Série créée par Julian Fellowes, diffuséeà partir de septembre 2010 sur ITV1 (Royaume Uni) et en France sur TMC.
Downton Abbey retrace la chronique d’une famille aristocratique anglaise, au début du XXème siècle. Loin de Londres, capitale fourmillante, le manoir de Robert Crawley, Comte de Grantham, est déconnecté du monde extérieur. La maison est une petite ville qui se suffit à elle-même. Le spectateur assiste à la confrontation de deux univers sociaux, que l’on retrouve d’ailleurs dans le « logo » de Downton Abbey : les maîtres et les domestiques.
A la surface du château, l’aristocratie mène une vie paisible, vouée à l’organisation de garden party, à la chasse et aux œuvres caritatives. La seule perturbation à l’horizon semble être l’héritage de Lord Grantham… en effet, c’est un sombre problème à côté de la précarité des travailleurs, du droit de vote des femmes et de la guerre menaçante ! La steadycam permet de grands mouvements fluides, qui rendent compte des volumes des pièces, de leur immensité, et soulignent le calme du lieu et l’oisiveté de ses habitants. Elle est principalement utilisée pour filmer les scènes se déroulant dans le manoir.
A cette vie monotone et sans heurt s’oppose l’hyperactivité des serviteurs. La caméra portée suit les allés et venues des valets. Elle montre parfaitement l’agitation qui règne dans les sous-sols du manoir, sans pour autant donner le mal de mer. Elle suit des dizaines de domestiques, dont la vie est dédiée au confort et au service des maîtres des lieux. C’est une véritable fourmilière, où chacun à un rôle à jouer. La hiérarchie en place chez les serviteurs, pourtant nécessaire, est terrible et en broie plus d’un. Alors que les maîtres ont tous pouvoirs sur leurs domestiques, on découvre que certains serviteurs ont tous pouvoirs sur leurs collègues. En effet, on voit dans Downton Abbey les humiliations, les jalouseries, les complots dont sont victimes certains employés, alors qu’on imaginerait voir ce genre d’agissements prendre place en haut, chez les riches. Le majordome et la gouvernante ont ainsi à gérer une femme de chambre malveillante et sournoise, secondé par un valet de pied comploteur et provocateur, qui n’ont de cesse de vouloir faire renvoyer un valet de chambre, sous les yeux d’une cuisinière colérique, etc… Il y a de l’action en cuisine ! Pour nous spectateur, le spectacle est « en bas ». Pour les domestiques, c’est au-dessus que tout se passe : ragots, commérages et autres railleries commentent les faits et gestes de la famille. Un domestique vit seul, dans une petite chambre, a très peu de jour de congé et encore moins de divertissement. La seule distraction qu’il a est celle de suivre les différents épisodes de la vie de ses maîtres. Pourtant, ce qui reste encore très étonnant, un siècle plus tard, c’est la forme d’affection qui lie la famille Crawley à ses employés. Lord Grantham est bienveillant, pendant qu’en cuisine on vit intensément les deuils, aventures sentimentales et autres disputes des habitants du haut.
Au fil des saisons, on aime cette famille, confrontée aux rumeurs, à l’arrivée de technologies modernes (l’électricité, le téléphone), à la Première guerre mondiale et aux changements de la société anglaise. Lady Violet Crawley, comtesse douairière, représente l’ancien monde, et l’actrice anglaise Maggie Smith livre ici une interprétation savoureuse, pleine d’humour très britannique, s’offusquant de toute évolution, technologique comme des mœurs. Hugh Bonneville est parfait dans le rôle du Comte de Grantham : son jeu est sensible et juste. C’est un personnage auquel on s’attache et on s’identifie, car il incarne une figure aristocratique honnête, généreuse, qui nous paraît tout à fait normale et modeste, alors qu’on s’étrille dans les sous-sols. Certains personnages n’ont pas du tout l’attitude qu’on pourrait attendre de leur milieu. Les repères sont complètement brouillés. Le reste du casting est excellent, les costumes magnifiques. Tout est rassemblé pour rendre l’époque et l’ambiance aussi réaliste que possible. La photographie est soignée, toute l’œuvre montre une très grande unité artistique, alors que le tournage se déroule alternativement au manoir de Highclere pour les scènes « de surfaces », et dans les studios d’Ealing pour les cuisines, reconstituées pour l’occasion.
