La semaine pouvait donner le bourdon. Nous étions pourtant en démocratie, l'une des plus grandes et fortes du globe. La France, encore cinquième puissance mondiale, avait une presse officielle ramenée aux outrances de l'entre-deux-guerres.
Instrumentaliser
Mardi, le journal de 8 heures de France inter s'ouvre sur une avalanche de titres déclamés de façon tonitruante. La station publique diffuse la tranche matinale la plus populaire de France. Justement, ce matin-là, l'actualité semblait peut-être si morne qu'il fallait faire du bruit avec pas grand chose. L'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) venait de publier ses habituelles statistiques sur la délinquance en France. L'enquête, la huitième du nom, s'attarde sur la "victimation", auprès de 15.000 Français interrogés. Pour une fois, il y avait de quoi se réjouir, ou de la jouer minimaliste. D'après l'enquête, le "sentiment" d’insécurité recule. Le nombre d'infractions et même de violences aux personnes se stabilise.
Mais ce matin-là, comme souvent, il fallait brailler. Sur France Inter, donc, l'animateur du journal de 8 heures éructe quand même: "la délinquance à la une ce matin!" A cinq reprises, il utilise le verbe "exploser" pour commenter ces statistiques de la délinquance pourtant globalement stables...
Exciter l'auditeur, est-ce digne, utile, profitable à la démocratie ?
Cette courte séquence, rapidement oubliée, illustre la difficulté de nos médias à rendre compte de la réalité avec recul et analyse.
Un "magazine", principalement composé de photographies volées et de commentaires improbables, également responsable de quelques fuites retentissantes sur les relations amoureuses tumultueuses de François Hollande en janvier dernier, fait quelques révélations sur l'un des (jeunes) pontes du Front national, Florian Philippot.
Louis Alliot, compagnon (et salarié parlementaire) de Marine Le Pen s'indigna promptement, lui qui applaudissait, il y a 10 mois à peine, aux révélations du même torchon à propos de Hollande.
Révéler la vie privée, et sexuelle, d'un responsable du Front national, est-ce digne, utile, profitable à la démocratie ?Après l'affaire Gayet, puis la vengeance au long court de Valérie Trierweiler, la trash-actu s'invite à l'extrême droite.
Divertir
Vendredi, l'Elysée justifie la retraite de Hollande. L'hebdomadaire Marianne (*), quelques jours auparavant, avait accusé le président d'une retraite trop confortable. Marianne n'avait pas tort, mais Hollande non plus. Car l'actuel président fit préciser qu'il ne siègerait pas au Conseil Constitutionnel après son mandat, comme Nicolas Sarkozy et tous les autres. Et il manquera donc les 12.000 euros de rémunération y afférent.
La rémunération de nos élus est une affaire qui nécessite une attention de tous les instants.
Le micro-parti de Jean-Marie Le Pen, qui est différent de celui de sa fille Marine, a obtenu un prêt russe dont on ignore le montant. Lundi, le trésorier du FN avait publié des lettres de refus de prêt émanant des principales banques françaises, pour justifier le financement de 9 millions d'euros sollicité auprès du même établissement russe.
Il n'y a pas que les Le Pen et le Front national à se faire financer par des entreprises étrangères. Nicolas Sarkozy, pourtant fraîchement élu à la tête de l'UMP, a fait un rapide aller-retour au Qatar cette semaine. Au passage, dans l'hôtel Four Seasons local, il a livré une conférence rémunérée par la Qatar National Bank sur l'investissement en France.
Plus drôle, et même franchement divertissant, la réorganisation politique de l'UMP alimente les gazettes. On réalise enfin que Nicolas Sarkozy s'est complètement hollandisé, le talent et la courtoisie en moins, en prenant la tête de l'UMP. Faute d'un score imposant pour sa réélection à la présidence de l'UMp, il doit composer avec tout ce que compte l'UMp de courants et de fortes têtes. Nadine Morano lui hurle dessus publiquement depuis qu'elle n'a plus de poste à l'UMP, Rachida Dati s'interroge sur l'absence de ligne politique au micro de RMC.
Manipuler
François Hollande rétablit quelque 70 millions rabotés par des députés exsangues, sur le dos du budget de l'enseignement supérieur. Comme un millier de professeurs et d'élèves protestent dans la rue au moment, les médias s'attardent sur l'affaire. Plutôt que d'expliquer les tenants et aboutissements d'un budget public complexe, et révéler les grandes options du gouvernement, la presse cède à la paresse, et se contente d'entretenir le feuilleton d'anicroches anecdotiques.
Mercredi, Emmanuel Macron présente sa loi fourre-tout sur "sur l’activité et la croissance". Le texte englobe large, fait de multiples mécontents, mais reçoit d'évidents soutiens de la presse conservatrice et du MEDEF. Sur nos radios nationales, la parole économique est "trustée" par des journalistes libéraux.
