La cour d'appel de Dijon a relaxé Emmanuel Giboulot, vigneron bio qui avait refusé de traiter ses vignes contre la maladie de la flavescence dorée.
Emmanuel Giboulot, vigneron bourguignon. Thierry GaudillèreEntretien.
Par Christophe Tupinierhttp://mobile.lepoint.fr/vin/entretien-emmanuel-giboulot-soulage-et-toujours-mobilise-08-12-2014-1887756_581.phpEmmanuel Giboulot est un homme soulagé. Hier, 4 décembre 2014, la cour d'appel de Dijon l'a relaxé dans l'affaire qui l'opposait à l'État, par l'intermédiaire de la Direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et des forêts. Malgré l'arrêté préfectoral n° 322 du 7 juin 2013, Emmanuel Giboulot avait refusé en 2013 de traiter ses vignes contre la maladie de la flavescence dorée tout simplement parce qu'il estimait qu'en l'absence de contamination dans son secteur (Beaune), il ne faisait courir de risque à personne en prenant une telle décision. Condamné en première instance à une peine symbolique, 1 000 euros d'amende dont 500 avec sursis, Emmanuel Giboulot avait toutefois décidé d'aller au bout de ses idées, contestant en appel la légalité de l'arrêté préfectoral aux motifs qu'il n'était pas conforme aux prescriptions de l'article L251-8 du Code rural, et ce, pour trois raisons :
- cet arrêté n'avait pas été approuvé par le ministre de l'Agriculture, sa simple transmission ne valant pas approbation.
- l'urgence du traitement (insecticide) n'était pas rapportée, notamment en l'absence de contamination avérée dans le département de la Côte-d'Or.
- l'arrêté ne limitait pas le périmètre de lutte aux communes contaminées et aux communes voisines.
La cour d'appel a donc donné raison à Emmanuel Giboulot après une bataille juridique de plus d'un an, une longue polémique avec des représentants de la profession souvent dépassés par les événements et pour lesquels cette décision de justice est une forme de désaveu, après surtout que l'affaire a eu des retombées médiatiques nationales et internationales auxquelles personne ne s'attendait vraiment. Rencontre avec un homme soulagé et qui reste mobilisé.
Propos recueillis par Christophe Tupinier :
Emmanuel Giboulot, quel est le sentiment qui prédomine aujourd'hui chez vous ?
C'est bien sûr une libération. Les doutes ont été nombreux sur l'issue du procès. C'est plus d'un an de pression sur moi et ma famille qui retombe d'un coup. Il y a eu toutes ces polémiques qui ne font pas partie de ma vie. Je suis vigneron. En même temps, cette décision est intéressante, car on voit bien que sur de tels sujets, les choses ne sont jamais noires ou blanches. Beaucoup de vignerons et pas que des bio se sont posé des questions sur le bien-fondé de l'arrêté préfectoral. Cela démontre aussi que sur des sujets aussi graves, le discours officiel, unique, imposé, ne passe pas. Il faut écouter les gens. À un moment, quelqu'un doit trancher, mais si avant la décision il y avait eu une vraie concertation, large, nous n'en serions pas arrivés là. Je rappelle que ce sont quand même nos vignes qui sont en question et personne, moi le premier, n'a envie de prendre des risques insensés et de perdre son patrimoine. Aucun vigneron, bio ou pas, n'a intérêt à laisser mourir son vignoble.
Avez-vous été étonné par la mobilisation internationale en votre faveur ?
En comptabilisant les réseaux sociaux, les pétitions... un million de personnes m'ont soutenu. C'est fou, mais en y réfléchissant bien, ce n'est pas si incroyable que cela. L'environnement est un sujet de société, un sujet de fond qui dépasse tous les clivages et cela, certains ont du mal à s'en rendre compte. Les gens ont envie de consommer des produits sains, de respirer un air sain. La conscience citoyenne a évolué et si on ne veut pas l'écouter, on se prépare à d'autres affaires de ce type et à des scandales qui seront plus lourds encore à gérer. Dans le monde viticole, les choses bougent, mais par la base, par les vignerons eux-mêmes qui sont de plus en plus nombreux à se convertir à des pragmatiques respectueuses de l'environnement, de leurs terroirs.
Certains vous ont accusé de faire du mal à l'image de la Bourgogne, ou même de chercher à tirer un bénéfice personnel de cette affaire. Que leur répondez-vous ?
Que répondre ? Ceux qui me connaissent savent qu'il n'en est rien. À l'avenir, sur cette question de la flavescence dorée ou sur tout autre problème de ce type qui pourrait apparaître, j'espère simplement que la concertation l'emportera et que l'on saura prendre collectivement les bonnes décisions.
En 2014, le plan de lutte contre la flavescence dorée en Bourgogne a été mieux ciblé, moins systématique. Les choses vont quand même dans le bon sens ?
Oui, mais il faut être encore plus restrictif dans l'emploi de la chimie, faire des zonages de plus en plus serrés des zones à traiter et de celles à ne pas traiter de façon à sécuriser le vignoble, mais aussi à préserver notre environnement. Dans le vignoble de Côte d'Or, en 2014, pour 3 pieds contaminés dans trois zones (Volnay-Pommard, Meursault et Saint-Aubin), on a imposé des traitements sur 16 communes. Il faut faire mieux, être plus précis !
Quelques chiffres :
Emmanuel Giboulot exploite 10 hectares de vignes (Beaune, hautes-côtes-de-nuits, Saint-Romain, Rully et IGP Sainte-Marie-la-Blanche), ainsi que 80 hectares de céréales.
Le domaine viticole est converti en biologie depuis 1970 et en biodynamie depuis 1996 (Emmanuel Giboulot s'est installé en 1985). Les céréales sont en culture biologique.
Le Point.fr - Publié le 08/12/14