Moyasimon et Coffee Time : deux façons inatendues de voir la vie…

Publié le 12 décembre 2014 par Paoru

Cette semaine, je vous propose une association improbable de deux nouveautés qui m’ont marqué il y a peu, deux titres pas forcément grand public et qui n’ont pas grand chose en commun à part d’être des seinens de l’éditeur Kodansha et des ovnis dessinés par deux mangakas talentueux et plein d’humour : il s’agit de Moyasimon, la comédie microbienne de Masayuki Ishikawa, publié par Glénat, et de Coffee Time, le nouveau recueil de Tetsuya Toyoda (Goggles), édité chez Ki-oon. Les deux postulats de départ sont assez originaux : un jeune homme capable de voir les microbes à l’œil nu d’un coté et un recueil de mini-histoires qui tournent autour du café de l’autre. On y savoure des personnages très attachants, soit parce qu’ils sont typés et haut en couleur ou, au contraire, plein de subtilités et de failles. Deux mangas que j’ai relu une deuxième et une troisième fois avec plaisir pour préparer cet article, et c’est pas tous les jours que je fais ça !

Bref, il est temps de vous en dire plus, donc en route pour la chronique… Les infos et détails vous attendent en fin de papier, comme d’habitude. Bonne lecture

Moyasimon : les microbes c’est la vie !

Moyasimon ce sont les aventures – et surtout les mésaventures – de Tadayasu Soemon Sawaki. Le jeune homme a le don étrange de voir les microbes à l’œil nu et ne passe donc pas inaperçu depuis son arrivée dans une université agricole. Avec son ami d’enfance, Kei, ils font la connaissance du professeur Itsuki, spécialiste des micro-organismes mais aussi fin gourmet d’un genre particulier, qui affectionne les oiseaux de mers décomposés, les raies fermentées,  et toutes les choses faisandées très riches en goût… Cet homme un brin farfelu voit tout le potentiel du jeune Sawaki dans le domaine de la micro-biologie et le prédestine à mener de grandes découvertes. Il prend notre héros sous son aile et ce dernier va faire connaissance avec tout l’équipe du département scientifique : la redoutable et intransigeante Hasegawa, le duo d’étudiants-truands Misato et Kawahama, la belle et puante Muto ou encore la curieuse et obsédée de la propreté du nom d’Hazuki… Dès sa première journée, Sawaki va cumuler la découverte d’un corps en putréfaction, celle d’une fabrication illégale de saké, celle d’un microbe mortel dans une sauce salade ou, enfin, des traditions et fêtes pour le moins étranges de son université. Sa nouvelle vie promet d’être mouvementée !

J’attendais avec impatience de découvrir Moyasimon. Le manga a vu le jour en 2004 dans le magazine Evening de la Kodansha et a accouché d’un premier anime en 2007, d’un drama en 2010 et d’une nouvelle saison animée en 2012. Et je dois avouer que je ne suis pas du tout déçu. Après avoir rit aux éclats en 2013 avec l’agriculture façon Hiromu Arakawa (dans Nobles Paysans), la micro-biologie façon Moyasimon m’a valu parmi les plus belles tranches de rigolade de 2014. Le pragmatisme du professeur Itsuki et son dévouement pour la recherche microbienne l’a envoyé, lui et ses étudiantes, sur une autre planète, où les niveaux de puanteur, de moisissure et de macération n’ont plus rien de supportable pour nous, pauvres mortels.

En découle donc quelques scènes épiques et bidonnantes où le jeune Sawaki découvre avec son ami Kei l’art étrange de son nouveau professeur. Je rigole encore de la double – double page où Itsuki fait goûter à toute l’équipe du sashimi de raie fermentée, ce qui déclenche un festival de têtes dégoutées et la description qu’en fait Sawaki : « vous voyez le coin pissotière des vieilles toilettes pour hommes toutes crades, qu’on trouve dans le camping par exemple ? J’ai l’impression d’avoir mis dans ma bouche un bout de papier toilette imbibé de pisse tombée par terre là-dedans, un jour d’été.« 

Le pauvre Sawaki va donc traverser moult péripéties, tout comme les microbes eux-mêmes dont on suit parfois les aventures. Leur bonne bouille et leur façon de s’exprimer très personnalisé en fait et des petits êtres simplistes, parfois malins – parfois débiles, et attachants. Le chapitre consacré à l’établissement de l’une de leur colonie derrière un meuble et leur lutte contre le balai espagnol est un moment très fun. Fun mais aussi instructif, comme tout le reste de l’histoire d’ailleurs, et on apprend beaucoup sur les micro-organismes au département de micro-biologie. On découvre les différents types de bactéries, où elles vivent au quotidien, leur rôle dans notre écosystème, etc. Des bonus en fin d’ouvrage font un focus sur certaines catégories de microbes ou bactéries, comme la flore intestinale ou la flore commensale de la peau, et la production de saké, qui utilise des champignons dans son processus de fabrication, sera souvent mise à l’honneur avec le jeune Kei, dont les parents tiennent une brasserie. Pour peu que vous ayez la fibre scientifique, Moyasimon est donc un excellent ouvrage pour découvrir et apprendre à travers une histoire amusante, des personnages cocasses et une bonne pointe d’auto-dérision de son auteur. Et, qui sait, cette série en 13 tomes peut faire office de cadeau empoisonné pour une connaissance mysophobe, voir de véritable film d’horreur !