D'une chronique à l'autre, d'une radio à l'autre, comme s'ils s'étaient donnés le mot, ces chroniqueurs de la main invisible du marché répètent les mêmes arguments, sans davantage de preuves ni de considérations sociales. Libéraliser le travail le dimanche relancerait la consommation (?). Libéraliser les transports en autocar serait source d'emploi.
Etc...
L'un des summums fut atteint sur l'une des radios de service public qui diffusa le témoignage du représentant des commerçants de l'avenue Montaigne à Paris.
Quand Manuel Valls entame son discours, mercredi à la Fondation Jean Jaurès (sic!), Martine Aubry publie une tribune virulente contre la loi Macron dont elle dénonce la "régression".
FALLAIT PAS L'ÉNERVER !
Macron se défend alors une cette formule délicieuse sur ces "jeunes" qui "aimeraient travailler le dimanche pour précisément pouvoir se payer le cinéma." A gauche, on devait être encore davantage stupéfait quand Macron ajouta qu'il était contre un doublement de la rémunération le dimanche.
Matignon publie la liste de 155 "chantiers de réforme" pour "démontrer la cohérence" de l'action gouvernementale. L'exercice de com' passe quasiment inaperçu. Manuel Valls tente d'inventer un nouveau concept, la "prédistribution", pour désigner ses fondamentaux politiques. Reprendre la main sur le vocabulaire politique est un artifice commun. Chez Valls, la prédistribution qu'il promeut est simple à comprendre, si simple qu'on ne comprend pas pourquoi il ne réalise pas que sa politique en est bien éloignée.
"Il nous faut intervenir en amont, prévenir les inégalités plutôt que nous contenter de les corriger, toujours trop tard, et souvent à la marge (...) Mieux armer chacun pour être acteur de sa propre vie." Manuel Valls, 10 décembre 2014.Mentir
Valeurs Actuelles est cet hebdomadaire de la droite furibarde. Quand il ne titre pas sur ces "immigrés-qui-nous-envahissent", le journal s'attarde forcément sur François Hollande en des termes qui nous rappellent la presse fascisante de l'entre-deux guerres, l'antisémitisme en moins. Après les fantasmes sur un prétendu Cabinet Noir qui oeuvrerait dans les recoins de l'Elysée contre Nicolas Sarkozy, Valeurs Actuelles balance cette semaine sur "la mafia Hollande".
Le journal, si prompt à défendre Nicolas Sarkozy ou Serge Dassault à toute heure et en toutes circonstances, n'avait pourtant pas grand chose à livrer pour étayer son titre outrancier. Il ne fait que citer un ancien chauffeur qui accuse l'ancien conseiller de Hollande de chantage. On cherche la mafia, le parrain, les preuves.
Le même journal oublie l'indulgence réclamée par Sarkozy quand les médias relatent des affres plus graves encore sur ses proches. Valeurs Actuelles se fait discret sur la mise en examen pour blanchiment, quelques jours auparavant, de l'associé de Nicolas Sarkozy, l’avocat Arnaud Claude. Les juges Renaud Van Ruymbeke et Patricia Simon, révèle Mediapart, le soupçonne "d’avoir participé au montage financier qui a permis aux époux Balkany de dissimuler leurs avoirs au fisc".
Du mensonge tout court au mensonge par omission, la palette est large.
Vendredi, Eric Woerth est blanchi dans l'affaire dite de Compiègne, révélée par le même Mediapart en juillet 2010. L'ancien ministre de Sarkozy était d'accusé d'avoir bradé l'hippodrome de Compiègne. Il n'avait jamais été mis en examen. Cette fois-ci, c'est la Cour de Justice de la République, ce tribunal spécial pour juger des affaires impliquant des membres de l'exécutif français, qui a rendu le non-lieu.
Qui rappelle dans les médias, à cette occasion toute trouvée, le statut si particulier de la Cour de Justice de la République ?
Personne.
Les juges de cette Cour sont, pour 12 d'entre eux sur les 15 membres que compte le tribunal, des parlementaires choisis par l’Assemblée nationale et par le Sénat. Il n'y a que trois vrais magistrats.
Etre jugé par les siens, n'est-ce pas formidable ?
Dans le cas de l'affaire Woerth, ce fut encore mieux. Il n'y a pas eu de jugement par ce "tribunal des pairs". La commission d'instruction a préféré prononcer un non-lieu. A la suite des recommandation de la Commission Jospin en 2012, un projet de loi constitutionnelle visant à supprimer ce tribunal d'exception avait été présenté en Conseil des Ministres en mars 2013. depuis, on attend toujours que le texte soit présenté au Parlement...
Ami(e) citoyen(ne), reste calme.
(*)Le blog Sarkofrance est également publié sur Marianne.
Crédit illustration: DoZone Parody
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