Downton Abbey est une création originale. Elle a nécessité un travail historique colossal, unique à ce jour dans l’univers des séries. Il est passionnant de voir comment cette aristocratie vieillissante s’adapte aux changements de la société, loin des salons de la capitale. La lutte pour le droit de vote des femmes, la lutte des classes et le libertinage cognent à la porte du manoir. Les réactions divergent, chez les nobles comme chez les domestiques, et les personnages réagissent rarement comme on l’attend.
Downton Abbey se situe bien loin des séries américaines d’action comme 24 Heure Chrono ou Homeland, et pourtant on ne s’ennuie jamais. L’action n’est pas là où on l’attend. On est captivé par l’image, par cette chronique parfaitement maîtrisée par l’auteur Julian Fellowes et les réalisateurs.
A cause du conflit mondial, les personnages évoluent : Matthew et William quittent le manoir et y reviennent quand ils ont une permission, Bates voyage souvent à Londres, Thomas revient dans des circonstances inattendues. Lady Sybil devient infirmière. Elle incarne la modernité, on s’identifie énormément à elle tant elle représente la femme d’aujourd’hui: elle refuse ce qu’on veut lui imposer, une vie ennuyeuse et tiède, mène sa barque, sans attendre un mariage malheureux. Au lieu de cela, elle agit, avec courage en plus. Lady Mary, pourtant réticente à tous les changements de la société, s’ouvre elle aussi et nous paraît beaucoup plus sensible dans cette saison.
La musique de la bande originale montre beaucoup plus de variations que dans la première saison et souligne les changements: tout est en route, rien ne s’arrête car comme le dit Lord Grantham, le monde ne sera jamais le même après la guerre. Les acteurs paraissent encore plus impliqués, soudés, et cela se ressent, rend les personnages encore plus attachants. On fait réellement partie de la maison, on se sent de plus en plus proche d’eux, toute classe confondue. Il faut souligner le travail de Brendan Coyle et Dan Stevens, dans les rôles de Mr. Bates et de Matthew Crawley : depuis le début de la série, ils livrent tous deux une interprétation pleine de pudeur, de finesse et de sensibilité. Ils sont les dignes héritiers d’Anthony Hopkins dans Les Vestiges du Jour, de James Ivory. Mais ils ne seraient rien sans leurs partenaires Joanne Froggatt et Michelle Dockery, dans les rôles d’Anna et de Lady Mary, qui résistent aux épreuves du scénario avec dignité et conviction. Les couples Bates/Anna et Matthew/Mary marchent parfaitement, tant les protagonistes se désirent, se croisent, se loupent. La retenue des acteurs est parfaite, et ils nous font vivre deux relations compliquées, dans deux milieux sociaux qui cohabitent. Les histoires d’amour ne fonctionnent jamais aussi bien que quand elles sont complexes et semées d’embuches. C’est par elles que les auteurs montrent les plus grandes similitudes entre la vie des maîtres et des valets. Les quatre acteurs nous emmènent et on espère le meilleur pour eux.
Après une première saison qui plante le décor, la famille Crawley et ses domestiques sont confrontés à la Première guerre mondiale, à son horreur mais également à ce qu’elle amorce : bien que tous soit soudé autour des hommes partis combattre, la guerre remet en cause l’ordre établi. Comme le dit le Comte de Grantham, le monde ne sera jamais le même après la guerre. Tous les hommes en âge de se battre partent dans les tranchées, mais au manoir, chacun se mobilise et est impliqué. La force de cette deuxième saison est de rendre les seize personnages principaux encore plus denses et complexes, sans pour autant se laisser aller au superflu.
