On m’a tenu la main, on m’a appris à marcher, à manger proprement, même si je mets toujours les coudes sur la table, même dans les restaurants chics. On m’a appris à dire bonjour à la dame, à serrer la main au monsieur. A ne pas mettre les doigts dans mon nez, ni les miens ni ceux des autres d’ailleurs, magie des déterminants possessifs, et à les laver avant de passer à table. A dire pardon, s’il-vous-plaît, merci.
On m’a appris à lire. A dévorer des livres, la lampe sous la couette, le soir. On m’a appris à écrire, les boucles des majuscules, les No Future, les cartes postales et les lettres d’amour. A sourire. Par gentillesse et quand je ne sais pas quoi dire. Quand ce n’est pas le moment de dire que vraiment, je ne suis pas d’accord. Quand les mots ne suffisent pas, ne suffisent plus, à consoler, à rassurer.
On m’a appris les codes, on m’a appris les lois. On m’a appris les tables de multiplications, à quelle vitesse roulent les trains en sens inverse ou se remplissent les baignoires. On m’a appris la conjugaison des verbes pronominaux. On m’a appris ce qu’on appelait alors les temps primitifs, comme on était déjà feignants on disait les TP. On m’a appris les équations du second degré, on m’a appris les formules chimiques. On m’a appris à lire le vieil-haut-allemand, on m’a appris à traduire simultanément, on m’a appris à lire entre les lignes et derrière les façades. On m’a appris à remplir une déclaration d’impôts, à cirer mes chaussures, selon toute vraisemblance à peu près au même rythme: une fois par an. On m’a appris à faire mon travail, avec plus ou moins d’envie selon les jours. mais toujours consciencieusement.
On m’a appris des tas de chansons idiotes, et puis d’autres qui ont marqué certaines moments de ma vie – et qui énervaient sûrement mes parents. On m’a appris à danser la valse, à signer des papiers sans trembler, à conduire une voiture sans tuer personne et sans froisser autre chose que mon ego, parfois.
On m’a donné des livres qui expliquaient tout, on m’a dit de ne pas me faire de souci – sainte-mère péridurale priez pour moi, on m’a appris à faire le petit chien, à changer une couche de fille, à soigner un ombilic de garçon, à mettre un enfant au sein ou à préparer un biberon. A les couvrir pour sortir, mais pas trop la nuit.
On m’a appris tellement de choses. Mais jamais on ne m’a appris à être mère.