(Crédit photo : Ministerio de Relaciones Exteriores)
L'issue de cette COP20 n'aura échappé ni à la dramaturgie habituelle des conférences climatiques (négociations à rallonge, clash, « happy end » un peu forcé) ni à l'éternelle interrogation : verre à moitié vide ou verre à moitié plein ?
Quitte à passer pour un indécrottable adepte de la « positive attitude », et ayant suivi année après année le long cheminement des COP, je continue de penser que cette bien trop lente progression, certes exaspérante pour tous ceux – et j’en suis – terriblement inquiets de l’accélération du dérèglement climatique, est incontournable : il n’y a pas de raccourci dans la constitution d’une conscience collective planétaire. Et cela d’autant plus qu’on part d’une situation tellement déséquilibrée entre pays très riches et pays très pauvres. Les premiers sont largement responsables du dérèglement climatique et de l’épuisement des ressources ; et les seconds en sont victimes, sans oublier des siècles de colonisation, d’oppression, de pillage dont la dette humaine, écologique, économique, culturelle – avec son cortège d’humiliations et de désirs de revanche – dont le bilan n’a jamais été tiré, et qui trouvent dans cette négociation multilatérale un rare lieu d’expression. Dans ces conditions, répondre collectivement, dans l’urgence qui plus est, à la plus grave menace qui ait jamais pesée sur l’humanité implique une capacité à s’élever au-dessus des processus traditionnels de négociations qui ne se construit pas en un jour.
Document d’étape
Que restera-t-il donc de cette COP20, à Lima ? Tout d’abord un accord, un document d’étape, qui vient compléter les précédents et fait franchir à ce cheminement une (petite) marche d’escalier supplémentaire. Deuxièmement, l’obligation pour les Etats, dans les mois qui viennent, de s’engager sur des objectifs volontaires de réduction de leurs émissions. Le secrétariat de la convention dira, d’ici à juin, si le compte est bon pour respecter les 2 degrés de réchauffement… ou bien, plus probablement, constatera « l’emission gap » entre ces engagements et l’ambition indispensable pour préserver le climat. La question-clé, non résolue à Lima, sera bien sûr de définir les modalités et la gouvernance pour, d’ici à la Conférence de Paris (COP21) et après Paris, réduire et supprimer ce « gap ». Troisièmement, un document de base pour le futur texte d’accord de Paris, longuement élaboré au cours de ces quinze jours : certes, ce document de 37 pages laisse entre crochets de nombreuses options, mais il met sur la table l’ensemble des questions posées, avec les positions de chacune des parties, ce qui permet d’organiser de façon constructive les négociations d’ici à Paris. Un an avant Copenhague, on était très loin d’avoir un tel document de base. Quatrièmement, ces deux semaines auront permis de très nombreuses rencontres bilatérales et multilatérales entre les futurs acteurs de Paris. A entendre les comptes rendus que font de ces rendez-vous les négociateurs, les marges d’évolution d’ici à Paris semblent significativement plus ouvertes que le jeu d’acteurs publics institutionnel, et son jeu de postures, d’alliances, etc. pourrait le laisser penser à première vue. A un an de l’échéance, les joueurs préfèrent tous garder en main leurs meilleures cartes, ce qui laisse augurer une longue année de poker menteur.
Réussir le passage de Lima à Paris
Cet état des lieux post-Lima en dit donc long sur l’ampleur du travail qui reste à accomplir pour réussir Paris. Et ce d’autant plus qu’au-delà des seules réductions d’émissions de gaz à effet de serre, d’autres questions cruciales ont certes un peu progressé à Lima (sur le financement, l’adaptation, la réparation des dommages et préjudices, particulièrement pour les petites îles, les transferts de technologies, etc.) mais de façon trop minime pour rassurer les pays les plus menacés.
De mon point de vue, au moins cinq prérequis seront nécessaires pour que la COP parisienne se présente sous d’autres auspices que les précédentes, et ne se limite pas à une foire d’empoigne dont se détournent de plus en plus nos concitoyens, faute de comprendre le charabia des textes juridiques internationaux.
1) Que la France assure son rôle de leadership dans la recherche des compromis : de par ce qui reste de son statut international (membre du Conseil de sécurité de l’ONU, réseau diplomatique, patrie des droits de l’homme, francophonie) elle a des atouts pour jouer le rôle de facilitateur et d’accoucheur d’un futur accord, pour peu – et elle a commencé à s’en donner les moyens – qu’elle soit à l’écoute de tous, et garde en tête systématiquement qu’un accord climatique n’est possible que s’il est juste au regard des insupportables écarts de richesse sur notre planète.
2) Que la conférence de Paris ne se limite pas à la négociation, certes indispensable, de textes juridiques plus ou moins contraignants, mais soit aussi l’occasion de mettre en évidence les solutions concrètes qui permettront de résoudre l’équation. Qu’à Paris, des dizaines de chefs d’Etat et d’industriels signent des accords de développement dans le domaine de l’éolien, des énergies marines, des véhicules sobres, des transports collectifs, etc., que des dizaines d’acteurs financiers (banques, fonds d’investissement, etc.) s’engagent à décarboner leur portefeuille, qu’une trajectoire d’élaboration d’un prix commun du carbone (via des taxes, quotas, marchés) soit adoptée… En résumé, qu’on ne se contente pas d’encadrer, mais qu’on mette en œuvre ! Et qu’on montre à quel point ces solutions au dérèglement climatique sont aussi des réponses à la crise de l’emploi.
3) Que la France apparaisse à ses partenaires comme d’autant plus légitime qu’elle est déjà profondément engagée dans sa propre transition énergétique, qu’elle ait bien évidemment adopté sa loi, mais aussi sa propre stratégie bas-carbone et son premier budget carbone, qu’elle ait donné l’impulsion et les compétences suffisantes à ses collectivités locales pour qu’elles mêmes déploient leurs énergies, qu’elle ait desserré l’étau qui freine trop souvent les projets de renouvelables et d’efficacité énergétique, sans oublier, ce qui est hélas une carence durable, de jouer son rôle d’Etat-stratège auprès des acteurs industriels du pays dont elle est actionnaire (EDF, Areva, GDF-SUEZ, Renault, PSA, RATP, SNCF) qui doivent devenir les « bras armés » de la transition énergétique.
4) Que l’Union européenne accepte de hausser son niveau de jeu à la fois en terme d’ambition (sur les émissions de GES, sur l’efficacité énergétique et les renouvelables), sur l’encadrement domestique du prix du carbone, mais aussi sur sa capacité à tisser des alliances avec les pays les plus demandeurs d’un accord ambitieux, à savoir les pays africains et les petites îles.
5) Enfin, last but not least, que les opinions publiques mettent une pression d’enfer sur leurs dirigeants. La COP parisienne ne doit pas être une conférence de plus, fermée, sur l’aéroport du Bourget. Elle doit être ouverte à tous, via Internet, les réseaux sociaux, elle doit être précédée et accompagnée de mobilisation, manifestations monstres, partout en même temps sur la planète. En un mot, que les chefs d’Etat sachent qu’il leur sera impossible de rentrer chez eux de Paris les mains vides !
Aucune de ces conditions n’est inaccessible. A nous aujourd’hui de nous retrousser les manches et d’ouvrir avec enthousiasme la voie vers Paris.
http://www.terraeco.net/Construire-le-dialogue,57722.html
Le rédacteur :
DENIS BAUPIN
Député de Paris, vice-président (EELV) de l’Assemblée nationale.