#ZAD
Le Monde.fr | 14.12.2014
Propos recueillis par Camille BordenetSpécialiste des mouvements altermondialistes, Nicolas Haeringer analyse les « zones à défendre » de Notre-Dame-des-Landes, Sivens et Roybon.
Un "zadiste" à l'entrée de la "zone à défendre" de la forêt de Chambaran, près de Roybon. Les activistes s'opposent à un projet de centre de loisirs du groupe Pierre & Vacances. | PHILIPPE DESMAZES / AFP
Qui sont les « zadistes » ? Comment tenter de définir ce mouvement, alors que leurs profils et leurs motivations sont disparates ?
Nicolas Haeringer : Je comprends qu’on souhaite labelliser les mouvements émergents car c’est un enjeu de compréhension. Mais il faut résister au maximum à cette tentation pour au moins deux raisons : la première, c’est qu’en essayant de coller un label sur les zadistes, on adopte très vite le jargon des autorités et de la police.
Elles ont besoin d’assigner des identités aux zadistes, de les figer dans des catégories existantes pour savoir comment les traiter – en l’occurrence pour justifier qu’il n’est pas possible de dialoguer avec eux et qu’il faut donc faire le choix de la répression. La seconde, c’est qu’on renonce ainsi à saisir tout ce qui se joue de nouveau dans ces mobilisations, dans des pratiques et des expérimentations dont le propre est précisément de faire évoluer les identités hors des catégories existantes.Que revendiquent les uns et les autres ?Ce ne sont pas seulement des revendications environnementales. Les mobilisations se jouent aussi autour de revendications liées à la démocratie. Il y a notamment un enjeu autour de l’idée d’une égalité absolue : tout le monde, et non les seuls élus, doit pouvoir participer aux décisions et est fondé à les remettre en cause.Dans les ZAD, on voit aussi apparaître de nouveaux acteurs et de nouvelles revendications : comme, par exemple, les naturalistes en lutte, des personnes qui se mobilisent pour recenser les espèces animales ou végétales menacées par ces projets. Que ce soit de la permaculture, de l’agro-écologie ou des formes d’habitat alternatives, l’expérimentation occupe une place centrale dans les ZAD : il s’agit de préfigurer d’autres modes de vie, durables, décarbonés. Les zadistes veulent préfigurer une société qui fonctionne sur d’autres bases que la prédation des ressources naturelles. Ce ne sont donc pas uniquement des occupations défensives.Lire le portrait : Moi, Martin, 20 ans, zadiste à visage découvertQu’est-il alors en train de se jouer avec ces mobilisations ?On peut émettre deux hypothèses. La première – formulée notamment par le Comité invisible – est que dans la période actuelle, l’enjeu des luttes est devenu le territoire. Dans le cas présent : comment se construisent les politiques d’aménagement du territoire ? Comment intègre-t-on des données nouvelles, qui doivent conduire à réviser des décisions d’aménagement prises il y a dix, vingt, voire cinquante ans [comme dans le cas de Notre-Dame-des-Landes] ?La seconde est que, de Notre-Dame-des-Landes à Sivens, ce qui se joue désormais, ce sont des résistances à l’« extractivisme » – les activités d’extraction de grands volumes de ressources naturelles, qu’elles soient agraires, pétrolières ou forestières. Le front de l’extractivisme était jusqu’à présent principalement situé dans les pays du Sud. Il se déplace désormais vers les pays du Nord, qu’il s’agisse des sables bitumineux de l’Alberta, des gaz de schistes, de la promotion du tourisme de masse [par la construction d’aéroports ou de parcs de loisirs], ou encore du soutien aux projets d’agriculture industrielle [à Sivens comme avec la ferme des Mille Vaches]. Ce qui se joue dans les ZAD est donc double : la résistance à l’extractivisme et l’invention ou la préfiguration d’autres modes de vie, d’un futur décarboné.Peut-on parler d’un nouveau mouvement en formation ?Oui, quelque chose est en train de se construire, d’être expérimenté. Il y a un modèle qui se diffuse, et pas uniquement en France : on peut observer des dynamiques similaires en Angleterre, en Allemagne, en Amérique du Nord. Il y a par ailleurs une histoire déjà ancienne de ces mobilisations [on peut penser aux mouvements anti-barrages en Inde, par exemple]. En ce sens, on peut considérer qu’il s’agit d’un cycle global de mobilisations.S’agit-il d’un mouvement unifié ou d’une constellation de mobilisations, de campagnes et de collectifs hétéroclites ?Il est encore trop tôt pour en juger. On peut toutefois identifier quelques changements par rapport à la manière dont s’est construit le cycle précédent. Il y a dix ou quinze ans, les mobilisations altermondialistes étaient très largement transnationales, autour de sommets et de contre-sommets internationaux, par exemple. Les luttes dont nous parlons sont beaucoup plus ancrées dans un territoire. Elles sont locales, sans toutefois que leurs acteurs renoncent à la solidarité et à l’échange entre enjeux, entre occupations, etc. Ce qui se joue c’est donc peut-être une nouvelle forme de construction des solidarités, qui ne seraient plus « transnationales », mais « translocales ».Pensez-vous que les zadistes peuvent être soutenus, voire instrumentalisés, par des mouvements ou des partis politiques ?J’ai l’impression que c’est plutôt l’inverse, en cela que les zadistes sont très méfiants vis-à-vis de l’ensemble des partis politiques, même ceux à gauche du gouvernement. Même si certains partis politiques, les Verts notamment, ont pu leur faire part de leur soutien, la méfiance des zadistes à l’égard de tout ce qui a trait aux institutions fait qu’ils ne souhaitent pas construire d’alliance avec qui que ce soit. Leur indépendance et leur volonté de ne pas être récupérés sont au cœur même de leur pratique.Et c’est précisément ce qui fait peur aux élus : les zadistes leur « échappent ». Les autorités ont besoin de faire entrer dans des cases : soit ce sont des associations avec des porte-parole avec qui on peut discuter, soit ce sont des jeunes non organisés, donc dangereux. Parce que ces mobilisations ne sont pas complètement structurées de manière classique, et qu’elles échappent à la récupération, il n’y a de fait aucun pacte tacite qui permettrait d’anticiper ce qui va se passer. Il faut par ailleurs reconnaître que des associations et certains syndicats jouent également un rôle clé dans les mobilisations contre ces projets d’infrastructures. Rémi Fraisse était d’ailleurs membre d’une association environnementale très reconnue [France nature environnement].
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