#climatA un an de la conférence décisive de Paris, entretien avec le directeur du Earth Institute Jeffrey Sachs lors du sommet climatique de l'ONU à Lima.
Jeffrey Sachs, directeur du Earth Institute de l'université de Columbia, en mai 2012 à Manille. (Photo Ted Aljibe. AFP)
Dernière ligne droite pour la COP 20, le sommet de l’ONU sur le climat de Lima, qui doit normalement s’achever ce soir. Et accoucher d’une feuille de route (encore remplie de blanc et de parenthèses) pour le prochain sommet de Paris, en 2015, annoncé comme décisif s’il aboutit à un accord – vraiment-ambitieux entre 194 pays. Les ONG et les pays les plus démunis dénoncent pour l’instant un statu quo inquiétant, loin des attentes et des enjeux, car des trajectoires de réductions de gaz à effet de serre aux mesures d’adaptation au changement climatique, en passant par les financements, les mécanismes de vérification, etc, rien ne permet encore de faire preuve d’optimisme. Contrairement à l’économiste Jeffrey Sachs, directeur du Earth institute à l’université de Colombia et conseiller spécial du secrétaire général sur les objectifs du millénaire pour le développement, qui juge positifs les débats de Lima. Il s’en explique à
Libération.
Au rythme actuel, la hausse continue des gaz à effet de serre nous conduit tout droit vers une hausse de 4 à 5°C d’ici la fin du siècle par rapport aux niveaux pré-industriels, mais cela n’a pas l’air d’ébranler les négociateurs. Pourquoi ?
Non, au contraire, je pense qu’il se passe des choses décisives à Lima. Primo, Il y a désormais une compréhension que l’un des buts majeurs du sommet de Paris est de tenter de rester en deçà d’une hausse de température de 2°C d’ici au siècle prochain si l’on ne veut pas courir à la catastrophe. Deuxio, les négociateurs sont aussi d’accord pour reconnaître que pour y parvenir, il faut une décarbonisation totale de l’économie dans le même temps ; ce n’est pas un petit mouvement, c’est un vrai changement. Tertio, les gouvernements vont, je l’espère, s’entendre pour dire au monde qu’ils vont montrer le chemin pour y parvenir. J’ai pu aussi suivre de forts échanges sur la question sensible des transferts de technologie et comment financer l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre (GES) et l’adaption des pays face aux changements climatiques. La question n’est pas de savoir s’il y aura un deal, mais si ce deal sera sérieux.
Quel est selon vous le chemin parcouru depuis l’échec retentissant du sommet de Copenhague en 2009 ?
La grande différence, c’est qu’on ne parle plus de changements climatiques au futur, mais au présent. L’année 2014 sera une nouvelle fois l’année la plus chaude depuis la fin du XIX
e siècle. Et la multiplication de bouleversements climatiques se vérifie. Quelque soit l’endroit de la planète que vous regardez depuis cinq ans, vous assistez à davantage de cyclones, de tornades, de sécheresses, d’inondations. Les dérèglements ne sont plus un hypothétique avenir, ils sont déjà une réalité concrète, terrifiante. De plus, les scientifiques du Giec viennent de nous rappeler qu’il faut agir dès aujourd’hui pour limiter la hausse des températures à 2°C et certains pensent qu’il est trop tard pour y parvenir : Paris est la dernière chance pour enfin faire des choix politiques décisifs. Enfin, dernier changement fondamental à mes yeux : l’attitude de la Chine. La désormais première économie de la planète a envoyé un message géopolitique capital : elle accepte d’assumer son leadership. En mettant sur la table qu’elle s’engage à atteindre un pic de ses émissions de gaz à effet de serre (GES) «autour de 2030», elle inverse la tendance qui l’avait vu, à Copenhague, renvoyer systématiquement les pays riches à leur responsabilité «historique» dans les émissions de GES. Ce n’est que le début ; elle avancera encore.
Contrairement à l’Inde, quatrième pays émetteur, qui refuse tout chiffre et toute date au motif qu’elle n’entend pas renoncer à son développement…
L’Inde bougera. J’ai pu rencontrer le Premier ministre Narendra Modi lors du G20 à
Brisbane. Il m’a dit qu’il était déterminé à trouver un rôle constructif, qu’il fallait que les transferts de technologie s’accentuent et c’est plutôt constructif. L’Inde n’est pas la Chine : elle a des besoins énergétiques majeurs, elle doit réduire profondément ses inégalités, mais elle avance vite sur le développement des énergies renouvelables…
Reste le rôle pivot des Etats-Unis, qui, avec la Chine, pèsent 42% des émissions mondiales, et viennent de promettre une réduction de 26 à 28% de leurs émissions d’ici à 2025 par rapport à 2005…
En dépit de sa situation politique où il a perdu la majorité dans les deux chambres,
Barack Obama n’a jamais été aussi clair, déterminé, et tranchant sur le climat. La droite républicaine veut faire croire qu’elle n’est pas dans le déni du réchauffement climatique. Elle ne l’est peut-être plus. Elle est juste dans la poche de l’industrie du pétrole. Notre Congrès est profondément corrompu par le biais des financements des campagnes électorales. Obama l’assure : il ira de l’avant, il signera quelque chose d’ambitieux à Paris. Il assure qu’il s’agit de sa responsabilité historique de le faire, même s’il sait qu’il se heurtera peut-être à la ratification par le Sénat. Pourtant, l’argument majeur de la droite conservatrice qui consistait systématiquement à renvoyer à l’immobilisme de la Chine a sauté. Et puis, en dépit de cette situation étrange, pensez-vous que si 193 pays se mettent d’accord à Paris pour signer un deal, le Sénat osera-t-il dire au monde : «Bye-bye, planète, nous ne vous suivons pas dans le choix de la survie» ?
Christian LOSSON Envoyé spécial à Lima (Pérou)http://www.liberation.fr/terre/2014/12/12/on-ne-parle-plus-de-changements-climatiques-au-futur-mais-au-present_1162052?xtor=EPR-450206&utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=quot