Il y a dans cette seconde saison beaucoup de situations qui amènent le Comte Grantham à examiner le but de sa vie d’aristocrate oisif, à consulter ses domestiques, à s’imposer comme homme fort de la famille. Les repères se brouillent de plus en plus et les barrières sociales sont prêtes à être abattues. Sa relation d’amitié avec Bates, son valet de chambre, malgré les épreuves et la différence de milieu social, perdure et se renforce. De plus, Lord Grantham est un ancien militaire, et cela abat les dernières cloisons qui existaient entre lui et le monde du « bas » . Le comte et la comtesse Grantham, qui nous paraissaient déjà plutôt moderne, par opposition à Lady Violet et Lady Mary, nous sont encore plus sympathiques, et on admire leur engagement et leur rupture avec les conventions, qui pour l’époque sont très significatifs.
Les acteurs paraissent encore plus impliqués, soudés, et cela se ressent, rend les personnages encore plus attachants. On fait réellement partie de la maison, on se sent de plus en plus proche d’eux, toute classe confondue. Il faut souligner le travail de Brendan Coyle et Dan Stevens, dans les rôles de Mr. Bates et de Matthew Crawley : depuis le début de la série, ils livrent tous deux une interprétation pleine de pudeur, de finesse et de sensibilité. Ils sont les dignes héritiers d’Anthony Hopkins dans Les Vestiges du Jour, de James Ivory. Mais ils ne seraient rien sans leurs partenaires Joanne Froggatt et Michelle Dockery, dans les rôles d’Anna et de Lady Mary, qui résistent aux épreuves du scénario avec dignité et conviction. Les couples Bates/Anna et Matthew/Mary marchent parfaitement, tant les protagonistes se désirent, se croisent, se loupent. La retenue des acteurs est parfaite, et ils nous font vivre deux relations compliquées, dans deux milieux sociaux qui cohabitent. Les histoires d’amour ne fonctionnent jamais aussi bien que quand elles sont complexes et semées d’embuches. C’est par elles que les auteurs montrent les plus grandes similitudes entre la vie des maîtres et des valets. Les quatre acteurs nous emmènent et on espère le meilleur pour eux.
Le changement est amorcé, mais il reste à voir si les personnages auront le courage de suivre la voie qu'ils ont découverte pendant la Guerre ou si le retour à une vie plus "normale" aura raison de leur volonté. Cette saison, pleine de gravité, de rebondissements, annonce la suite: comment se remettre de l’horreur de la guerre ? Comment ces hommes peuvent-ils survivre à ce qu’ils ont vu ou vécu ? Et comment la vie, restée en suspend, plongée dans l’action, peut-elle reprendre son court comme si rien ne s’était passé ? Les saisons suivantes apportent des éléments de réponse, de manière intelligence et sans une once de lassitude pour les spectateurs.
La série est bardée de récompenses (Gloden Globe de la meilleure mini-série en 2012, Emmy Awards 2011 dans les catégories de meilleure mini-série, meilleure actrice dans un second rôle, meilleur scénario ;meilleure réalisation et encore pour les meilleurs costumes). Elle est une référence pour l’écriture scénaristique, la psychologie des personnages et le choix du casting, toujours excellent. Dans un monde où l’on doit aller de plus en plus vite, la série nous oblige à prendre le temps, et on se plonge dans cet univers avec une infinie délectation .
Les trois premières saisons sont disponibles en DVD et Blu-Ray chez Universal. La saison 4 sera diffusée à partir de la semaine prochaine sur TMC, après une année d’interminable attente. Elle est néanmoins déjà disponible la saison 4 est disponible en DVD et Blu-Ray en import belge, avec VF et VOSTFR. Quant à la saison 5, elle vient de s’achever en Grande-Bretagne et réserve encore son lot de surprises et de rebondissements. Deux saisons supplémentaires sont dans les cartons d’ITV.
Pauline R.
Dan Stevens et Michelle Dockery (Matthew et Mary), à gauche; Brendan Coyle et Joanne Froggatt (Mr. Bates et Anna), à droite.