballé par son ambiance et par son duo de héros : Cormoran le détective amputé d’une jambe et Robin, la secrétaire de charme et de choc. Le bouquin valait aussi pour le saisissant tableau qu’il dressait de Londres ainsi que pour le style de l’auteur, toujours élégant, toujours enlevé, naturel et pétri d’une bonne dose d’humour bien british. Des qualités qui se retrouvent toutes dans cette nouvelle enquête.
Quatrième de couverture (en partie sabré !)
Quand l’écrivain Owen Quine disparaît dans la nature, sa femme décide de faire appel au détective privé Cormoran Strike. Au début, pensant qu’il est simplement parti s’isoler quelques jours – comme cela lui est déjà arrivé par le passé –, elle ne demande à Strike qu’une seule chose : qu’il le retrouve et le lui ramène.
Mais, sitôt lancée l’enquête, Strike comprend que la disparition de Quine est bien plus inquiétante que ne le suppose sa femme. Le romancier vient en effet d’achever un manuscrit dans lequel il dresse le portrait au vitriol de presque toutes ses connaissances. Si ce texte venait à être publié, il ruinerait des vies entières. Nombreux sont ceux qui préféreraient voir Quine réduit au silence.
[…] Roman policier haletant, rythmé par une véritable cascade de coups de théâtre, Le Ver à soie est le deuxième opus des enquêtes de Cormoran Strike et de sa jeune et intrépide assistante, Robin Ellacott.
Oui, j’ai fait une petite coupure ici, car le quatrième de couverture que j’ai repompé sur Amazon m’a franchement hérissé les poils de l’arrière boutique. Comme tant de ses congénères, il dévoile en effet un élément important de l’intrigue qui n’est pourtant révélé par l’auteur qu’après une centaine de pages, voire plus. Quant à la « cascade de coups de théâtre », ce n’est évidemment que du verbiage de marketeux, mais ça, on le pardonne plus aisément.
Du milieu de la mode à celui de l’édition
La poignées de critiques anglo-saxonnes que j’ai survolées s’accordent généralement à dire que Le Ver à Soie est moins réussi que son prédécesseur. J’avoue que je ne partage pas cet avis. Voilà, c’est dit, vous pouvez désormais fermer cette page web et repartir mater des lolcats et stalker votre ex sur Facebook. Cela dit, pour ceux que ça intéresse, je vais maintenant tenter de vous expliquer pourquoi j’ai davantage apprécié cette suite.
En premier lieu, l’objet de l’enquête m’a davantage intrigué que dans le premier opus, où je le rappelle, Cormoran s’intéressait au prétendu suicide d’une top-model. On y plongeait alors dans l’univers de la mode, avec ses couillons aux cheveux gominés, ses slips en dentelle et ses hordes de paparazzis voraces. C’était sympa, certes, mais j’ai vraiment préféré cette histoire de disparition qui nous entraîne dans les dessous du milieu de l’édition. C’est l’occasion de pénétrer dans l’intimité des éditeurs et de leurs écrivains, de voir comment ce petit monde fonctionne, de comprendre les tensions qui les sous-tendent et les coups de pute littéraires qu’elles induisent.
Dans Le Ver à Soie, on fricote avec ces plumes ratées qui donneraient tout pour être publiées et on goûte à la suffisance d’un romancier à succès qui juge tout et tout le monde. Il apparaît clairement que J.K. Rowling s’est beaucoup amusée à décrire ce milieu qu’elle connaît bien. Elle le dépeint d’ailleurs sans trop de condescendance ni trop de révérence, et c’est justement ça qui rend ce bouquin si réussi.
Where is Brian ? Brian is a Londoner.
Avec un petit voyage à Londres il y a quelques mois, voyage qui m’avait fait forte impression, j’admets que j’ai encore plus apprécié la manière dont J.K. Rowling décrit la chère capitale de la perfide Albion. Car voyez-vous, comme ce bouquin s’inscrit dans la plus pure tradition des romans policiers à tendance réaliste, l’enquête s’apparente plus à une suite d’entretiens qui ont lieu dans tous les coins de la ville qu’à une course effrénée sur la piste d’éventuels suspects. L’enquête a lieu en discutant dans des pubs, dans les bureaux des éditeurs, chez un bouquiniste, alors que les rues de Londres se laissent doucement envahir par la neige. On se sent presque déambuler dans les rues aux côtés de Cormoran et de Robin qui passent d’ailleurs beaucoup de temps à affûter leurs théories et confronter une marrée d’indices disparates entre deux stations de métro, sur la Disctrict Line, ou bien dans le QG miteux du détective. C’est con, mais ça marche, on est dans l’ambiance.
Des héros attachants
Enfin, ce qui explique mon affection particulière pour ce bouquin, c’est sans conteste le traitement que J.K. Rowling fait de ses héros. Je vous l’accorde, les deux personnages sont des clichés sur pattes, quoique cette expression ne soit pas de très bon gôut lorsque l’on sait que l’un des deux est unijambiste. D’un côté, on se retrouve avec Cormoran Strike, fils d’une célébrité avec laquelle il n’a aucun contact, vétéran meurtri en Afghanistan à la barbe fournie et à la carrure de catcheur, et de l’autre, une Robin Ellacott forcément belle et passionnée par un boulot que son fiancé voit par contre d’un très mauvais oeil.
La relation que les deux héros développe est cousue de fil blanc. Attention, je ne dis pas qu’ils vont tomber dans les bras l’un de l’autre et pondre des tas de bébés barbus, roux et unijambistes ! Non, je dis simplement que leur relation est complexe et attachante et qu’ils naviguent en permanence entre respect mutuel, frustration et affection. Le cocktail est savoureux, ce qui fait qu’on a autant envie de connaître le fin mot de l’enquête que de voir comment ces deux chouettes héros vont se rapprocher, malgré les difficultés, en dépit des tensions, pour former ce duo si performant. Et tout cela bien sûr, ne serait pas aussi réussi sans l’écriture soignée de J.K. Rowling, toujours capable de créer de véritables atmosphères en trois coups de cuillères à pot.