Consternation

Publié le 14 décembre 2014 par Morduedetheatre @_MDT_

Critique de Répétition, de Pascal Rambert, vu le 13 décembre 2014 au Théâtre de Gennevilliers
Avec Audrey Bonnet, Emmanuelle Béart, Denis Podalydès, et Stanislas Nordey, dans une mise en scène de Pascal Rambert

J’aime le théâtre. J’aime ses acteurs, j’aime sa portée, j’aime son message. J’aime qu’on me raconte une histoire. Mais depuis peu, je cherche à découvrir ces « nouvelles formes de théâtre », ce théâtre moderne, si différent de ces classiques que je connais bien, maintenant. Je pense être quelqu’un d’ouvert – en tout cas en matière de théâtre – et je cherche dans cette nouveauté quelque chose de fort, de sorte qu’on puisse se dire : il y a une réelle évolution dans le théâtre aujourd’hui, qui l’amène autre part, et ce point de vue est intéressant. Je n’ai pas vu la Clôture de l’amour de Pascal Rambert, qui a connu un si grand succès il y a quelques saisons. Mais j’étais curieuse de découvrir cet auteur à la plume particulière, dont certains reconnaissent le talent. Mais attendez… quel talent ?

Il n’y a pas d’histoire à proprement parler dans cette Répétition. Il y a quatre personnes de théâtre, deux actrices, un metteur en scène et un auteur (Audrey, Emmanuelle, Stan, et Denis) qui vont disserter autour de grandes questions. Cela pose d’ailleurs un premier problème concernant la structure – mot d’ordre du spectacle – de la pièce : on oublie au fur et à mesure le premier débat qui avait été lancé. On ne sait plus qui répond à qui, et si un tel rejoint les idées de son prédécesseur ou, au contraire, les met en pièce.

Et si on oublie, c’est principalement à cause du texte. Je le clame haut et fort, et tant pis si je vais contre l’avis général : ce texte est une imposture de bout en bout. C’est de la fausse pensée : on assiste à une dissertation brouillonne, qui tente de faire croire au spectateur qu’il y a de réelles idées philosophiques derrière. Aligner de belles phrases, qui sonnent juste, avec des nouvelles définitions qui remettent en cause tout ce qu’on a fondé jusque là, voilà son mode de fonctionnement. Mais lorsque la parole n’est pas fluide, lorsqu’on perd le spectateur, lorsque pour essayer de capter son attention on ne trouve rien de mieux que répéter, répéter, toujours, les mêmes phrases, en variant le ton, ou en coupant la phrase là où on ne s’y attend pas, alors on n’est rien d’autre qu’un pseudo-penseur.

Ce texte est bavard et inutile ; il s’écoute parler : il essaye de faire croire au spectateur qu’il pense réellement devant ce spectacle, qu’il a une véritable réflexion en écoutant les différents monologues, mais il n’y a rien de tout cela : il n’y a que du vent. Mais je reconnais que le procédé est malin, car, devant cette dissertation prétentieuse et qui n’en finit pas, on peut se croire intelligent, et cela ressemblerait presque à de la philosophie. Alors cela devient du « théâtre de la pensée » : mais comme disait Louis Jouvet : « au théâtre il n’y a rien à comprendre mais tout à sentir ». Ce qui nous est présenté sur la scène du Théâtre de Gennevilliers n’est donc plus du théâtre, mais simplement une succession de phrases bien trop longues, ennuyeuses, arrogantes, et sans fond.

C’est à perdre foi en le théâtre. Quel intérêt un acteur tel que Denis Podalydès peut-il trouver dans un texte pareil ? Encore qu’il a peut-être la partie la moins inutile du spectacle : c’est sans doute, avec celui d’Emmanuelle Béart, le monologue le moins ennuyeux. Notons que ce sont aussi les deux les plus courts. Ils défendent comme ils peuvent leurs partitions : lui s’exprime en tant qu’auteur : il écrit pour tuer. Elle traitera de l’amour et de sa portée : elle aime deux hommes et elle ne le nie pas. Quant à Audrey Bonnet, qui a la lourde charge de commencer la pièce, c’est elle qui casse quelque chose : elle décide de quitter la structure, et elle explique, longuement, pourquoi. Elle crie beaucoup trop, si bien que ça en devient vite pénible. Stanislas Nordey enfin, que je découvrais, parle de son travail de metteur en scène, et on devine qu’il y a de l’homme derrière le personnage. Cependant, ses répétitions de « Jeunes gens, jeunes gens, enfants, jeunes gens » fatiguent. Et lorsqu’il répète pour la quatrième fois « J’arrête, je vais me coucher », on ne souhaite qu’une chose : qu’enfin, comme il l’annonce depuis 30 minutes, il s’arrête, et qu’il aille se coucher autour de ces autres corps étalés sur la scène, métaphore grossière du manque de pouvoir de la parole sur le monde : ils se sont vidés de leurs mots et se retrouvent vaincus.

Sans doute y avait-il un message à faire passer, peut-être même des idées dans ce texte suffisant de Pascal Rambert, empreint des moeurs de notre temps : la culpabilité des nantis, l’idée d’un monde à renouveler, à reconstruire. Mais ce que cet auteur propose n’est pas du théâtre : depuis Eschyle, le dialogue est maître-mot. Chercher l’affrontement dans le monologue, s’essayer à un genre nouveau, ne pas faire « comme tout le monde »… et finalement ennuyer son spectateur, voilà toute la portée de ce spectacle. Et ne venez pas me dire que la critique est unanime : la salle, ce soir-là, était aussi froide que moi.

Monsieur Pascal Rambert, en publiant cette critique, je ne fais que suivre le conseil que vous répétez à plusieurs reprises durant le spectacle :  « Levez-vous, jeunes gens ». Me voilà.