Quand arrive la fin de l’année, je suis d’une impatience exécrable…
Les soirées de fête des grands hôtels sont nombreuses, mais celle dont j’attends avec le plus de hâte le carton d’invitation, c’est la soirée du Beau Rivage…
Le beau Rivage fait partie des hôtels d’exception de Genève, mais il est différent. Peut être à cause de son histoire, d’ événements particuliers en son sein, comme en 1918, dans le salon Mazarick, la signature de la création de la Tchécoslovaquie. De très nombreuses personnalités, en y séjournant régulièrement, ont donné à ce lieu un âme toute particulière et incomparable…
C’est au Beau Rivage que Sissi impératrice d’Autriche, qui séjournait dans sa suite habituelle, est décédée, en 1898, après avoir été poignardée sur la rive du lac. Une vitrine expose certains de ses effets personnels, et je regarde ses accessoires, qui ont traversé le temps et les modes, avec toujours beaucoup d’émotion…
C’est également au Beau Rivage qu’en 1872, dans ses salons, s’est réuni longuement le tribunal arbitral au sujet de l‘«affaire Alabama».
Franklyn et Eleanor Roosevelt, qui descendaient toujours à Beau Rivage, lors de leur séjour helvétique, y ont ébauché la charte des Nations unies. C’est aussi dans cet hôtel, que Sotheby’s en 1987, organisa la vente fabuleuse des bijoux de la princesse de Windsor, dans le salon de Brunswick.
Cet hôtel mythique qui mêle Histoire et histoires, a pour particularité d‘être resté depuis ses origines, au sein de la même famille. C’est probablement pour cette raison qu’il se distingue des palaces plus contemporains, très beaux, certes, mais sans ce supplément d’âme…
Voilà pourquoi, j’aime tant la soirée de fin d’année du Beau Rivage…
L’année dernière le thème en était : « la maison magique » et l’ambiance très « Alice au pays des merveilles » était surprenante, inattendue et singulière… Un vrai bonheur pour les yeux…
Autant dire que dès le mois de novembre, je ne cesse de minauder, comme une enfant gâtée, auprès de mon oiseau rare, avec des désespérés : « dis, tu crois qu’on va être invités ? » Parce que tout le problème est là… Ce n’est pas moi, qui suis invitée, mais Mr Oiseau…
Notez que je mets ma susceptibilité et mon égo de côté pour vous confier la chose…
Moi, je ne suis que celle qui remplit avec reconnaissance éternelle, le petit coupon réponse, en notant mon nom, avec une écriture appliquée à la mention « viendra accompagné de… », dépose le tout dans l’enveloppe jointe, et hop, à la Poste… Au fil des années, je me suis dit qu’un jour, peut être, c’est Mme Hirondelle que l’on inviterait, accompagnée de Mr, mais rien à faire… Je fulmine en secret, sans rien laisser paraitre de ce désespoir bien puéril… Tant pis, l’important, c’est d’en être…
Je ne suis pas particulièrement attirée par le luxe, du moins, c’est ce que je m’évertue à dire et redire…
Mon oiseau rare pouffe discrètement lorsque j’énonce cette vérité… Ce qu’il y a, et cela n’est pas de ma faute, c’est que cette soirée, elle me convient parfaitement… Des lumières douces, une déco féerique, des petites choses délicates à se mettre le bec, de la poésie, de la magie, une vraie bulle de luxe discret et jamais ostentatoire…
De toute façon, le 1er qui affirme que ce genre d’évènement est tout à fait inutile, je lui réponds que c’est entièrement vrai, mais que moi, l’hirondelle avec 21 chimios dans les plumes, j’ai le droit maintenant d’aimer prendre du bon temps, de considérer les futilités comme importantes, et l’envie d’exhiber mes VRAIS cheveux qui heureusement atteignent maintenant une longueur présentable…
Et toc… (j’ai remarqué d’ailleurs, que parler du cancer, cela rend muet n’importe quel interlocuteur désagréable… Finalement, être malade comporte quand même quelques avantages…)
Ce n’est d’ailleurs pas pour les buffets que j’aime tant me rendre à cette soirée annuelle. Tout y est excellent et recherché, mais je suis du genre oiseau rassasié après 3 sushis, et en plus je ne coûte pas bien cher en petites bulles, je n’aime pas l’alcool…
Non, c’est vraiment pour le plaisir des yeux… La déco qui m’inspire, la présentation des plats, la mise en valeur du thème, et aussi, et surtout la possibilité, en étant accompagnée du personnel si gentil de l’hôtel, d’avoir accès aux plus belles suites… Celle de Sissi, et les autres… Contempler le lac la nuit, des derniers étages, admirer les extraordinaires créations florales, s’étonner des dernières innovations hi tech côtoyant les meubles anciens signés, etc.…
Cette année donc, je frémissais dans l’attente du fameux sésame, et il est arrivé… Avec pour thème « le jardin féerique »… Pour un oiseau comme moi, c’était surement le plus beau des présages…
L’angoisse est alors arrivée… Qu’est-ce que j’allais donc bien me mettre sur les plumes ? C’est fou cela, comme dans ces cas là, on regarde son dressing d’un œil vide et morne… Ce truc là, non, pas la bonne couleur, cette robe, pas assez chic, pas la bonne coupe, pas la bonne taille, pas la bonne forme, pas la bonne longueur… Des tonnes de prétextes finalement à l’achat de LA robe pour la soirée du Beau Rivage… Cette année, je suis contente, j’ai trouvé ma tenue en quelques minutes… Essayage et achat immédiat… Pas d’allées et venues hésitantes, pas de doute, pas de questionnement… Le coup de cœur instantané…