Coffee Time : Tetsuya Toyoda… what else ?

Avec un coup de cœur l’an dernier pour le recueil Goggles, j’étais impatient de lire les 17 nouvelles histoires du mangaka, avec le café – ce don du ciel – comme point d’encrage. Après avoir développé 6 histoires dans la dernière compilation, Toyoda raccourcit nettement ses récits et condense sa narration, se calant à chaque fois sur les quelques minutes qu’il faut pour boire le fameux breuvage. Ces histoires ne renferment donc qu’un infime bout de vie : une violoncelliste se fait arnaquer par un réalisateur mythomane, un détective privé se fait embaucher par un collégien à la recherche de sa vendeuse préféré, un inspecteur collecte un témoignage en compagnie d’un collègue cybernétique, un retraité des affaires explique à son fils qu’il va adopter une jeune enfant un brin sauvageonne, deux amis mafieux discutent du bon vieux temps tout en se menaçant d’un pistolet, un homme trop désinvolte se fait plaquer ou une journaliste se fait mener en bateau lors de son reportage… Et un homme en voiture fait d’étranges rencontres :

A travers une douzaine de pages seulement, Toyoda enchaîne des histoires aux allures de courts-métrages qui mettent en scène un duo ou un trio, le temps d’une tasse. Durant cette pause qui éclot dans un quotidien qui nous est inconnu, la dégustation d’un bon café délie la langue de ceux qui le savourent et les pousse à discuter, à se confier, à s’enflammer parfois. Les protagonistes révèlent alors une part de leur personnalité, inattendue. L’ancien businessman qu’on imagine terrible et sans pitié dégage alors douceur, affection et zénitude, tandis que la jeune fille intelligente mais intransigeante se fait gentiment mener en bateau… On peut aussi citer une femme séduisante et ronronnante qui finalement pète un câble lorsque sa voisine lui fait la morale, et enfin un vieil homme à l’allure bourrue qui témoigne d’un rêve, dont il ressort souvent les larmes aux yeux. Comme à son habitude, Toyoda présente des personnages extrêmement bien travaillés sur le plan visuel comme sur le plan psychologique, que l’on identifie au premier coup d’œil sans pour autant tout savoir d’eux, qui sont criants de vérité et plein de défauts, même si leur créateur semble leur témoigner beaucoup de sympathie. L’empathie est alors communicative et le thème qui se veut associé à chaque histoire fait toujours écho à un sentiment ou une émotion chez le lecteur : l’entourloupe nous fait rire, le pardon laisse un petit gout amer, l’adoption est lié à l’affection, le regret nous incite au pardon et les souvenirs font germer la graine de la mélancolie…

Dans Coffee Time, Toyoda nous parle avec désinvolture et pourtant avec justesse des hasards de la vie, des rencontres improbables qu’elle nous offre et des liens qui en découlent, du caractère parfois incongru et farceur de notre destin, et de la vacuité à vouloir lutter contre. Parce qu’après tout, on s’est tous un jour dit, en prenant le temps d’une petite boisson chaude, que c’est assez fou ce que la vie nous réserve comme surprises, parfois…

Non ?

Fiches descriptives

Titre : Moyasimon
Auteur : Masayuki Ishikawa
Date de parution du dernier tome : 01 octobre 2014
Éditeurs fr/jp : Glénat / Kodansha (prépublié dans le Morning)
Nombre de pages : 224 n&b
Prix de vente : 9.15 €
Nombre de volumes : 2/13 (terminé)

Visuels : MOYASIMON © Masayuki Ishikawa / Kodansha Ltd.

Preview disponible sur le site de l’éditeur.


Titre :
Coffee Time
Auteur : Tetsuya Toyoda
Date de parution du dernier tome : 09 octobre 2014
Éditeurs fr/jp : Ki-oon / Kodansha (prépublié dans l’evening)
Nombre de pages : 208 n&b
Prix de vente : 14 €
Nombre de volumes : 1/1 (one-shot)

Visuels : COFFEE TIME © Tetsuya Toyoda / Kodansha Ltd.

On termine avec la bande annonce de Coffee Time :