Il fallait êre folle pour ne pas tomber amoureuse de lui. Le beau gosse, l'étudiant qui balancait entre les cours de théâtre et les claquements de portes de sa voiture perso. Rarement la place passager, plus passagère, était vide, une conquête chaque semaine. Une simple amie disait-il à la suivante, à celle qui regardait un oeu derrière les beaux discours de ce dragueur involontaire, toujours en quête d'une excuse pour conquérir la prochaine blonde, la belle rousse ou la jolie brune.
Et pourtant j'ai aussi fini par lui trouver du charme, sa chemise ouverte, blanche sur son torse imberbe, ses yeux doux sur moi, surtout sur ma mini-jupe, peut-être trop courte ce soir-là.
J'ai passé la soirée avec nos amis communs, je me suis rapproché à moins que ce ne soit lui. Pourtant il devait savoir, je passais pour une chieuse, une fille intelligente mais qui ne couche pas, du moins sans mâle sur mon tableau de chasse. Non, précision supplémentaire, je n'avais pas été sur leurs tableaux de chasse, à eux, les mâles en goguette, superman de la bite, du moins en paroles. Et ils parlaient beaucoup, moi je bossais mes études, et à côté pour me payer mon studio. Alors oui je sortais moins, je passais pour une froide créature. Pourtant l'été moi aussi, j'avais croisé un beau chanteur, succombant à ses bras, à son parfum, à son hamac dans un bungalow discount, mais son corps me suffisait. L'air de la mer avec.
Et puis le retour, les sms, les messages, le silence, la vie qui continue sagement. Mon diplôme, le suivant dans ma ligne de mire, les copines qui devenaient des épouses, qui s'installaient. Moi, je bossais encore et encore.
Ce matin-là pourtant, je suis sorti, oubliant mon manteau, un peu stone d'avoir perdu le sommeil, perdu le chemin de la douche, assommée de médicaments, frustrée de ne trouver la direction de ma vie. Une semaine trop longue, des nuits trop courtes, des examens trop proches, je suis tombée là, sur le pavé, dans ses bras. Un infirmier, des pompiers, les urgences, un simple malaise vagal. Deux jours à dormir, deux jours à recevoir sa visite. Est-il un ange, je ne lui parlais que peu, il semblait m'écouter, je dormais encore, je rêvais peut-être. Et son parfum semblait toujours présent, même quand la chambre de l'hôpital était vide.
J'ai fait une pause, j'ai demandé un report de mes examens, un rattrapage pour cause de maladie, un point sur ma route. Et j'ai découvert des lettres, délicieusement écrites durant mon passage dans les limbes floues de la fatigue extrême. Un homme, un jeune homme, un prénom, et des mots. Digne d'un roman, car il n'était pas là quand j'ai été mieux, et je n'ai pas pensé à en parler aux infirmières. Etrange lecture et relecture chez moi, dans la maison familiale, dans ma chambre de jeune fille. Ma mère me cajolait, s'inquiétait, et pourtant je ne souffrais pas, d'aucune blessure visible, d'aucunes douleurs paralysantes, juste de fatigue, et d'une mélancolie qui absorbait mes journées. Rien, absolument rien, sauf relire ces mots.
Un déclic vint plus tard, une nouvelle lettre, trouvée en passant dans mon studio, il avait demandé mon adresse aux services des urgences. C'était lui mon sauveur, du moins lui qui avait arrêté sa voiture, pour me sécuriser, me voyant m'effronder au milieu d'une rue.
Il était avec moi en classe, il n'avait osé le dire. Pas le beau gosse, juste le type discret, quasi invisible du fond de photo de 3e, un admirateur boutonneux. Il me laissait sa carte, juriste dans un cabinet, il m'invitait à dîner, pour parler du passé, du présent.
Et moi, je cherchais un sens à mon futur proche. Je répondis.
Nylonement