Parce que oui, vous l’avez compris, il faut être la plus belle, surtout si on a la chance de gagner à la tombola et de recevoir son prix devant tout le monde…
Le mot « tombola » vous évoque quelque chose ? Non, parce que moi, pendant des années, j’ai vécu un vrai supplice avec ce genre de chose… Si vous avez des enfants, alors vous voyez surement de quoi je parle…
Chaque fin d’année scolaire, c’était le bonheur… La fin de la surveillance des devoirs, de la révision des trucs stupides en math.… Tout le monde ne pensait qu’aux vacances, au soleil, et accessoirement à la fête de fin d’année… C’était un moment chouette, la fête de fin d’année… Moi j’aimais beaucoup faire des gâteaux, et les décorer avec amour… Je me rendais même toujours disponible pour mettre en place les activités, tenir un stand de pêche à la grenouille, ou faire le ménage, le soir venu… Pleine de bonne volonté l’hirondelle, pleine de sourires attendris… Sauf que cela ne suffisait pas à m’épargner l’angoisse de la tombola… Le jour de la tombola, c’était sympa, ça… Les petits billets tirés au sort, les lots parfois carrément miteux, la joie des enfants de gagner un truc infâme sponsorisé par le commerçant du coin… Le problème c’était la vente des billets… Chaque bambin se voyait remettre 1 ou 2 carnets complets, à vendre à des âmes charitables… Et ce truc, proposé, imposé par les maitresses d’école, me rendait furieuse… Parce que vous voyez, vous, des petits hauts comme 3 pommes, déambuler dans le quartier, les billets à la main ? Trop la honte… Si encore j’avais eu de la famille à côté, cela aurait rendue la chose moins douloureuse, mais ce n’était pas le cas… Malgré tout l’enthousiasme du monde, il ne m’était pas possible de quémander aux collègues ou au voisins, l’achat de ces maudits billets… J’ai pourtant essayé, mais je me suis vite rendue compte que ce n’était pas mon truc…
J’avais donc, pour m’épargner la boule au ventre devant des refus plus ou moins polis, appliqué une méthode expéditive mais onéreuse, celle de financer tous les billets… Quelques jours après la remise des carnets, je les brandissais vides, en m’écriant : « j’ai tout vendu » ! Odieux mensonge (mais à moitié quand même, puisqu’ils étaient néanmoins vendus…) et en passant par là même, pour la mère de famille la plus dévouée du monde…
Le jour de la tombola, par contre, je n’en menais pas large, croisant les plumes pour que 2 numéros successifs ne soient pas tirés au sort… Cela n’a jamais été le cas, et personne n’a découvert mon infamie… En même temps, je suis bien certaine que les enseignantes n’étaient pas dupes, et que je ne devais pas être la seule à se résigner à ce douloureux subterfuge…
La tombola du Beau Rivage, heureusement, n’est en rien comparable, ouf… Les invités présents se voient remettre à leur arrivée un petit carton à leur nom, déposé dans l’urne…
Voilà, rien à faire, rien à acheter, juste à attendre le tirage au sort, pour des cadeaux n’ayant rien à voir avec un flambant stylo 4 couleurs…
Cette année, les lots étaient très alléchants :
Je n’ai pas fait partie des heureux gagnants, mais peu importe, la soirée était exceptionnelle…
Le hall, paré de fleurs et de lumière donnait le ton…
Les salons avaient été pourvus de tonnelles, de fauteuils en mousse, et de balancelles végétales…
Il y avait de grandes lanternes partout, un vrai jardin extraordinaire…
Des bougies et de jolies lampes, pour une ambiance tamisée et apaisante,
Et d’incroyables petites choses salées ou sucrées… Toutes délicieuses, aux saveurs originales, un vrai délice pour les papilles…
En outre les traditionnelles cuillères, verrines et autres, j’ai pu déguster de petites préparations chaudes, servies dans de jolies petites assiettes et des couverts en argent trop mignons… Des cuisiniers en grande tenue, avec devant eux de grosses marmites en fonte posées sur des plaques chauffantes, proposaient des assortiments savoureux, pour ravir tous les palais, y compris les végétariens. J’ai donc pu goûter des ravioles à la truffe blanche, des gambas à la citronnelle, des morilles avec une crème de courge, un espuma de châtaigne avec des girolles, et du bar en croute de sel. Mon andalou, lui, a craqué (maudit soit il…) pour du chevreuil aux airelles, et du lièvre à la royale.
Quelques heures d’enchantement plus tard,
je suis repartie dans ma rolls ma citrouille, loin des lumières de cette soirée, mais avec un cadeau de consolation…
Et oui, vous le savez peut être, je suis une hirondelle parfaite, mais avec beaucoup de (petits) travers, dont celui d’adorer les cadeaux gratuits ! Et, ô grand bonheur, la soirée du Beau Rivage, se termine toujours par un cadeau… Un cadeau personnel, ce qui veut dire, deux cadeaux si vous venez en couple ! C’est toujours avec une délectation de matou devant un verre de lait…
que je découvre ledit cadeau…
Pour garder un peu de mystère, je ne vous dévoilerai pas le contenu de cette année ! Il faut bien que je me garde quelques petits secrets !…
Voilà, pendant cette soirée, j’ai été une fille hirondelle cancéreuse, transformée en une fée avec une jolie robe, éblouie devant tant exubérance végétale…
Pendant cette soirée, j’ai aussi oublié toute ce cauchemar, pour ne retenir que la magie de ce moment inoubliable, en espérant m’envoler très vite à nouveau, vers les lumières scintillantes du Beau rivage…